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CHAPITRE VI.

Entrée de M. Sébastiani au conseil. -Budget définitif de 1830.-Incident sur la communication aux Chambres des traités diplomatiques. Loi sur la police du roulage. Loi qui suspend l'organisation de la garde nationale dans diverses communes de la Corse et des Bouches-duRhone-Lois sur l'état des hommes de couleur et le régime législatif des colonies. — Traités conclus avec l'Angleterre relativement à la traite des noirs. Incident relatif à M. Cabet, député.-Demande en autorisation de poursuites contre lui. Lettre de M. Renouard,

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député.

Sorti vainqueur de la discussion de l'adresse, le ministère du 11 octobre s'était consolidé au pouvoir, et plus heureux que la plupart deleurs prédécesseurs, ses membres pouvaient se promettre un règne paisible dont rien alors ne menaçait la durée. L'ordonnance en date du 23 mars, qui nomma M. le comte Horace Sébastiani ministre avec entrée au conseil, ne changea, rien à l'état des choses. Cette nomination semblait indiquer un retour au système des ministres sans portefeuille, abondonné depuis le mois de novembre 1830 et l'avénement de M. Laffitte à la présidence du conseil. La situation de l'Orient et surtout la confiance personnelle du roi furent généralement regardées comme les motifs du rappel de l'ex-ministre des affaires étrangères.

Dès le commencement de la session (28 novembre), le budget définitif, portant réglement des comptes de l'année 1830, avait été présenté à la Chambre des députés. Le rapport n'en put être achevé que plus de deux mois après (6 février). L'influence des événemens qu'avait vus s'accomplir cette année mémorable, s'était nécessairement étendue à l'exercice financier. D'une part, à l'expédition d'Alger s'étaient rattachés des déboursés et des recettes extraordinaires; de l'autre, la révolution de juillet avait créé des nécessités

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auxquelles il avait fallu pourvoir à la hâte l'examen des comptes des divers ministères en était dévenu plus laborieux, plus difficile, et dès lors avait exigé plus de temps. Voici le résumé des travaux de la commission, tel que l'établit M. Passy, son rapporteur.

La totalité des crédits ordinaires ou extraordinaires mis à Ja disposition des ministres, pour l'exercice de 1830, s'élevait à 1,101,353,198 francs. Les paiemens effectués par le trésor présentaient un excédant de 21,858,157 francs; mais, compensation faite entre les crédits à annuler et à transporter, et les crédits à compléter pour dépenses résultant de services faits et payés, l'excédant des crédits demandés était de 16,018,124 francs.

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Les dépenses de l'exercice 1830, après déduction de la somme de 1,699,884 francs, restant à payer sur les services généraux, s'élevaient en totalité à 1,099,673,363 francs : les paiemens, y compris les fonds spéciaux à reporter sur l'exercice de 1832, montaient à pareille somme, et comme les recettes ordinaires et extraordinaires, effectuées dans le cours de l'exercice, n'avaient produit que 1,035,956,251 fr., il en résultait une insuffisance de ressources de la somme de 63,717,112 francs.

La commission reconnaissait qu'il y avait parfaite concordance entre les chiffres relevés par elle, et ceux que constataient et arrêtaient les articles du projet de loi soumis à l'approbation de la Chambre; elle lui en proposait donc l'adoption, sauf néanmoins deux articles, dont l'irrégularité lui avait paru manifeste. De ces deux articles,. l'un se composait de paiemens faits à divers officiers dans les journées des 28 et 29 juillet, l'autre d'avances faites aux adjudicalaires de l'emprunt d'Haïti; le premier s'élevait à la somme de 371,051 francs, le second à celle de 4,848,905 francs. C'était en définitive une réduction de 5,219,956 francs que la commission proposait sur le budget de 1850:*

11 février. La discussion générale s'ouvrit par un dis

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cours dans lequel M. Roger critiqua vivement les comptes de la marine. Après une réponse du ministre, M. de Rigny, M. Laffitte vint donner des explications sur l'affaire d'Haïti, consommée sous son ministère, et dont il avait déjà été plusieurs fois question dans la Chambre.

« Messieurs, dit-il, je ne viens point combattre en ce qui me regarde le rapport de votre commission des comptes. Je m'occuperai encore moins des inductions que la malveillance en a pu tirer, car mes intentions semblent plus condamnées encore que mes actes. J'ai passé par des épreuves plus dangereuses sans perdre aucun de mes droits à l'estime, et je sais qu'il est des temps où il faut savoir se résigner. Plus que jamais alors la conscience est un lieu de refuge. J'ai foi dans la justice du pays; je me tais et j'attends. (Très-bien! très-bien ! ) Mais d'autres intérêts que les miens se trouvent menacés; c'est pour eux, et pour eux seulement. que j'ai des explications à donner à la Chambre. »

L'honorable membre examina successivement les deux paiemens que lui reprochait la commission; l'un de trois millions, sur lequel il n'y avait pas, disait-on, preuve du paiement des intérêts; l'autre d'environ cinq millions, dont le capital se trouvait compromis.

«Par ordonnance royale, dit M. Laffitte, en date du 1er novembre 1830, signée par M. Louis, trois millions devaient être payés par le trésor sur mes propres mandats. Devenu ministre, j'ai fait payer ces trois millions le 24 novembre 1830, non sur mes simples mandats, mais sur la quittance personnelle du véritable débiteur. Ces trois millions ont été reintégrés au trésor le 24 février. Depuis quelques jours seulement, j'ai appris, par des rumeurs toujours bienveillantes, que les intérêts étaient en retard. Je les ai payés, le 4. de ce mois, de e mes propres deniers, sans être inquiet pour mon recours.

« Quant aux 4,848,905 fr., ce paiement neous a pas été présenté, selon moi, dans son jour véritable. Il doit être jugé par d'autres règles et par. d'autres lois. Il ne s'agit pas, en effet, d'une simple opération de trẻsorerie; il s'agit d'un traité politique, commercial et financier.

« Je ne reviendrai pas, messieurs, sur ce qui a été déjà étábli devant vous. J'analyserai simplement ce qui n'a pas été suffisamment éclairci, c'està-dire la situation exacte des choses au moment où se sont décidés les trois ministères pour fournir d'abord la garantie, pour la confirmer ensuite, enfin pour s'en libérer. »

De cette analyse, M. Laffitte concluait que les trois ministères qui avaient participé à l'opération, ne l'avaient considérée que sous ses rapports politiques et comme ne devant être soumise à la sanction des Chambres que lorsqu'un traité définitif aurait réglé tous les intérêts, l'avance, l'emprunt et l'indemnité. L'utilité du but, la loyauté des intentions ne

lui paraissaient pas présenter le moindre doute; il n'y avait pas même prétexte de blâme dans le danger qu'avait pu courir le trésor. Le trésor n'en avait couru aucun; toujours le débi teur, avait offert le remboursement de l'avance, à la signature des traités. Il s'agissait, non pas de perdre, mais de rester momentanément en avance d'une somme d'environ cinq millions pour obtenir une alliance utile, pour ouvrir un débouché à notre commerce, et pour sauver le plus possible d'une somme de cent vingt millions au profit des colons, qui en avaient déjà reçu plus de trente.

Après avoir traité de sa responsabilité collective, M. Laffitte en vint aux reproches qui lui étaient personnels, et termina ainsi qu'il suit:

«En résumé, la garantie donnée par M. de Villèle, sa confirmation par M. de Chabrol, l'escompte accordé par le ministère du 3 novembre, ne me paraissent encore qu'un accident né d'un traité politique, délicat par sa nature, dont le succès dépendait en grande partie du mystère; traité qui ne devait être soumis aux Chambres qu'après sa conclusion. Aucun des ministres n'a pensé que sa responsabilité ne fût engagée, tous ont agi dans l'intérêt public; et forts de leurs bonnes intentions, ils ont compté sur leur bill d'indemnité.

« Aussi le conseil n'approuva-t-il l'ordonnance du 30 novembre que par deux motifs exceptionnels: la certitude que 5 millions rendus à des maisons qui soutenaient le crédit et l'industrie soulageraient la détresse du commerce la certitude que dans aucun cas les 5 millions ne seraient perdus pour le trésor.

« Du ministère Villèle, du ministère Polignac, du ministère du 8 novembre, moi seul, messieurs, j'avais un intérêt personnel dans cette opération; seul, je pourrais être coupable, l'intérêt privé aurait pu me porter à sacrifier l'intérêt public. Je n'ai changé ni d'opinion ni de principes. Momentanément attaché malgré moi dans la tempête sur les bancs des ministres, j'ai toujours siégé sur les bancs de l'opposition.

«Eh bien ! en 1814 Louis XVIII me confia sa fortune particulière ; en 1815, Napoléon me confia le pain de son exil; en 1819, le gouvernement, en discussion avec d'autres contractans de nos emprunts, me choipour son arbitre; j'opposai mon intérêt personnel, contraire à celui qu'on voulait me confier: Raison de plus, répliqua le président du conseil des ministres. L'affaire s'arrangea.

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<<'Sous Napoléon, scus Louis XVIII, sous Charles X, j'ai donc passé pour honnête homme. Sous Louis-Philippe, messieurs, ne le serais-je donc plus? prononcez. Ce donte ne peut planer sur ma tête : rejetez l'amendement de votre commission, ou traduisez-moi devant la Chambre des pairs. ».

Le discours de M. Laffitte fut écouté avec l'attention la plus soutenue et accueilli par des manifestations presque

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générales d'approbation; des applaudissemens se firent même entendre. En lui répondant, M. Passy commença par déclarer qu'il sentait tout ce que sa mission avait de grave et de délicat. La commission avait cru devoir proposer le rejet du crédit demandé pour les avances faites aux adjudicataires de l'emprunt d'Haïti, mais la Chambre était investie d'autres pouvoirs; elle pouvait trouver dans sa conviction des considérations qu'il n'était pas loisible

une commission d'admettre: M. Laffitte donna de nouveaux éclaircissemens, et déclara qu'il préférait une condamnation à un doute. Si donc la Chambre n'était pas complétement convaincue, il demandait de nouveau à être traduit devant la Chambre des pairs. M. Salverte plaida la cause de son collègue, sous le double rapport de la comptabilité et de la politique.

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Le ministre des finances, M. Humann, prit à son tour la parole. Suivant lui, la Chambre avait à juger si les raisons qui lui avaient fait adopter la loi du 17 octobre 1850, ne devaient pas motiver également l'allocation de la dépense dont il s'agissait. A ses yeux, la mesure proposée par la commission était trop sévère et soulevait des questions bien graves.

« D'abord, demandait M. Humann, existe-t-il à l'égard des ministres une double responsabilité l'une entraînant l'accusation devant la Chambre des pairs; l'autre, purement civile, se résolvant en dommages-intérêts ? Cette dernière responsabilité, pouvez-vous l'appliquer sans information, sans instruction préalables? Voulez-vous, par voie d'amendement, juger et condamner sans entendre, et dénier ainsi le droit sacré de la défense?

« Le ministre des finances, quand il procède par voie de contrainte civile, ne fait qu'un acte conservatoire; il ne juge point les comptables; il laisse à ceux-ci le recours au conseil d'état, et finalement la juridiction de la cour des comptes; et en ce qui concerne les coupables, de quoi s'agit-il? De statuer sur des comptabilités appuyées de pièces, de constater des faits matériels: en est-il de même pour les ministres? Nous ne le pensons pas.

"On ne peut les, assimiler à des comptables ordinaires, et procéder envers eux par voie de debet: ils sont soumis à une juridiction exceptionnelle, par la raison qu'à leurs actes se rattachent des questions politiques et de haute administration qu'il n'appartient qu'à des corps politiques d'apprécier et de juger. Si donc la contrainte civile est mapplicable au fait, qui nous occupe, si le conseil d'état et les tribunaux ordinaires sont incompétens pour juger, il est évident que la proposition de votre com

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