Page images
PDF
EPUB

:

dangereux en ce qu'il pourrait détourner les instituteurs de leurs véritables fonctions et changer leur chaire en tribuue politique l'amendement fut rejeté. La Chambre rejeta encore diverses autres propositions moins importantes, et tendant également, soit à introduire quelques matières nouvelles dans l'enseignement, soit à en exclure quelques autres.

Après avoir successivement admis sans discussion les articles 2, 3, 4 et 5, la Chambre arriva (30 avril ) à un amendement de M. Vatout, ayant pour objet de soumettre à diverses formalités toute association qui voudrait former une institution primaire. Cet amendement était exclusivement dirigé, d'après les développemens de son auteur, contre la société des jésuites, et devait paralyser tous leurs efforts pour s'introduire dans l'enseignement et pour le vicier. Signalant l'esprit dangereux de cette société et sa persévérance à vouloir regagner le terrain qu'elle avait perdu, M. Vatout recommandait vivement sa proposition comme mesure d'urgence. Toutefois, MM. Delaborde, et Renouard lui reprochèrent d'être contraire au principe même du projet de loi qui consacraît la liberté de l'enseignement, et au droit d'association. Le ministre de l'instruction publique ajouta d'ailleurs qu'on trouverait, les garanties nécessaires dans les lois existantes, en vertu desquelles toute association qui s'établissait était obligée de communiquer préalablement ses statuts à l'autorité. La Chambre rejeta l'amendement.

Naturellement peu animés, d'après la nature même des objets en délibération, tant qu'ils ne roulèrent que sur les la trois premiers titres de la loi, qui furent adoptés par Chambre tels que les avaient rédigés le ministre, à très-peu de chose près, les débats ne prirent quelque vivacité qu'à propos du titre IV, relatif à la composition et aux auribur tions des comités de surveillance.

2 mai. Le projet du gouvernement préposait à la surveil lance de l'instruction primaire un comité communal com

posé du maire, du curé et de trois conseillers municipaux, et un comité d'arrondissement, La commission,.consacrant le second de ces comités, était d'avis de supprimer le premier, que le maire et le conseil municipal remplaceraient. M. Jou vençel, rejetant l'un et l'autre système, voulait substituer à ces deux surveillances trop immédiates et trop éloignées, la surveillance intermédiaire, et pour cela même plus efficace, des comités cantonnaux créés par une loi de 1816, et déjà reconnus utiles sur plusieurs points du territoire. Combattu par M. Renouard et par le ministre de l'instruction publique comme inutile et impraticable, en ce que les comités cantonnaux n'étaient pas constitués pour la plupart, cet amendement fut rejeté. Restaient donc en présence le projet du gouvernement et celui de la commission. La question qu'ils donnaient à résoudre était, en dernière analyse, celle de savoir si, conformément au projet du gouvernement, les curés feraient partie du comité de surveillance, ou s'ils en seraient exclus, selon le voeu de la commission. Un discours de M. Mahul ouvrit cette discussion, qui fut intéressante dans sa marche et dans son résultat.

L'honorable membre se déclara pour le projet du gouvernement. Il invoquait l'expérience des pays étrangers, où l'instruction prospérait sous l'influence immédiate du clergé, et l'exemple même de la France, où les frères de la Doctrine Chrétienne avaient rendu tant de services à l'enseignement; il n'admettait pas la possibilité d'un système d'éducation primaire sans l'intervention ecclésiatique. Il reconnaissait que c'était chose grave sans doute d'introduire 30,000 curés dans l'enseignement, mais les en exclure ce n'était pas détruire leur influence forcée, c'était la provoquer au contraire à s'exercer d'une manière hostile. Toutes ces considérations furent reprises et largement développées par le ministre de l'instruction publique. L'exclusion des ecclésiastiques lui semblait un contre-sens législatif; elle lui paraissait en opposition manifeste avec l'esprit de la loi, qui voulait que

l'instruction fût morale et religieuse; or l'influence permanente d'un membre du clergé, du magistrat moral et religieux de chaque commune, était rigoureusement nécessaire pour que ce but pût être atteint. Car, disait le ministre, l'instruction morale et religieuse n'est pas une leçon, c'est l'atmosphère même dans laquelle les enfans doivent être élevés.

est

« Messieurs, ajoutait-il, prenez garde à un fait qui n'a jamais éclaté peut-être avec autant d'évidence que de notre temps : le développement intellectuel, quand il est uni au développement moral et religieux, excellent; il devient un principe d'ordre, de règle, et il est en même temps une source de prospérité et de grandeur pour la société. Mais le développement intellectuel tout seul, le développement intellectuel séparé du développement moral et,religieux devient un principe d'orgueil, d'in.subordination, d'égoïsme, et par conséquent de danger pour la société. (Assentiment dans plusieurs parties de l'assemblée. ) »

Le ministre s'efforçait de réfuter cette opinion généralement établie que le clergé repoussait l'instruction. Il fallait, au moins, admettre qu'une partie du clergé méritait d'être exceptée, et cependant l'exclusion, générale dans sa portée, devait comprendre les bons comme les mauvais pasteurs. Elle devait mettre tout le clergé de France en état de suspicion. Utile, nécessaire dans le comité communal, la présence du curé n'y pourrait d'ailleurs devenir dangereuse, puisqu'il y aurait toujours quatre voix contre la sienne, tandis que s'exerçant en dehors seule et sans discussion, son influence pouvait être fâcheuse.

«Messieurs, en pareille matière, continuait M. Guizot, il vant cent fois mieux avoir la lutte en dedans qu'en dehors. S'il doit y avoir lutte, que le curé malveillant, hostile, soit obligé de venir dans vos comités, de prendre part à l'administration de l'instruction primaire. S'il n'y vient pas, il se met dans son tort aux yeux de tous les honnêtes gens, de tous les pères de famille sensés; et c'est à vous qu'appartient le bon côté de la question; c'est vous qui avez été libéraux, modérés, raisonnables; c'est le curé qui est violent, intolérant, exclusif.

« Par l'autre système, vous perdez tous les avantages de cette position. Vous manquez, permettez-moi de le dire, vous nanquez au principe fondamental de votre gouvernement, qui, dans les petites comme dans les grandes choses, dans les écoles comme dans les Chambres, en matière d'instruction primaire comme en matière de gouvernement, est d'amener toutes les opinions, toutes les influences, tous les intérêts, à vivre à côté les uns des autres, à se connaître, à traiter ensemble, à transiger; cette vie commune de tous les intérêts, de toutes les influences, de toutes les opinions, c'est là le principe de la Charte, de la liberté, de la discussion, de la publicité, principe respecté, consacré par le projet de loi tel qu'il

vous a été présenté par le gouvernement, qui, si je ne me trompe, est méconnu, énervé par le projet de votre commission. »

Les partisans du projet de la commission ne le défendirent pas avec moins de chaleur. Membre de cette commission, M. Eschassériaux déclarait ouvertement n'avoir pas voulu conférer un privilége au clergé, parce que depuis quinze années ce clergé s'était montré, particulièrement en matière d'instruction, hostile aux principes de la révolution. Il ne pensait pas que dans une aussi grave question sociale, les ménagemens fussent admissibles. Une nation, disait-il, ne doit transiger ni sur les hommes ni sur les doctrines. La même opinion fut soutenue par M. Salverte qui s'alarmait de l'esprit de domination du clergé et des principes ultramontains dont il était imbu. Il faisait remarquer, au reste, que si la commission ne mettait pas de plein droit le curé dans le comité, elle n'empêchait pas qu'il y fût introduit par le choix des conseillers municipaux : il était évident que tous les bons curés seraient appelés dans les comités. Après avoir encore entendu M. Charles Dupin pour le projet du gouvernement, et, en faveur de celui de la commission, M. Vivien, qui rappelait que ce dernier se bornait à reproduire une proposition faite par le gouvernement même en 1831, la Chambre, au milieu d'une vive agitation, adopta à une faible majorité l'avis de la commission.

Les autres dispositions de la loi, surtout lorsque l'article relatif à la composition des comités d'arrondissement eût été admis, ne présentaient rien qui pût provoquer une opposition animée; cependant quelques amendemens prolongèrent la discussion. Ils tendaient en général à étendre les droits municipaux au préjudice des droits universitaires. C'est ainsi que M. Taillandier voulait ne pas soumettre à une institution donnée par le ministère de l'instruction publique les instituteurs communaux, dont la nomination était attribuée au comité de surveillance: la Chambre substitua seulement, à une faible majorité et sur la proposition de

* ་

M. Jouvencel, le préfet du département au ministre, pour l'institution à donner. Dans le même but de restreindre l'intervention universitaire, M. Taillandier présenta encore des objections contre le droit exclusivement laissé au ministère de nommer les commissions chargées d'examiner les candidats-instituteurs; mais la Chambre jugea que la publicité introduite dans ces examens par un paragraphe additionnel de la commission, était une garantie d'équité suffisante. Enfin quelques autres amendemens, relatifs soit aux dispòsitions à prendre à l'égard des instituteurs actuellement en exercice, soit au mode de l'enseignement à donner aux militaires et aux prisonniers, ayant été écartés, et l'article dernier du projet concernant les écoles des filles ayant été supprimé comme impraticable dans sa teneur, la Chambre vota sur l'ensemble du projet et l'adopta à la presque unanimité (249 voix contre 7).

Portée aussitôt à la Chambre des pairs (5 mai), cette loi sur l'instruction primaire ne s'y trouva cependant que la troisième en date. La Chambre avait été ressaisie de deux projets, dont elle allait s'occuper lorsque la session dernière fut close c'étaient les projets de loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique et sur l'organisation des conseils de département et d'arrondissement; déjà même le premier de ces projets était en délibération.

Ce projet de loi sur l'exprópriation, dont nous avons suivi la discussion dans la Chambre des député (Voyez plus haut, page go), avait été l'objet d'un rapport présenté à la Chambre des pairs par M. Devaines, dans la séance du 20 avril, ́et qui indiquait de nombreux changemens. Sans tenir compte de ces modifications, le ministre de l'intérieur reproduisit le projet (29 avril) tel qu'il était lors de la première présentation, et la Chambre le renvoya à la même commission, qui, de son côté, persévéra dans ses précédentes conclusions, comme le déclara son rapporteur, M. Devaines (séance du 2 mai).

« PreviousContinue »