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noncer, et que la solution d'une telle question n'appartient pas au pouvoir législatif.

L'on a dit qu'on pouvait considérer madame la duchesse de Berry comme prisonnière de guerre, et qu'en conséquence on prendrait à son égard telle mesure qu'il conviendrait. Je comprends mieux ainsi la position. J'admets l'hypothèse de M. le ministre des affaires étrangères, sur laquelle la Chambre n'a pas à s'expliquer. Le droit de paix et de guerre s'exerce par le pouvoir exécutif, et l'intervention des Chambres n'est dans ce cas que secondaire, et n'a lieu que pour ratifier par les conséquences financières les actes du pouvoir exécutif. Sous ce rapport, la Chambre, Dieu merci, peut donc garder le silence, et par l'ordre du jour on entend laisser tomber sur le ministère la responsabilité de la solution de cette question.

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« Dominant toutes les considérations, je ne demande pas au ministère d'écouter les voeux des partis; je ne lui demande pas d'obéir aux ardentes prières des personnes qui en France sont vivement touchées du sort de madame la duchesse de Berry, qui ont gardé d'elle un souvenir, qui manifestent tant de zèle en sa faveur ; je lui demande seulement de bien apprécier les circonstances où nous sommes, de ne se laisser aveugler par aucun emportement d'intérêt actuel, mais de considérer les intérêts à venir (murmures), de jeter un coup d'œil sur les quarante dernières années de notre dernière révolution, et de considérer quel a été le sort de la plupart des institutions que l'on avait faites. Toutes ces considérations, qui touchent au repos, à la paix du pays, c'est au ministère à les peser; il n'a dans ce moment qu'un pouvoir de fait; il détient la captive, il assimile ses actes au cas de guerre. La résolution lui appartient tout entière, la responsabilité ne doit peser que sur lui; les Chambres doivent être complétement en dehors. Elles ne peuvent rentrer dans la question qu'en rentrant dans la carrière qu'a signalée en termes si effrayans M. le ministre des affaires étrangères.

« Je persiste à demander à la Chambre de reconnaître qu'il ne lui appartient pas de s'immiscer dans la question, de se constituer juge et partie, et de procéder par un ordre du jour à la solution de la question actuelle

ment ouverte. »>

Le ministre du commerce et des travaux publics, M. Thiers, s'empressant de monter à la tribune, commença par ces paroles: « Je viens, dit il, appuyer l'ordre du jour et contre ceux qui l'ont combattu, et contre le dernier orateur qui l'a si habilement compromis en le défendant. (Rire général d'approbation.)

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Après avoir dit que le ministère ne redoutait point la responsabilité de l'arrestation de la duchesse de Berry, qu'il ne voulait pas rejeter cette responsabilité sur la Chambre, et que c'était pour rendre hommage au gouvernement qu'il avait résolu de s'en expliquer devant la Chambre, M. Thiers entreprenait de répliquer aux deux opinions qui s'étaient déjà expliquées.

A la première opinion, celle des partisans de la prisonnière, qui, ne considérant le gouvernement que comme un gouvernement de fait, lui refusaient le droit de faire juger la princesse, il répondait que, dans cette hypothèse même le droit du gouvernement serait inattaquable, mais que d'ailleurs le gouvernement de juillet n'en était pas réduit à cet argument, que son droit sortait de l'origine la plus pure et la plus sacrée, d'une révolution qui avait exprimé d'une manière si terrible, si éclatante et si généreuse en même temps, la volonté nationale.

A la seconde opinion, qui, en vertu du principe de l'égalité devant la loi, demandait le renvoi de madame la du chesse de Berry aux tribunaux ordinaires, M. Thiers accordait que ce principe était la plus belle conquête de la révolution de 89, confirmée par celle de 1830. Cependant il faisait observer que, pour certaines existences, renfermées dans le cercle d'une famille, la loi commune ne suffisait pas, soit que cette famille fût en possession du trône, soit qu'elle en fût descendue. A l'égard d'une famille qui a régné, il n'existe pas de jugement; on ne juge pas les princes dans les temps de barbarie ou de passions politiques, on les immole; dans les temps de générosité, de civilisation, comme le nôtre, on les réduit à l'impuissance de nuire. Toutes les formes judiciaires ne sont que de l'hypocrisie : c'était une hypocrisie que le jugement de Charles Ier, que le jugement de Louis XVI, que la commission militaire. qui jugea le duc d'Enghien dans la prison du château de Vincennes. Une mesure politique ne saurait effrayer personne, car il n'y a pas dans l'état une seconde famille à qui cette mesure pût être appliquée:

« Si vous appcliez madame la duchesse de Berry devant les tribunaux, poursuivait-il, dites-nous comment vous établiriez cette cause; car enfin si vous voulez faire un procès, il faut se soumettre à toutes les formes judiiaires; devant les tribunaux il faut un fait précis, une loi, des témoins. (Mouvement d'attention.) Eh bien! vous avez eu d'autres causes politiques devant les tribunaux, vous en savez les résultats. Madame la duchesse de Berry est descendue en France... (Nouveau mouvement d'attention.)

Il ne suffit pas que nous l'y ayons trouvée. Quant à ce fait, il est incontestable.

« La loi de 1831 ne prononce que l'exclusion, C'est donc un renvoi, si vous n'avez pas d'autre preuve que sa présence en France. Pour qu'elle soit jugeable, que le procès ait une issue et ne soit pas un triomphe pour elle, il faut que vous puissiez prouver autre chose que sa présence; la participation directe aux faits de guerre civile qui ont éclaté dans la Vendée. (Bruit confus... Quelques voix: Et les proclamations!... Vous avez entre vos mains toutes les pièces pour établir ces faits.)

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« M. le ministre. On parle des proclamations, on les niera devant les tribunaux. On vous cite la conviction que tout le monde a et que j'ai aussi, car comme vous je pense que madame la duchesse de Berry est venue en Vendée pour y exciter la guerre civile. En politique, cette conviction est une preuve; devant les tribunaux ce n'en est pas une; il vous faudrait des témoins qui vous disent qu'ils l'ont vue à la tête des bandes; et je yous le demande, où sont ces témoins? (Murmures... agitation.)

« Je dis que la duchesse de Berry échappe au droit commun; que la cause elle-même, par sa nature, parce qu'elle est toute politique, échappe aussi aux formes judiciaires; que le procès n'amenerait que ce que nous redouterions tous, un acquittement après jugement. Eh bien! l'acquittement de madame la duchesse de Berry à la face du pays serait une condamnation du gouvernement même. Je sais bien qu'il est au-dessus des erreurs même de la justice; mais puisqu'il s'agit ici de politique, que c'est de politique que nous parlons, je vous le demande, voudriez-vous un événement comme celui-là?

« Vous vous rappelez toutes les attaques auxquelles le gouvernement à été en butte à l'occasion d'un de nos collègues qui a été acquitté. Que serait le procès de M. Berryer, puisqu'il faut le nommer, à côté de celui de madame la duchesse de Berry; que serait-ce qu'un tel acquittement à la face de nos lois et nos convictions mêmes? (Murmures.)

« M. Berryer. Si j'ai été acquitté, c'est que l'on a bien jugé, personne ne s'en plaint.

«M. le ministre. Je suppose enfin que vous l'ameniez à Paris, qu'elle parût devant la juridiction à laquelle sont déférés habituellement les délits politiques. Permettez-moi de vous montrer les conséquences d'une conduite qui me semble telle que je ne conçois pas que des hommes raisonnables, attachés à leur pays, puissent nous conseiller de lui en donner le spectacle.

« Vous la feriez venir de Blaye à Paris; vous échelonneriez So ou 100 mille hommes sur la route. ( Nouveau bruit, vives réclamations.)

« Une voix. Vous disiez qu'il n'y avait pas de carlistes: il y en a donc ?

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« M. le ministre. Vous transporteriez la prisonnière à Paris; vous l'enverriez sur la sellette du Luxembourg; vous la mettriez en face de la Chambre des pairs, de l'un des grands pouvoirs de l'état ; vous renouvelleriez les scènes épouvantables et devenues plus graves encore, du jugement des ministres. (Dénégations nombreuses... Longue agitation.)»

Lorsque le calme eut été rétabli, M. Thiers termina en rappelant les entreprises des partis, en indiquant leurs espérances, et en exprimant la conviction que la Chambre s'appliquerait à les tromper.

Deux des orateurs les plus influens de l'opposition répli

quèrent au ministre, M. Salverte fit observer que la stabilité des états dépendait du maintien scrupuleux et inviolable de la loi fondamentale, et qu'on pouvait réclamer l'exécution de cette loi, sans être un factieux. Quant au pouvoir de faire ce qu'on appelait des actes politiques, il le cherchait vainement dans la Charte.

«M. le ministre des affaires étrangères, disait-il, a prétendu établir ce pouvoir sur la nécessité, et là-dessus il a assimilé la révolution de juillet, la déchéance de Charles X, tous les actes qui en ont été la suite, à des actes émanés de ce pouvoir politique. Non, messieurs, c'est méconnaître absolument les événemens. Il a parlé de la Charte qu'on avait violée. La Charte de 1814? elle n'existait plus; Charles X l'avait déchirée et en avait jeté les lambeaux au vent; ils n'ont pas été retrouvés ; la Charte de 1830 ? elle n'existait pas encore, elle était à faire.

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« Charles X s'était mis en guerre avec la nation, la nation l'a renversé. On a argué de sa générosité pour le malheur, des égards qu'on a eus pour Charles X à son départ, c'est à tort. La nation lui a dit : Sortez du territoire, nous vous épargnons, nous oublions le passé; mais ce n'était pas une dette, c'était un acte digne de la nation française, dont on ne peut inférer que Charles X a des droits; il n'en avait pas conservé, la révolution, et non pas cet empire fictif de la nécessité, avait brisé tous ses droits. La loi du bannissement en était une conséquence nécessaire, évidente. J'ai entendu parler tout à l'heure de loi fondamentale qu'on avait renversée, de quatorze siècles d'existence qui avaient donné leur sanction à la légitimité. Ces paroles souvent répétées ne s'adressent qu'à des hommes qui ignoreut l'histoire de la monarchie, combien elle a été peu stable, combien a été restreinte l'allure du pouvoir monarchique; surtout elles ne peuvent pas s'adresser aux hommes qui ont fait la révolution de 89 et de 1830. Laissez donc de côté ce mot nécessité. Tous les actes qui ont suivi la révolution de juillet ont été faits par cette révolution, et en ont été le complément; et vouloir aujourd'hui, sous quelque prétexté que ce soit, recourir à une nécessité, ce serait supposer que nous sommes encore en révolution. »

M. le ministre du commerce avait dit que le procès était impossible, parce qu'il fallait des faits, une loi, des témoins; et l'instant d'après, le ministre lui-même avait cité des faits très-positifs et très-graves.

« Quant à la loi, ajoutait M. Salverte, elle est dans le Code pénal; je ne sache pas qu'il y ait nulle part une loi qui permette des actes semblables à ceux dont M. le ministre des affaires étrangères est convenu que madame de Berry était avec raison accusée.

« Mais, vous dit-on, elle est sortie du droit commun. Pourquoi? parce que la loi du 10 avril 1831 a déclaré qu'elle n'est plus Française, qu'elle ne peut plus posséder en France; par conséquent elle est étrangère à vos lois. Un honorable député de la Haute-Loire a été plus loin, il vous a dit qu'elle ne pouvait être soumise aux lois. Supposez que la loi de 1831 ait assimilé madame de Berry à une personne frappée de mort civile, qu'elle l'ait rendue semblable à un étranger; dans tous les cas, si les faits

dont elle est accusée, qui ressortent des pièces qu'on a saisies à l'époque de son arrestation et dans d'autres circonstances, constituaient un délit contre la sûreté de l'Etat, il est évident qu'une personne frappée de mort civile, qu'un étranger qui excite à la guerre civile, à l'assassinat, est dans tous les pays du monde justiciable des tribunaux du pays qu'il veut troubler; que, quand on est sur un Etat quelconque, il n'est pas besoin d'avoir prêté serment aux lois du pays; son droit est de se défendre et de frapper celui qui le trouble de la loi que personne n'est censé ignorer. Mais, vous a dit l'honorable député de la Haute-Loire, vous seriez à la fois juges et parties; madame de Berry représente un parti opposé à la révolution de juillet, au gouvernement que vous avez fondé. Il n'arrive jamais qu'une société soit ainsi divisée, ou bien il n'y aurait que la force entre les deux factions ainsi séparées. Ici le peuple français a prononcé ; et certes, quoiqu'on nous ait parlé de quelque quatre-vingt ou cent mille mécontens, en supposant qu'ils existent, ce que je ne crois pas, leur nombre ne ferait pas que la décision du peuple français dût être invalidée.

« Quant au danger qu'on a prétendu faire ressortir d'un procès où, dit-on, le droit de la révolution de juillet serait mis en doute, je ne crois pas que vous puissiez en être touchés. Comme l'a dit l'un des ministres, nous avons tous foi dans la durée de la révolution et des institutions qu'elle a fondées, nous ne craignons pas davantage qu'il soit besoin d'avoir quatrevingt ou ceat mille soldats échelonnés sur la route pour un pareil jugement." «Que l'on n'assimile pas cet événement à celui du procès des ministres. Il est arrivé dans un temps où les esprits ne se ressentent plus des inconvéniens de la révolution; vous êtes aujourd'hui tranquilles, parce que les derniers événemens politiques ont prouvé à tous comme à vousmêmes qu'on ne vous attaquerait pas impunément; qu'à l'extérieur, comme à l'intérieur, vous étiez maîtres de vos propres affaires. Dans cette position, il faut que la loi s'exécute, qu'il n'y ait, comme on l'a dit, que le Roi d'inviolable en France.

« Quant à cette singulière théorie qui viendrait faire partager à sa famille une partie de son inviolabilité, je ne ferai qu'une réponse: elle est bien simple; c'est que toutes les exceptions à la loi commune doivent être écrites dans la loi. L'exception qui empêcherait de soumettre à un jugement les personnes d'une famille qui a régné ou qui règne actuellement, n'existe pas dans la Charte ; vous ne devez pas la supposer.

« Pour le mouvement dont on a parlé, soyez sûrs que la violation de la loi exciterait le mécontentement, et qu'au contraire son exécution achèverait d'user l'espérance aux partisans de la dynastie déchue.

« Je n'ajouterai qu'un mot : en réclamant l'exécution de la Charte, nous savons qu'elle contient tout ce qui est nécessaire pour concilier la sûreté et la dignité de la nation avec les vœux que peut vous inspirer la générosité du caractère national. >>

M. Odilon Barrot s'attacha d'abord à faire comprendre quelles seraient les conséquences de l'ordre du jour proposé par la commission. La commission avait bien déclaré qu'elle n'entendait engager la Chambre dans aucune des questions que pouvaient soulever les pétitions, que cet ordre du jour ne serait de sa part qu'une déclaration d'incompétence, d'absence de pouvoirs, pour s'immiscer dans des questions dont Ann. hist. pour 1833.

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