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l'exposé des motifs du ministre. L'état de non-achèvement dés monumens était ruineux pour le trésor public; les matériaux se détérioraient, les frais d'agence s'accroissaient, enfin tous les ans il fallait voter quelques millions pour arrêter la ruine et non pour achever. Il n'était pas moins funeste sous le rapport des arts. Subissant des modifications à chaque changement de régime, de ministre, d'architecte, les monumens voyaient leur caractère s'altérer et ils perdaient la condition première de la beauté, celle d'être l'œuvre d'une pensée unique. La nécessité de finir les travaux de canalisation était encore plus impérieuse. Le gouverment avait pris envers les compagnies qui avaient livré leurs fonds l'engagement formel de terminer les canaux; le retard nuisait d'ailleurs aux intérêts privés, au commerce; il était désastreux pour le Trésor en ce que les intérêts dus aux compagnies allaient croissant progressivement jusqu'à l'achèvement, en ce que les canaux non-achevés coûtaient énormément et ne rapportaient rien. Relativement aux routes, le ministre faisait sentir l'urgence de faciliter les communications entre les diverses parties du royaume. C'était sur des argumens de même nature qu'il appuyait les demandes de fonds pour l'éclairage maritime et pour l'étude préparatoire des chemins de fer. Quant à l'ouverture des routes stratégiques dans la Vendée, des considérations de deux ordres étaient invoquées : il fallait que la Vendée ne fût plus un réceptacle de guerre civile, un champ de bataille pour les factions; il fallait aussi que des débouchés fussent ouverts aux produits de son sol et de son industrie les routes stratégiques, après avoir pourvu au premier des besoins, pourvoiraient au second quand la tranquillité serait rétablie.

Si vous adoptez nos propositions, disait le ministre en finissant, vous aurez terminé nos magnifiques monumens, achevé les lignes générales de notre navigation intérieure, rempli les lacunes les plus fâcheuses de nos routes, prévenu dans

l'ouest un retour de la guerre civile, rendu nos côtes plus hospitalières, préparé enfin le jour où ces communications artificielles de l'Angleterre, si enviées, si admirées, qui surpassent la rapidité des vents et des mers, embrasseront la surface entière de notre pays. Si la Chambre jugeait que les moyens proposés pussent atteindre ces buts divers, et si elle consentait à les adopter, on ne dirait pas que ses efforts avaient été mal dirigés, que sa session avait été stérile. Depuis bien des années on n'aurait pas fait au pays un bien aussi prochain ni aussi positif.

La commission à laquelle la Chambre soumit l'examen de ce projet, accueilli de prime abord avec une faveur particu lière, lui donna un plein assentiment par l'organe de M. de Bérigny (22 mai). Elle proposa même, pour que l'œuvre fût plus complète, d'élever le chiffre du crédit réclamé et de le porter à la somme de 119 millions 500 mille francs : elle affectait ces 19 millions supplémentaires (dont une partie serait couverte par la vente de divers terrains et matériaux) aux constructions d'une bibliothèque nouvelle à Paris, et à divers travaux de canalisation.

Relativement aux voies et moyens, la commission ne s'était point accordée, quant à la forme, avec le projet ministériel. Au lieu d'adopter le prélèvement d'une somme de rentes rachetées par la caisse d'amortissement et leur nouvelle émission, elle était d'avis d'ouvrir un emprunt jusqu'à due concurrence en même temps qu'on annulerait une quotité de rentes rachetées équivalente au montant de cet emprunt. En définitive, les deux projets étaient au fond identiques; d'après l'un comme d'après l'autre, les 100 millions devaient être créés aux dépens de la caisse d'amortissement; mais, dans celui de la commission, l'atteinte était moins directe et les ménagemens professés pour la caisse semblaient mieux observés.

30, 31 mai; 3, 4, 5, 6 juin. Le projet en général ne rencontra guère plus d'opposition dans la Chambre qu'il

n'en avait rencontré dans la commission. Il portait que l'emploi des fonds serait fait en cinq années. M. Jousselin signala cette disposition comme contraire aux prérogatives de la Chambre et à la Charte, en ce qu'elle tendait à faire voter en un jour cinq budgets du ministère des travaux publics, et à aliéner ainsi le droit de discussion et de vote des dépenses d'utilité publique ; en ce que la loi constitutionnelle voulait que le budget et les impôts directs fussent votés tous les ans.

Mais aucun débat sérieux ne s'éleva sur cette question préjudicielle, bien qu'elle eût été reproduite, en termes plus mesurés, par M. Pelet (de la Lozère), qui appela surtout l'attention de la Chambre sur la partie financière du projet. Un seul orateur, M. Voyer-d'Argenson, repoussa [absolument la loi; il la trouvait dangereuse, car elle jetterait, à Paris surtout, une grande commotion dans la classe ouvrière. Les ouvriers, abandonnant leurs travaux actuels, allaient se précipiter dans les carrières qu'ouvrirait momentanément l'exécution de la loi. Les 100 millions empruntés, disait l'orateur, embaucheront des travailleurs qu'un caprice ministériel ou un événement politique laissera plus tard sans ouvrage et sans pain.

La discussion des articles resta enfermée dans un cercle assez étroit et porta beaucoup moins sur les grandes divisions du projet (les monumens, les canaux, les routes) que sur les objets particuliers compris dans chacune de ces divisions, sur tel canal, tel monument. Nous ne devons nous arrêter que sur les points qui furent débattus avec quelque vivacité.

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Le premier fut la disposition par laquelle la commission proposait d'allouer à forfait 18 millions à la liste civile, à la charge d'achever les travaux nécessaires à la réunion du Louvre aux Tuileries, moyennant la construction d'une aile transversale où l'on établirait la bibliothèque royale. M. Lherbette repoussait cette disposition. Elle pouvait

d'abord, en procurant un bénéfice possible à la liste civile, amener une violation de l'article de la Charte, en vertu duquel la liste civile est votée pour toute la durée du règne; le bénéfice était d'autant plus possible que .le chiffre de 18 millions semblait élevé. Rien ne garantissait ensuite dans ce traité avec la liste civile que les travaux seraient exécutés, la commission prenant seulement soin de pourvoir au paiement et à la vérification du montant des dépenses. L'orateur demandait par quelle voie on pourrait procéder contre la liste civile. Il critiquait d'ailleurs le choix de l'emplacement relativement à la destination qu'on lui voulait donner.

En répondant à ce discours, le miuistre du commerce et des travaux publics s'attacha à démontrer d'abord que cette pensée de réunir le Louvre et les Tuileries par une aile transversale destinée à recevoir la bibliothèque n'était pas nouvelle, qu'elle avait eu l'assentiment de Napoléon, que l'exécution en serait belle sous le rapport de l'art, utile et convenable dans son application.

Si l'on pouvait, disait le ministre, en réunissant le Louvre et les Tuileries, placer dans une aile transversale la bibliothèque qui contient les imprimés, les manuscrits, les médailles en grande partie antiques, et enfin les gravures, on formerait le plus bel ensemble qui ait jamais existé chez aucune nation, et comme construction et comme réunion de collections. Cette idée était si belle et si prochainement praticable, qu'on ne devait pas résister au vou public aussi prononcé qu'il l'était pour ce projet de loi.

Quant aux objections proposées contre le traité avec la liste civile, le ministre déclarait qu'il n'y avait pas à craindre de compromettre les deniers publics, puisque, d'après les calculs, la liste civile aurait à dépenser vingt-quatre millions, et qu'elle n'en recevrait que dix-huit.

Il fut demandé d'où résulterait l'engagement pour la liste civile actuelle, et en cas de mort du roi, pour la liste

civile future. MM. Thiers et Duchâtel répondirent que pour la liste civile actuelle l'engagement résulterait de la sanction royale donnée à la loi, et que, quant à la liste civile future, la Chambre en la votant pourrait y mettre pour condition l'achèvement des travaux.

La discussion se prolongea long-temps encore sur un autre terrain, sur celui des questions d'art, d'utilité et de convenance publiques. Enfin, la Chambre, après avoir entendu de profondes et brillantes dissertations présentées par divers orateurs (MM. Arago, Teste, Delaborde, Charlemagne Kératry), rejeta implicitement la proposition de la commission en adoptant, au milieu d'une vive sensation, à la majorité de 162 voix contre 150, un amendement de M. Jousselin portant ajournement de la question relative à lá bliothèque royale. L'insistance avec laquelle M. Thiers avait soutenu cette proposition de la commission (proposi→ tion que quelques personnes croyaient d'ailleurs être une suggestion ministérielle), en fit considérer le rejet comme un échec pour le ministère.

L'article concernant les canaux n'amena guère qu'une discussion de détail où se heurtèrent les intérêts locaux, représentés par les députés. La Chambre, allouant le crédit demandé par le gouvernement, refusa les sommes additionnelles que réclamait la commission. Le crédit relatif à l'a→ chèvement des routes ayant passé également, sans qu'il fût précisé, ainsi que le désiraient quelques orateurs, à quelles routes les sommes seraient appliquées, la discussion arriva au projet des routes stratégiques dans la Vendée. Ici les débats furent assez vifs, bien que peu prolongés. M. Pelet (de la Lozère) s'éleva contre la dénomination nouvelle de stratégiques donnée aux routes que l'on se proposait d'ouvrir. Elle allait bouleverser les règles admises dans l'administra→ tion, dans la classification si sage des routes.

M. de Tracy déclara ensuite que ce projet de routes était une confusion de tous les usages, de tous les principes.

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