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Nous ne portons, dit it, aucune espèce d'intérêt aux hommes qui ont fait la guerre à leur patrie; mais il est de notre devoir de donner à la Chambre des éclaircissemens de fait, et de faire valoir les dispositions de la Charte, lorsque les propositions qui vous sont faites pourraient y porter atteinte. Ce n'est donc pas dans un intérêt politique, mais c'est uniquement dans un intérêt de légalité, et de haute légalité, puisqu'il s'agit de la Charte, que je prends la parole au nom du gouvernement.

«Je vais parcourir les diverses catégories de nos pensions, et vous verrez qu'elles sont légalement inattaquables. J'ajouterai quelques explications de fait qui prouveront que la révision demandée ne donnerait pas tous les résultats qu'on paraît en attendre. Ces résultats seraient bien Loin de procurer une économie de 12 millions, car le chiffre sur lequel la révision pourrait porter est tout au plus de 1,500,000 fr.

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Sont inscrites au budget:

Les pensions de la pairie, qui montent à 874,000 f.;

20 Les pensions civiles qui montent à 1,507,000fr.;

« 39 Les pensions pour récompenses nationales, 785.000 fr.
4° Les pensions aux vainqueurs de la Bastille, 200,000 fr. ;
«5 Les pensions ecclésiastiques, 4,000,000 fr.;

« 6o Les pensions des donataires, 1,487,000 fr. ;

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Les pensions militaires, 43,854,000 fr.

« C'est là la catégorie complète de toutes nos pensions sans en, omettre aucune. »

Le ministre examina chacune de ces sortes de pensions dont les dernières seulement, les pensions militaires, étaient attaquées. Il ne dissimulait pas la facilité avec laquelle avait opéré la commission chargée de constater les services rendus, dans les armées de l'Ouest et dans celles de l'émigration. Les pepsions de cette catégorie avaient été liquidées au chiffre de 4 millions, réduit par les extinctions à 1,400,000 ou 1,500,000 fr. Comment sur ce chiffre obtenir une économie de 12 millions? comment réviser cette masse de titres? La légalité d'ailleurs se joignait à l'impossibilité. La Charte, dans son art. 60, s'opposait à tout projet de révision, et le vote émis par la Chambre l'année précédente, confirmait le texte de la Charte.

Parmi les orateurs qui prirent part au débat, deux surtout,, MM. Dubois et Baude, appelèrent l'attention, parce que la chaleur avec laquelle ils appuyèrent l'amendement de M. Bousquet entraîna des mesures politiques.

« Après la discussion, dit M. Dubois en succédant à M. Charlemagne, que vous venez d'entendre sur la légalité des pensions, telle qu'elle vient d être alléguée par M. le ministre des travaux publics, je n'ai pas à entrer dans cette partie de la question. Je ne ferai qu'une simple observation,

sur l'article 60 de la Charte qui a été opposé; c'est que cet article n'a été que la copie textuelle de l'article de l'ancienne Charte de 1814, article qui avait été inscrit dans notre loi fondamentale pour défendre les droits de nos armées, et comme politique en faveur de la restauration qui craignait l'indignation nationale. Cet article est passé sans aucune réflexion dans la Charte nouvelle ; il n'a été ni modifié ni discuté. Certes, messieurs, si la discussion s'était engagée au jour où la Charte se faisait dans le sein de cette Chambre, il ne se serait pas élevé une voix pour couvrir sous le titre de, pension ce que la restauration avait cru devoir donner aux serviteurs de l'étranger et à ses propres serviteurs contre l'indépendance et la liberté du pays.»

Quant à l'argument tiré de l'article 60 de la Charte, MM. Odilon-Barrot et Mauguin soutinrent aussi que cet article, qui figurait dans la Charte de 1814, n'avait été que le pacte de la légitimité avec la révolution.

Suivant M. Mauguin, l'art. 60 n'avait pas été voté, n'avait pas acquis de date nouvelle, et n'avait que celle de 1814. De vives réclamations interrompirent l'orateur, qui repoussa l'inculpation de porter atteinte à la Charte en rappelant la manière dont elle avait été faite.

contenant

« J'engage les personnes qui m'interrompent, dit-il, à lire le Bulletin des lois... Elles se convaincront que l'on n'a rendu ici qu'une loi les amendemens à la Charte, que l'autre Chambre n'a sanctionné qu'une loi contenant les amendemens à la Charte, et que la couronne n'a promulgué qu'une loi contenant les amendemens à la Charte. Je vous engage à consulter le Bulletin des lois ou le procès-verbal de la Chambre, et vous verrez qu'on n'a délibéré en aucune manière sur les art. 61, 62 et 63. (Nouveaux bruits mêlés d'interpellations.) »

Le tumulte avait à peine cessé, lorsque M, Baude prit la parole et déclara qu'il s'associait au fond de la proposition de M. Bousquet, bien que dans la forme il jugeât convenable de la modifier. Après avoir indiqué ces modifications, il ajouta :

« Quant au reste de l'amendement de M. Bousquet, j'y adhère d'autant plus complétement qu'il paraîtrait, par un document distribué aujourd'hui même à la Chambre, que la tradition des principes qu'a voulu combattre notre honorable collègue n'est pas encore effacée. A la page 31 de l'état des pensions de l'armée, j'en trouve une de 3, 550 fr., donnée à un traître, à un misérable qui est passé à l'ennemi la veille de la bataille de Waterloo; il s'appelle Anne-Louis-Antoine Clouet; et dans ce moment même il est encore en état de désertion. Je demanderai à M. le ministre de la guerre comment un nom qui devrait être attaché au pilori... (vives réclamations sur quelques bancs des centres) figure en 1832 sur un état de récompenses nationales. >>

Plusieurs fois dans le cours de cette orageuse discussion,

M. Thiers avait reparu à la tribune, et combattu chaque partisan de la proposition. M. Bousquet ayant adhéré aux modifications de M. Baude, l'amendement ainsi réduit à deux paragraphes fut mis aux voix : les deux extrémités et quelques membres siégeant aux sections intermédiaires se levèrent pour, mais les centres et un grand nombre de députés des autres sections se levèrent contre une première épreuve resta douteuse; la seconde décida le rejet de l'amendement. Quelques membres des centres firent entendre le cri de Vive la Charte! Un membre, dans une intention d'ironie et de blâme, proféra le cri bientôt répété par les extrémités, de Vivent les traîtres! vivent les chouans!

Le Moniteur du lendemain, 6 mars, contenait les deux mentions suivantes :

<< Par ordonnance de ce jour (5 mars), M. Baude a cessé de faire partie du conseil d'état.

«Par arrêté de M. le ministre de l'instruction publique, M. Dubois (de la Loire-Inférieure) a cessé d'exercer les fonctions d'inspecteur-général de l'instruction publique. »>

Le jour même, à la Chambre, à propos de la discussion du projet de loi des crédits supplémentaires pour 1852, M. Odilon-Barrot interpella le ministre de l'instruction publique sur la récente destitution de M. Dubois, qui avait refusé les faveurs de la restauration, qui avait combattu dans l'ordre légal avec une modération et une fermeté de caractère également honorable, qu'enfin la révolution de juillet avait rendu à l'université. Dans sa réponse, M. Guizot commença par écarter la question de personnes, pour ne s'attacher qu'à celle de principes: il traita en passant celle de l'inamovibilité des fonctions de l'instruction publique, qui, suivant lui, n'existait que pour les fonctions de l'enseignement et non pour les fonctions administratives. Puis abordant le point principal du débat :

« Ce n'est plus, dit-il, une question d'université; c'est une question de politique générale, d'administration générale de l'état. L'honorable préopinant

fait l'honneur de citer quelques phrases que j'ai écrites il y a déjà longues années. La cause que j'ai détendue alors, je la défends également aujour d'hui. La liberté du vote, du vote personnel, du vote silencieux... (Vive interruption... Exclamations diverses.) La liberté du voté, du vote personnel, soit de l'électeur, soit du député, je l'avoue complétement. Messieurs, les exemples ne manquent point au dehors ni au dedans de cette Chambre, pour prouver que le gouvernement ne professe pas et ne pratique pas une autre doctrine. Les deux honorables membres sur lesquels a porté la mesure dont on parle ne sont pas les seuls qui aient attaqué les mesures du gouvernement, qui aient manifesté de l'opposition; ils sont cependant les seuls qui aient été frappés. »

Après avoir répondu à quelques observations qui s'élevèrent ici, le ministre continuait ainsi :

"

Mais, messieurs, toutes choses dans ce monde sont des questions de plus ou de moins; toutes choses ont leur limite, et quand l'indépendance, la liberté du vote va non seulement jusqu'à l'opposition avouée, mais jusqu'à cette opposition qui porte sur le fond des principes, sur le système et la conduite générale du gouvernement; quand cette opposition, radicale quant au fond des choses, devient en même temps violente dans la forme; quand on en arrive à ce point, je dis que le gouvernement se doit à lui-même de ne pas souffrir que sa dignité soit blessée par cette hostilité dans ses propres rangs, par cette opposition radicale, systématique.... (rumeurs aux extrémités), portant sur le fond... (Interruption.)

« Je dis que lorsque l'opposition arrive à ce point de n'être plus simplement un acte d'indépendance et de liberté, mais d'être en même temps une déclaration de principes et d'intentions contraires aux principes et aux intentions du gouvernement, contraires à la conduite générale du gouvernement, je dis qu'alors il est impossible qu'un gouvernement qui veut faire les affaires du pays, qui veut le faire selon ses idées et sa conscience, supporte dans son sein une telle dissidence, principe funeste de désordre et de faiblesse, principe qui détruit la force vitale du gouvernement... (assentiment aux centres), qui lui ôte la confiance au dehors, qui empêche ses amis de se rallier énergiquement autour de lui, qui détruit cette unité sans laquelle toute administration est impossible.

<< Ceci est tout simplement une question de bon sens et de loyauté pour chacun de nous... (Exclamations dubitatives aux extrémités. ) Oui, une qustion de bon sens et de loyauté; et j'en parle, non pas en théorie, mais par ma propre expérience. »

M. Guizot rappelait la destitution dont il avait été frappé en 1820; il avait trouvé naturel que le gouvernement se séparât d'un fonctionnaire par qui la ligne de conduite qu'il suivait avait été hautement proclamée mauvaise. On ne peut pas, disait-il, être à la fois dans la garnison de la place et dans l'armée des assiégeans.

«. L'un des honorables membres qui m'interrompaient tout à l'heure, continuait M. Guizot, m'a dit, m'a crié : « Mais vous proclamez l'incompatibilité des fonctions de député avec les emplois publics! »

« Messieurs, ce n'est pas dans notre Chambre que cette question se dé. cide; c'est au dehors, dans les colléges électoraux ; ce sont les électeurs Ann. hist. pour 1833.

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qui en sont juges. (Rumeurs aux extrémités. ) Quand les électeurs trouvent que les principes, la direction, la conduite de l'administration leur conviennent, ils envoient ici des hommes qui sont de cet avis. Que ces hommes deviennent ou ne deviennent pas fonctionnaires, peu importe; s'ils deviennent fonctionnaires, c'est que les électeurs ont voulu qu'ils marchassent dans cette direction, qu'ils suivissent ces principes. Si les électeurs sont d'un autre avis, ils n'envoient pas à la Chambre des hommes qui soient de l'avis de l'administration, mais des hommes d'un ayis contraire, et l'administration est obligée de changer de principes. Il n'y a là rien que de très-simple.

« li ne résulte donc de ce que j'ai l'honneur de dire à la Chambre ; aucune incompatibilité entre les emplois publics et les fonctions de député; il en résulte seulement que chacun suit son opinion avec conscience, agit selon son opinion et se place dans la situation qui correspond à son opinion', au lieu de se placer dans une situation contraire.

« Il s'agit donc de savoir si dans le cas particulier qui nous occupe, et qui a donné lieu à la mesure attaquée, les faits sont d'accord avec les principes que je viens d'exposer à la Chambre. Or, je ne puis m'empêcher de penser, et je le répète sans faire aucun tort, dans ma propre pensée, aux honorables membres qui ont été l'objet de cette mesure, je ne puis m'empêcher de penser qu'ils ont manifesté hier une opposition, une dissidence de principes, d'intention avec le gouvernement, une dissidence radicale quant au fond et violente quant à la forme.

u Au centre. Oui, oui! (Bruits aux extrémités.)

« Je dis que la dissidence est radicale quant au fond. Et que voulez-vous de plus radical qu'une dissidence qui porte sur la Charte... (exclamations aux extrémités), qui porte sur le sens, sur la valeur de la constitution même de l'état?

« On vous a dit hier à cette tribune, ce n'est pas l'honorable membre auquel je fais allusion qui l'a dit, mais ce sont les amis avec lesquels il vote; on vous a dit que vous aviez deux Chartes, une Charte aperçue et une Charte inaperçue, une Charte réfléchie et une Charte irréfléchie, une Charte de 1814 et une Charte de 1830.

« Eh bien, nous, messieurs, nous croyons que nous n'avons qu'une Charte, qui n'a qu'une date, qui a été également réfléchie dans tous les articles au moment où elle a été votée. Nous n'adoptons pas cette distinction entre des articles qui ont passé inaperçus, et d'autres articles sur lesquels on a longuement délibéré; nous disons que tous les articles de la Charte sont de même date, de même valeur, qu'ils ont la même autorité, et qu'il est contraire à l'essence même de la constitution de venir faire de telles distinctions.

« Quand il y a différence d'opinion, de sentiment sur un point aussi fondamental, je vous le demande, n'est-ce pas là une dissidence radicale, une de ces dissidences qui permettent de s'estimer toujours, de s'honorer profondément; mais qui ne permettent pas de marcher et d'agir ensemble.">

De la constitution passant à la politique habituelle du gouvernement, politique de pacification générale et définitive, ennemie de toutes réactions, le ministre terminait en déclarant que ce système lui avait paru en contradiction manifeste avec la mesure proposée la veille et soutenue par MM. Baude et Dubois.

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