Page images
PDF
EPUB

au mois d'avril, la dissolution de la Société des Droits-del'Homme, mais cet arrêt dépouillé dans l'état de la législation d'une sanction pénale suffisante, n'avait pu recevoir son exécution. Au lieu de se dissoudre, la Société s'était au contraire agrandie, fortifiée; elle avait régularisé et cómplété son organisation. Au mois de juillet son existence et son influence s'étaient activement révélées; au mois d'octobre enfin, pendant que quelques uns de ses membres étaient détenus sous la prévention de crimes d'état, elle lança audacieusement sa profession de foi et proclama les bases de son institution. Cette profession de foi politique et sociale, empruntée à Robespierre et formulant, spécialement en matière de propriété, des principes dont l'application ame.nerait un bouleversement immense, si elle n'était d'ailleurs impossible, produisit une vive sensation d'étonnement et n'obtint pas, même parmi les organes avoués des doctrines républicaines, un assentiment absolu.

Cette publication, à laquelle donnaient quelque importance les noms de deux députés, MM. Voyer-d'Argenson et Audry de Puyraveau, membres du comité central de la Société des Droits-de-l'Homme, en empruntait plus encore des circonstances au milieu desquelles elle avait lieu. Les questions redoutables qu'elle soulevait et dont elle proposait jusqu'à un certain point la solution, étaient alors vivement discutées: la lutte semblait engagée dans le monde industriel entre les maîtres et les ouvriers, entre les possesseurs et les travailleurs, pour nous servir des expressions sacramentelles. Décidés par le sentiment de leurs souffrances à tenter un éffort pour changer leur position, mais s'exagérant aussi leurs maux sur la foi d'autrui, et subissant des influences étrangères, les ouvriers refusèrent de continuer leurs travaux à moins que leurs salaires ne fussent augmentés. La violence devait être employée et elle le fut, en effet, contre ceux que les exhortations de leurs compagnons n'auraient pas déterminés à abandonner les ateliers et à entrer dans les coali

tions formées pour dicter des conditions aux maîtres. L'exemple fut donné par les charbonniers occupés à l'exploitation des mines d'Anzin (voyez la Chronique) vers la fin du mois de mai. Peu à peu il trouva des imitateurs, et pendant les mois d'octobre et de novembre, à Paris et dans les départemens, les ouvriers de divers établissemens industriels et de différentes professions, déclarèrent à leurs maîtres qu'ils voulaient que le prix de leurs journées fût élevé ou que le temps du travail fût abrégé, faute de quoi ils allaient cesser de travailler.. Ces coalitions menaçantes n'amenèrent cependant aucun désordre grave. Les ouvriers, dont quelquesuns furent frappés de condamnations correctionnelles, retournèrent successivement à leurs occupations, et Paris, où ces dissensions pouvaient être plus que partout ailleurs dangereuses, fut délivré d'inquiétudes que les souvenirs de Lyon rendaient encore plus vives.

4

Au moment même où ces agitations troublajent la capitale, d'autres causes d'appréhension surgissaient pour elle, d'autant plus légitimes que la presse, si puissante et si ardente à se défendre, était intéressée dans le débat. Un con-flit s'étant élevé entre la police et les crieurs publics de journaux, un jugement du tribunal de première instance, confirmé par un årrêt de la cour royale, contre les conclusions du procureur-général, M. Persil, avait maintenu le droit, des crieurs moyennant certaines formalités à l'accomplissement desquelles il était déclaré que les agens de la police ne pouvaient pas refuser leur ministère. Mais l'administra tion, se croyant en pleine liberté d'agir, tant qu'un arrêt de la cour de cassation ne serait pas intervenu, avait continué à refuser ou à accorder, selon qu'elle le jugeait convenable, une permission aux crieurs publics. Alors le directeur d'une feuille hebdomadaire, dont la vente se trouvait entravée par le refus fait à ses porteurs de l'autorisation de la crier, déclara qu'il irait lui-même sur la place publique crier et distribuer son journal et qu'il opposerait la force à la force,

[ocr errors]
[ocr errors]

si quelque tentative avait lieu pour le troubler dans l'exercice d'un droit que lui avaient garanti les tribunaux. Cette résolution fut en effet exécutée vers le milieu du mois d'octobre, mais la police s'abstint de toute intervention, et un attroupement considérable qui s'était formé sur la place de la Bourse; où se fit la distribution, se dispersa de lui-même sans collision. Toutefois, la lutte n'était pas finie avec ce qu'on appelait la presse des rues, non plus qu'avec les sociétés républicaines.

La tranquillité publique compromise, sinon, troublée par tous ces mouvemens, dans lesquels l'influence du parti ré'publicain se laisse toujours apercevoir, fut aussi attaquée par le parti diametralement opposé, par le parti légitimiste. Ce parti s'était peu à peu remis de l'abattement où l'avaient jeté le mauvais succès de l'expédition tentée par la duchesse de Berry, et son dernier dénouement à Blaye. Plusieurs jugemens prononcés à son bénéfice, tels que les acquittemens de M. de Châteaubriand, de l'équipage et des passagers du Carlo-Alberto, à la fin de février, et de différentes personnes impliquées dans les troubles de l'ouest, avaient contribué à lui rendre quelque activité. Le gouvernement ainsi qu'on l'a vu plus haut, avait trouvé dans le mois de juin la situation de la Vendée assez rassurante pour lever l'état de siége qui y pesait sur quelques départemens. On a vu aussi que les germes de désordre n'y étaient pas cependant tout-à-fait étouffés, et de nombreux attentats vinrent prouver que les bandes étaient seulement rompues mais non détruites. Impuissante à allumer une guerre civile, la chouannerie désola le pays par des brigandages, et l'état de l'ouest était devenu assez déplorable vers la fin de l'année, pour déterminer les députés des départemens menacés, à solliciter du ministre de l'intérieur des mesures de répression promptes et énergiques. Quelques points du midi furent en outre inquiétés par des manifestations de légitimistes qui, à Nîmes, à Cette, à Marseille, provoquèrent.des scènes fréquentes de

violence et de perturbation. Ces démonstrations semblèrent devoir devenir plus sérieuses au mois de septembre, époque fixée pour la majorité du duc de Bordeaux, et une nouvelle fermentation se décela dans le parti. Un certain nombre de jeunes gens firent le voyage de Prague, pour aller porter l'hommage de leur fidélité au duc de Bordeaux, et des présens ornés de devises en harmonie avec les espérances et les opinions légitimistes. Toutefois, les grands événemens annoncés comme devant marquer cette solennité avortèrent : le gouvernement s'était contenté d'opérer quelques arrestations, et de faire surveiller le navire le Carlo-Alberto, don't les manoeuvres paraissaient suspectes après avoir été tenu pendant quelque temps sous embargo à Marseille, il fut renvoyé avec défense de se présenter à l'avenir dans un port français.

En regard de ce tableau de la situation morale de la France, situation où l'histoire ne trouve à relever aucun fait sail lant, décisif, mais où elle peut reconnaître des symptômes graves, il faut placer le récit du voyage que le roi fit en Normandie, cette année, et qui montre à côté des indices plus ou moins spontanés du mécontentement des classes populaires, la satisfaction la plus complète régnant parmi d'autres classes de la société.

Après avoir reçu l'accueil le plus empressé dans les courtes visites qu'il avait faites aux villes de Dieppe et d'Eu, à la fin de juin, le roit partit pour Cherbourg, le 26 août, accompagné de la famille royale et de quelques uns des ministres. Ce voyage amena de la part des populations que S. M. traversa d'éclatantes manifestations d'affection et de dévouement. De nombreux discours lui furent adressés, dans lesquels l'amour, la reconnaissance, le respect parlèrent uniformément le même langage. Il en est un toutefois qui, différant quelque peu des autres dans la forme, peut-être plus que dans le fond, fut par cela même rémarqué particulièrement. Ce discours, prononcé par le

président du tribunal de commerce de Bernay, était ainsi

conçu :

« SIRE,

« Le tribunal de commerce, dont j'ai l'honneur d'être l'organe. saisit avec empressement cette heureuse occasion pour offrir à Votre Majesté l'hommage de son respect et de son dévouement.

« Si, lors de notre glorieuse révolution de 1830, tous les amis de la liberté saluèrent d'unanimes acclamations votre avénement au trône, le commerce et l'industrie ne sentirent pas moins vivement que toutes les autres classes de la société qu'un avenir de bonheur, de prospérité et de gloire devait en être le résultat pour notre beau pays. Nous en trouvâmes tous les garanties dans vos engagemens, et dans ces promesses mémorables et sacrées de Votre Majesté : La Charte sera désormais une vérité.

«Sire, l'arrondissement de Bernay, tout à la fois agricole et manufacturier, est, comme la majorité des Français, ami de l'ordre et d'institutions vraiment libérales; nous ne voulous pas plus d'un passé contraire la dignité de l'homme et à l'esprit éclairé du siècle que de théories politiques peu compatibles avec nos mœurs, et dont nos souvenirs se rappellent encore la malheureuse application. Ce que nous désirons ardemment en politique.comme en système commercial, c'est une vérité sûre et progresive. Nous pensons que c'est en faisant connaître la vérité aux rois, en repoussant les priviléges, en signalant l'arbitraire et les abus, qu'on peut parvenir aujourd'hui à affermir et consolider les trônes. Fidèles en même temps à ces principes et au gouvernement national que nous avons appelé de nos vœux et de nos sympathies, parce que, fidèle à son origine, il completera la réalisation de toutes nos espérances, nous vous prions Sire, de toujours compter sdr notre faible mais franc et loyal concours.w

Voici la réponse que le roi fit à ce discours; elle avait aussi son cachet particulier :

« Oui, sans doute, monsieur le président, il faut que la vérité arrive aux rois; mais il faut aussi qu'elle arrive aux nations. Aujourd'hui les naions ont leurs flatteurs, conime jadis les rois avaient les leurs ; et ces flatteurs savent aussi bien tronquer la verité par la flatterie, que la comprimer par l'insulte 'et l'obscurcir par la calomnie. C'est an temps et à la raison publique à en faire justice, et ce n'est qu'en repoussant l'optique de la passion et de la partialité que l'esprit du peuple parvient à juger sainenent les choses, et à démêler ses véritables intérêts. C'est ainsi qu'on peut apprécier les avantages réels dont on jouit, et qu'on ne s'expose pas à les compromettre et à les perdre, pour courir après les chimères que vous avez sijustement signalées, en rappelant les malheurs qu'elles ont fait peser sur la France.

« Notre révolution de 1830 a eu pour but la défense de l'ordre légal, et de même qu'elle a triomphé de la violation des lois, de même elle a réduit àl'impuissance ceux qui voulaient nous attirer dans les voies de l'anarchie e du désordre. C'est à cet heureux succès que nous devons cette prospérité croissante dont vous venez vous féliciter avec moi; et si nous n'avions pas oɔtenu ce succès, non seulement votre commerce eût été anéanti, toutes les sources de la richesse publique auraient été taries, et notre belie patrie serait tombée dans ce gouffre de maux où précipite toujours la vioiation des lois, de quelque part qu'elle vienne.

mais

« PreviousContinue »