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CHAPITRE VIIL

Proposition de M. Viennet, tendant à citer le gérant du journal la Tribune devant la Chambre des députés. - Discussion et jugement. Loi relative au crédit pour mesures sanitaires. — Lois relatives aux réfugiés politique. Loi tendant à accorder des pensions aux gardes nationaux blessés, aux veuves et orphelins de ceux qui ont succombé dans les troubles de l'ouest, ou dans les troubles de juin à Paris. Loi qui autorise une levée de 80,000 hommes. Loi relative à la pêche maritime. Loi relative aux céréales. Loi tendant à l'acquisition des bibliothèques de MM. Cuvier et Champollion, et aux pensions à faire à leurs veuves. Loi relative à l'exportation des sucres.- Objets divers: douanes, organisation municipale, responsabilité ministérielle, divorce, pensions des veuves de divers généraux, Panthéon, ancienne liste civile, fortifications de Paris. Pétitions. Clôture de la session.

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La Chambre des députés allait clore la discussion du budget des dépenses, et semblait de plus en plus empressée d'en finir avec la session de 1832, que celle de 1833 devait suivre immédiatement, lorsqu'un incident, dont nous avons déjà dit quelques mots dans le précédent chapitre, surgit tout à coup. Le 2 avril, vers la fin de la séance, M. Viennet demanda la parole.

« Messieurs, dit-il, de journal intitulé la Tribune a porté dans le numéro de ce jour les plus graves accusations contre un de vos membres et contre la Chambre elle-même.

«Je vous demande la permission de vous donner lecture de ces deux articles. Le premier est intitulé: Questions à M.Viennet. (Silence! silence!) « Il y a dans certain ministère un chef de bureau nommé Rosman; ce «< chef a un caissier appelé Gérin.

« Celui-ci est chargé de payer chaque mois aux amis bien connus de la « royauté, et à des titres plus ou moins heureusement inventés, de légers << secours prélevés sur les fonds secrets; ici, pour payer la parole hardie; là, « pour récompenser le silence; plus loin, pour décider une conscience incer«taine, quelquefois pour assurer une conversion.

« Il y a un certain nombre d'hommes, parlementaires et autres, qui sont « très-connus de l'excellent M. Gérin.

« Serait-il vrai, comme on nous l'assure depuis plusieurs jours, que « l'honorable.... >> ....» Ici l'on s'est servi d'une périphrase littéraire.

« Voix nombreuses. Lisez! lisez !

« M. Viennet continuant. « Que l'honorable chantre des mules aurait des

« relations très-intimes avec l'estimable caissier dont nous avons parlé plus haut ?

«Serait-il vrai que depuis le ministère Montalivet, le digne correspon«dant des chiffonniers (bruit), reçoive une indemnité.... (prenez le terme « le plus honnête) qui est de 1,000 fr. par mois, pour ses bons et loyaux << services?

«Nous n'avons garde de l'affirmer : nous faisons seulement cette question « à M. Viennet et à ses amis, non que nous ayons en aucune façon l'en« vie de causer le moindre déplaisir à l'honorable: ce serait trop d'ingratitude de notre part, car il est assurément de tous les hommes de ce « temps celui qui nous console le plus, par ses innocentes bévues, de tous les chagrins que nous cause le triste spectacle auquel nous assistons. << Bien loin de contester sur le chiffre, nous le trouverions même très« inférieur au mérite de ce député; car certainement Arnal n'est pas si comique, et je crois qu'il gagne au moins autant: ce n'est pas juste. It « serait utile néanmoins de savoir si cet admirable faiseur de discours est enrôlé dans la compagnie Gérin. Nous prions qu'on nous en dise un mot.» « L'autre article dit :

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«La Chambre s'est occupée aujourd'hui de la question des fortifications « de Paris.

« En thèse générale, il est incontestable que la puissance d'une capitale s'augmente de toutes les défenses qui la protegent, et qui en rendent «l'accès inabordable à l'ennemi.

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« Les exemples ne sont pas ici moins concluans que la théorie, et la « Tribune, dès les premiers jours d'août, lorsqu'on ne pouvait pas prévoir « encore à quel degré d'abaissement le trône nouveau humilierait le pays, « demanda avec instance que l'on s'occupât de fortifier la capitale.

«Alors on n'y songeait guère, et tous les efforts du nouveau pouvoir « étaient dirigés vers la création d'une autre sainte-alliance des trônes « contre les nations.

« Plus tard, et quand ce pouvoir est devenu complétement hostile au pays, il a cherché, non à se protéger contre l'étranger avec lequel il s'est « uni, mais contre le peuple dont il a tout à craindre.

«On s'est imaginé, dès ce moment, de construire, non pas des fortifica«<tions protectrices de la capitale, mais des casernes fortifiées, qui servi«raient au besoin à s'en rendre maître.

« Tout a concouru à ce nouveau système : Vincennes est devenu une « espèce de château féodal encombré de casemates, garni de souterrains, « et bien moins propre au combat qu'à la peur, lieu d'asile pour la «< couardise aux abois, sorte de terrier où toute une famille pourrait se « mettre à l'abri du fer et du feu.

« Puis on a jeté autour de Paris une ceinture qui permettra au despo« tisme de l'enserrer, qui pressera la capitale, la bouclera pour ainsi dire « par les reins, et, sous le vain prétexte d'un camp retranché, donnera ales positions les plus fortes à une garnison de 60,000 hommes qui mena«ceront incessamment et les Chambres et la presse, et tout ce qui aura « quelque influence sur la marche des affaires.

C'est là qu'on est arrivé. La Chambre veut aujourd'hui qu'on ne fasse « fortifier Paris que moyennant l'autorisation législative... Ne dirait-on « pas, à voir ce sérieux des mandataires, que ce mot a une valeur? Comme « s'ils ne voteront pas tout ce qui leur sera demandé!......... »

Vous venez d'en donner la preuve à l'instant.

Comme si aujourd'hui même la majorité ne s'était pas associée à la « loi flétrie qui met aux mains du ministère un instrument de vengeance « contre l'exil et le malheur!

« Oh! le bon billet de La Châtre que nous donne là cette Chambre prosti

« tuée! (Violente rumeur aux centres.) Le ministère n'hésitera pas sans « doute à se rendre à ce von. Déjà le journal semi-officiel du jour fait « entendre que ses patrons ne répugnent guère à cette concession.

«Ils auraient bien de la mauvaise grâce, en effet, de ne pas céder « quelque chose au parlement qui leur accorde tout ce qu'ils demandent. «Que la loi soit présentée, et le système du gouvernement l'emportera. « Car c'est ici tout le représentatif; un peu de grimace, quelques discours, « une opposition inutile et qui est là comme l'ombre au tableau, puis des « boules blanches plus qu'il n'en faut, et le pays paie, et le peuple souffre, « et la royauté bourgeoise se frotte les mains, et Louis-Philippe se croit << tout le génie de Napoléon.

« Allons! tout ceci va bien, et le char roulerå jusqu'à ce que cette des«tinée inévitable, qu'on nomme le hasard, jette un pavé sous la roue..... « Alors.... Mais sachons attendre ce pavé. » .

«S'il ne s'agissait que de moi, je ne répondrais à une pareille accusation, que ma vie entière dément, que par le mépris; ce serait l'arme que j'opposerais à ces calomnies; mais il s'agit de l'honneur de la Chambre attaquée dans l'un de ses membres; mais elle est attaquée elle-même.

« Je demande que le gérant de la Tribune soit cité à la barre'de la Chambre. (Aux centres, avec force. Appuyé! appuyé! Longue agitation. ) »

L'orateur qui parla le premier, M. Laurence, se prononça contre la proposition. Dans son opinion, les assemblées politiques trouvaient peu d'avantages à citer devant elles les auteurs d'outrages qui leur étaient adressés, et à se constituer ainsi juges dans une cause tout-à-fait personnelle. A cet égard, il rappelait la procédure du Journal du Commerce, traduit à la barre de la Chambre, sous la restauration (1er mars 1826), et défendu par un avocat, aujourd'hui garde-des-sceaux, siégeant dans le moment même au banc des ministres. L'éditeur n'avait été condamné qu'à une peine infiniment légère, et rien n'indiquait que la Chambre eût eu à se féliciter de son arrêt. Les autres orateurs, qui succédèrent à M. Laurence, se contentèrent de rappeler la procédure observée à l'égard de l'éditeur du Journal du Commerce et d'insister, soit pour le renvoi au lendemain, soit pour le renvoi à une commission (MM. Rouillé de Fontaine, Gaëtan de la Rochefoucauld, Debelleyme, Dumeylet, Martin du Nord). Ce dernier parti fut adopté, conformément aux dispositions littérales du nouveau régle

ment.

4 avril. La commission, dont M. Persil présenta le rapport, était d'avis que si une Chambre, qui représentait le

pays, pouvait mépriser la plupart des injures que lui adressaient les partis, cependant, lorsque l'outrage devenait un système, lorsque, depuis le magistrat suprême jusqu'au dernier anneau du pouvoir, tout était attaqué dans le but avoué de substituer une autre forme de gouvernement à celle que les mandataires du pays avaient juré de maintenir, il fallait que les personnages revêtus de hautes fonctions publiques s'efforçassent de faire respecter leur autorité.

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Sans prétendre, ajoutait le rapporteur, juger dès à présent le gérant du journal la Tribune, la commission a cru devoir résoudre affirmativement la question. Avant d'avoir entendu les explications et la défense du gérant,. il serait difficile de ne pas regarder comme offensant le reproche adressé à certain nombre d'hommes parlementaires, de puiser dans la caisse des fonds secrets, ou pour payer leurs paroles hardies, ou pour récompenser leur silence, ou pour décider leurs consciences incertaines. Il en est de même de la qualification de Chambre prostituée.

«En nous confiant une partie de sa souveraineté, le pays a remis en nos mains le dépôt et la garde de sa propre dignité. Chacun de nous peut mépriser les injures personnelles ; mais nous trahirions le plus sacré de nos devoirs, si nous montrions la même indifférence pour la dignité nationale.

« Il nous a donc paru que c'était le cas d'appeler le gérant à la barre de la Chambre. »

L'article 15 de loi du 25 mars 1822, confirmée depuis la révolution de juillet par la loi du 8 octobre 1830, laissait à la Chambre le choix ou de traduire le prévenu à sa barre, ou de le renvoyer devant les tribunaux ordinaires. La commission fit observer qu'il y aurait de graves inconvéniens à se dessaisir de cette juridiction qu'elle considérait comme aussi salutaire qu'exemplaire, et que la dignité de la Chambre ne pourrait qu'en souffrir. M. Persil s'appuyait des paroles mêmes du rapporteur de la loi du 25 mars.

« Le sentiment de délicatesse et de susceptibilité, dit-il encore, qui pourrait faire désirer le renvoi devant les tribunaux ordinaires, n'est certainement pas assez réfléchi.

.« On semble croire qu'il s'agit de faire juger par les membres de la Chambre une offense qui leur soit personnelle, c'est évidemment une erreur : sauf M. Viennet, qui à juste titre peut se trouver outragé par les articles de la Tribune, il n'est aucun de nous qui soit personnellement désigné et offensé. C'est le pays qui est attaqué dans sa représentation, c'est lui qui pourrait souffrir de l'offensante qualification de Chambre prostituée; c'est la société qui pourrait être blessée par l'outrageante supposition que la France serait représentée par une Chambre vénale. En jugeant ce délit, les membres de la Chambre ne jugeront pas dans leur intérêt, mais unique

ment pour la société qui demande une éclatante justice par le pays luimême, par ce grand jury que nul en n-France n'a le droit de récuser.

« Ces considérations nous ont déterminés, messieurs, à vous proposer de ne pas renvoyer devant les tribunaux, et de décider que le gérant du journal la Tribune sera cité à votre barre.

La commission s'était en outre occupée du mode de procéder. Le droit commun accordait au prévenu l'appui d'un défenseur quant au jugement, voici ce qu'elle avait réglé:

« Aprèsa voir entendu la défense, la Chambre doit entrer en délibération, Une proposition quelconque doit en faire la base, autrement la Chambre n'arriverait que peniblement et avec une grande perte de temps à son but. Cette proposition a paru à votre commission ne pouvoir être autre que celle-ci : Le prévenu est-il coupable?

« La discussion fermée, il s'agirade voter. La gravité de la décision ne permet pas qu'elle soit prise par assis et levé. Le scrutin secret, en la manière accoutumée, avec boules blanches et noires, nous a paru le seul mode à adopter.

«Si la Chambre est d'avis que le prévenu n'est pas coupable, M. le président proclamera son absolution. Dans le cas contraire, il devra immédiatement faire voter sur l'application de la peine.

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« Mais ici devaient encore se présenter de nouvelles difficultés. Attendrat-on les propositions des membres de la Chambre? elles peuvent être trèsmultipliées : l'échelle. à parcourir entre le minimum et le maximum de ces mêmes peines est étendue, et il peut y avoir autant de propositions que de fractions de ces mêmes peines; ce serait une opération interminable.

« Votre commission a pensé qu'elle éviterait toutes ces difficultés, et ces lenteurs, en vous proposant de voter par bulletin écrit, chacun de vous écrirait sur son bulletin la peine qu'il croirait devoir être infligée dans les limites déterminées par les lois. (Mouvemens divers.) »

La proposition de renvoyer au lendemain samedi la discussion de ce rapport fut vivement combattue par M. GlaisBizoin, qui voulait qu'avant de juger quelques paroles offensantes, la Chambre achevât les lois sur l'instruction primaire, sur les attributions municipales, et par M. Salverte, qui demanda le renvoi au lundi suivant ce terme fut adopté.

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8, 9, 10 avril. En ouvrant la discussion, le président invita la Chambre à faire preuve de modération, de calme, de dignité dans une cause toute personnelle. Plusieurs orateurs combattirent et appuyèrent tour à tour le projet de résolution. M. Gaëtan de la Rochefoucauld soutint que la Charte de 1830 avait aboli la loi qui conférait à la Cham

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