Page images
PDF
EPUB

Frances vécussent en paix et bon accord; il n'est pas juste que l'une d'elles supprime l'autre, et, cette épouvantable opération fût-elle possible, il ne serait ni bon ni désirable qu'elle s'accomplit. Quelques hommes ont pu se laisser prendre au mirage de l'unité Une foi, une loi, un roi! formule sonore, cri de guerre, si l'on veut, rien de plus! L'unité morale est une chimère. A la poursuivre, les politiques s'exposeraient à perdre toute notion de justice, tout souci du droit, tout respect de la liberté ; c'est un fantôme violent, qui les entraînerait toujours plus loin, vers les fondrières où les nations sages ne s'aventurent jamais. Les hommes civilisés ont droit à l'autonomie, à la pleine liberté de leur pensée. Ils entendent ne point penser par ordre, avoir le droit de ne tenir pour juste et bon que ce que leur jugement leur indique comme tel. Cette liberté, qui n'est légitime que si elle appartient à tous, enfante des partis. Il ý a des partis chez toutes les nations libres, et seule la servitude ignare n'en connaît point. Les partis sont légitimes, les partis peuvent différer les uns des autres autant qu'ils le veulent, ils se peuvent combattre par la parole et par le livre et par la presse ; mais ils n'ont pas le droit de s'entre-tuer. Tant qu'ils ne sortent pas de leur droit, leur action est utile et féconde, et sert les intérêts de la patrie: ce sont les forces régulatrices de l'action politique, ce sont les centres de gravité et d'équilibre des masses sociales. Quand tous les partis paient l'impôt, se soumettent au service militaire et respectent l'ordre public, l'unité nationale est suffisamment assurée, et cette unité désirable est compatible avec autant de variétés d'opinion que l'Etat compte de citoyens. Un pays libre est comparable à une grande maison de rapport bien construite, bien habitée et bien administrée. Le propriétaire, on ne le voit jamais; il se contente de toucher ses revenus par les soins de son notaire et d'assurer les divers services par l'entremise de son architecte. Le concierge garde la maison et met à la porte les ivrognes et les malandrins. Dans les sous-sols et dans la cour, des industries diverses. Au rez-de-chaussée, des magasins. A l'entresol, l'habitation des négociants. Au premier étage, une riche famille, qui passe l'hiver à Paris et l'été dans ses châteaux, un médecin spécialiste auquel on a loué, par grâce, à condition qu'il aurait peu de clients et prendrait très cher. Au second, un avocat, une dame veuve et ses filles. Au troisième, des jeunes ménages. Au quatrième, un prêtre, de petits rentiers. Au cinquième, des employés de ministère, des professeurs.

Encore plus près du ciel, des contremaîtres garçons, des étudiants sérieux. Et tout ce monde d'origines diverses, de fortunes et d'opinions différentes, vit en paix, parce que chacun vit chez soi et à ses affaires et sait respecter son voisin. Il y a peu de relations entre toutes ces personnes; mais on se salue quand on se rencontre dans l'escalier, on ne médit pas les uns des autres ; jamais de bruit, jamais de querelles, et, s'il arrive quelque malheur dans la maison, la sympathie commune s'éveille naturellement et se traduit par de délicates et discrètes prévenances.

Un pays qui n'est pas libre ressemble à une maison mal tenue. Le gérant est venu habiter l'immeuble. On ne rencontre que lui ou ses gens dans la cour et dans l'escalier; il prétend savoir tout ce qui se passe dans la maison; il veut que tous ses locataires pensent comme lui en morale, en religion et en politique ; il a ses favoris et ses bêtes noires; il est, tour à tour, hautain ou trop familier; il agit par caprices, parle un matin de faire maison nette et le lendemain tolère tous les abus. Il a le verbe dur et cassant, il fait des scènes, il est odieux. Tout le monde autour de lui se surveille, se jalouse, se hait; la maison est devenue un enfer, parce que la méfiance a succédé au bon vouloir, parce que le mépris d'autrui a remplacé le mutuel respect et la réciprocité des égards.

LA SÉPARATION DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT

Il avait été relativement aisé de faire la guerre aux congrégations religieuses, qui n'avaient en France qu'une situation mal définie, précaire, souvent même extra-légale. Il semblait beaucoup plus difficile de toucher au clergé séculier, protégé contre les entreprises des politiques par une charte écrite et déjà séculaire le Concordat.

Le Concordat de 1801 n'est pas un acte de foi ou de repentir, mais un simple acte politique, arraché par Bonaparte à l'anticléricalisme de ses conseillers, et qui réduisit au strict minimum les concessions faites à l'Eglise, officiellement replacée au rang de grand corps de l'Etat. Les droits qui lui furent alors laissés ne sont que les épaves d'un naufrage. Le Concordat formait la base du droit ecclésiastique français, et un examen impartial permet bien vite de reconnaître combien cette base était étroite; le tour en est bientôt fait.

Tout d'abord, le Concordat est un acte de droit international, un traité négocié de puissance à puissance, et, comme le portait le projet de loi présenté au Corps législatif: une convention entre le gouvernement français et le pape.

Cette convention contenait des articles favorables au pape et des articles favorables au gouvernement français; elle avait, au plus haut point, le caractère d'un contrat synallagmatique, où chacune des deux parties assurait à l'autre certains avantages, en vue d'obtenir elle-même certaines concessions, certains privilèges.

Parmi les droits ainsi établis figure, au premier chef, le droit de propriété de l'Eglise sur les édifices consacrés au culte et sur les traitements attribués à ses membres. La loi du 2 novembre 1789 avait déclaré que les biens de l'Eglise étaient « mis à la disposition de la nation », et cette formule adoucie, les étatistes l'ont toujours interprétée dans le sens d'une expropriation complète, d'un transfert de propriété de l'Eglise à l'Etat. Or l'article XII du Concordal porte que « toutes les églises, métropolitaines, cathédrales,

<< paroissiales et autres, non aliénées, nécessaires au culte, seront « mises à la disposition des évêques ». L'article 75 des articles organiques répète la même formule. De l'identité des termes on doit conclure que, si la loi du 2 novembre 1789 a transféré la propriété des biens d'Eglise à la nation, le Concordat, à son tour, a transféré à l'Eglise la propriété des églises métropolitaines, cathédrales et paroissiales.

Cette opinion se trouve corroborée par la jurisprudence. Un arrêt du Conseil d'Etat du 1er avril 1887, rendu en faveur de la fabrique de l'église Saint-Roch, à Paris, déclare que « l'arrêté par << lequel un préfet, en exécution de l'arrêté consulaire du 7 ther<<midor an XI, envoie une fabrique en possession de biens lui << ayant appartenu, et non aliénés par l'Etat, a pour effet d'aban<< donner au profit de la fabrique les droits de propriété apparte<<nant à l'Etat ». De nombreux arrêts antérieurs qualifient également de droit de propriété le droit transmis aux fabriques par l'envoi en possession. (Rennes, 1824. 'Bourges, 1838. Cassation, 1839. Cassation, 1854.)

[ocr errors]

Le Concordat n'avait pas seulement rendu au clergé les églises non aliénées; il lui avait encore attribué un traitement, et les juristes et les politiques discutent entre eux pour savoir si ce traitement constituait une générosité toujours révocable, ou une compensation des biens ecclésiastiques confisqués en 1789 par la nation c'est cette dernière opinion qui est incontestablement la vraie.

<< Le budget du culte catholique, dit avec raison M. Guiraud (1), << ne date pas du Concordat, qui n'a fait que le reconnaître. Il date « du jour où, prenant à l'Eglise tous les biens qu'avait accu<<< mulés la libéralité des fidèles, l'Assemblée constituante a inscrit au budget national, et même dans la constitution, au profit du « culte catholique, apostolique et romain, une rente perpétuelle, << intérêt permanent de l'immense capital qu'elle lui enlevait. >>

Cette dette de l'Etat français envers l'Eglise, il en a été parlé au cours des négociations du Concordat : « Sa Sainteté, disait << Spina à Bernier, faisant usage de toute son indulgence envers « les acquéreurs de biens ecclésiastiques, vous conviendrez qu'elle << ne doit pas perdre de vue les intérêts de la religion et la subsis<< tance de ses ministres. Il faut donc que le gouvernement assure <«< la subsistance, non seulement des évêques, mais encore des

(1) La séparation de l'Eglise et de l'Etat et les élections, Paris, in-12, 1906.

<«< curés et des autres ministres inférieurs. » (15 novembre 1800.)

Le conseiller d'Etat Siméon, rapporteur du projet de Concordat, exprimait la même idée au Tribunat, quand il disait : « L'as<< semblée nationale applique le patrimoine ecclésiastique aux <«< besoins de l'Etat, mais sous la promesse de salarier les fonctions <«< ecclésiastiques. Cette obligation, trop négligée, sera remplie « avec justice, économie et intelligence. Il n'en coûtera pas au << Trésor la quinzième partie de ce que la nation a gagné à la « réunion des biens du clergé. »>

Le débat est magistralement résumé par le duc de Broglie dans son livre sur Le Concordat: « Si la vente des biens ecclésiastiques << n'avait pas été confirmée par une déclaration pontificale, jamais «<le Concordat n'aurait été seulement mis en discussion; mais, << réciproquement, si la subsistance du clergé dépossédé par la « Révolution n'eût été assurée par une promesse formelle, jamais <«< la déclaration pontificale n'eût été obtenue. On est donc ici en << présence d'un contrat parfait et d'une application rigoureuse << de la formule: do ut des. »

Tous les écrivains ayant le sens du droit reconnaissent le caractère synallagmatique de la loi du 2 novembre 1789 : << On a beaucoup épilogué, dit M. Aulard, sur ces mots : à la « charge de... et l'on a dit qu'ils ne constituaient pas un « engagement. C'était bien un engagement, et un engagement « solennel (1). » Et cet engagement, le Concordat l'a fait revivre. Ce que nous disons des traitements ecclésiastiques doit s'entendre également des immeubles mis par les articles organiques à la disposition des évêques et des curés pour leur habitation. La section III du titre IV des articles organiques est intitulée: Du traitement des ministres.

Les articles 64, 65, 66, fixent à 15.000 francs le traitement des archevêques, à 10.000 francs celui des évêques, à 1.500 et à 1.000 fr. le traitement des curés. L'article 71 dispose que « les conseils <«< généraux des départements sont autorisés à procurer aux arche« vêques et évêques un logement convenable. » L'article 72 porte que « Les presbytères et les jardins attenants, non aliénés, << seront rendus aux curés et aux desservants des succursales. A « défaut de ces presbytères, les conseils généraux des communes <«< sont autorisés à leur procurer un logement et un jardin. »

:

(1) Revue Bleue, 14 nov. 1904.

« PreviousContinue »