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sition. Il dit que le rapport fait à la Chambre des députés la dépouillait de toute son importance, en ne la présentant que comme destinée à faire cesser l'incertitude qui régnait sur le véritable caractère de l'un des jours de l'année judiciaire; mais au fond la question était bien plus haute. La France avait désavoué le crime commis le 21 janvier, personne ne le révoquait en doute, et la loi, qu'on voulait abolir, consacrait ce désaveu. Une pareille loi avait l'autorité irrévocable de la chose jugée; elle était sacrée comme un jugement d'absolution, car elle déchargeaît le pays d'une prévention odieuse. On aurait tort de l'envisager comme un affront, comme une note d'infamie pour le nom français : la résolution proposée serait seule réellement injurieuse, puisqu'elle tendrait à faire considérer le pays comme indifférent à l'égard des excès, dont il avait gémi.

Après tout, ajoutait M. le comté Portalis, ce n'est pas ici une question de circonstance, de parti ou de dynastie, comme on a voulu le faire entendre. Nous ne saurions trop le répéter: c'est une question de morale publique et de droit constitutionnel. Ce n'est pas parce que Louis XVI appartenait à la branche aînée de la maison de Bourbon que nous demandons le maintien de l'anniversaire du 21 janvier; c'est parce qu'il était notre roi; c'est la cause de la monarchic que nous soutenons, et non celle d'une maison régnante.

« C'est cependant sur cette équivoque que reposent les argumens de ceux qui considèrent l'anniversaire d du 21 janvier comme inconciliable avec la révolution de 1830.

« Comme si la révolution de 1830 n'avait pas maintenu la monarchie! « Comme s'il pouvait être contraire à so son but de veiller à ce qu'on n'ébranlåt pas le fondement de l'établissement monarchique!

« Comme si les rois constitutionnels n'avaient pas plus besoin, encore d'inviolabilité que les rois absolus!

« Comme enfin si on n'avait pas poussé déjà assez loin la simplification de la royauté! S297T

« Ce n'est donc pas dans un but d'opposition ou de résistance à la révolution que la Chambre des pairs a voté l'année dernière le maintien de l'anniversaire du 21 janvier, comme nous espérons qu'elle le votera encore cette année. C'est parce qu'elle est la gardienne et en quelque sorte la sentinelle avancée de la constitution de l'Etat. » mom tailor treb ! Aux arguniens développés par M. Portalis, M. le baron Mounier joignait l'exemple de l'Angleterre, qui continuait, depuis deux siècles et sous une autre dynastie, à célébrer l'anniversaire de la mort de Charles Ier. Il s'appuyait sur les paroles prononcées l'année précédente par M, le duc de Bro

glie, dans le sens du maintien de l'anniversaire, et il demandait que la Chambre persistât dans sa résolution primitive, ou qu'elle adoptât le projet de la commission.

Divers orateurs parlèrent en faveur de l'abrogation pure et simple. Deux amendemens furent proposés par MM. le maréchal Grouchy et le comte de Montlosier: le premier portait: «L'anniversaire du déplorable événement du 21 janvier est à jamais un jour de deuil; » et le second corrigeait ainsi l'article 2 de la commission : « Dans ses autres dispositions, la loi du 19 janvier est abrogée. » La discussion de ces amendemens ramena celle de la question principale. Un membre (M. le marquis de Vérac) surprit la Chambre par la vivacité de ses expressions.

« Messieurs, dit-il, avant de déposer vos votes, je vous supplie de considérer qu'en supprimant tout témoignage de deuil, de douleur ou de regrets pour la mort du meilleur et du plus juste de nos rois, nous allons en quelque sorte donner notre sanction au régicide (Non, non !..... Violens murmures), et que nous ferons participer la France à un crime qu'elle n'a pas commis, et dont elle a toujours eu horreur.

« Il est des attentats dont on ne peut s'approcher, à telle distance que ce soit (et c'est s'en approcher que de ne pas les flétrir) (murmures prolongés.) sans s'exposer à prendre sa part de l'indignation qu'ils inspirent et des remords qui les suivent. Quant à moi, voulant m'éviter de faire de ces remords les compagnons rongeurs du peu d'années qui me restent encore à vivre, je vote contre le projet de loi et pour celui de la commission.>>

Un autre orateur (M. de Dreux-Brézé) affirma que, dans son opinion, quiconque refuserait à la mémoire de Louis XVI un hommage public, ne serait ami ni de la monarchie, ni des principes de la liberté.

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Néanmoins l'article 1°r de la commission fut mis aux voix et adopté. Avant que la Chambre passât au second article, M. le duc de Crillon proposa cette disposition additionnelle Les administrations publiques, les cours et les tribunaux continueront à vaquer. » Mais la Chambre le rejeta, et elle admit l'amendement de M. de Montlosier, auquel la commission avait adhéré. Le projet de loi, ainsi amendé, fut adopté à la majorité de 96 voix seulement contre 65. L'assemblée, comme on le voit, était beaucoup plus nombreuse que de coutume.

Il y avait donc nécessité d'une nouvelle présentation à la Chambre des députés. Un message lui transmit le projet le jour même, et la Chambre en écouta la lecture dans un silence profond. Le président ayant demandé ensuite si l'avis de la Chambre était de renvoyer la loi à l'ancienne commission, ou d'én nommer une nouvelle, plusieurs voix s'écrièrent qu'il fallait délibérer sur le-champ. MM. Salverte, Mauguin, Laurence, appuyèrent cette proposition. La Cham bre alla aux voix immédiatement sur l'amendement de la Chambre des pairs, et le rejeta à une majorité composée des deux extrémités et d'un grand nombre de membres des centres. L'article primitif, voté par la Chambre des députés, et conçu en ces termes : « La loi du 19 janvier 1816 relativement à l'anniversaire du 21 janvier, est abrogée » fut repris commé amendement par M. Mauguin, et adopté de nouveau. Par conséquent, rien ne resta des modifications' apportées à la loi : quelques instans suffirent à la Chambre élective pour détruire entièrement l'ouvrage de la Chambre inamovible, ainsi que les choses avaient eu lieu l'année précédente.

Ce procédé ne paraissait pas de nature à rétablir l'harmonie entre les deux pouvoirs de l'Etat, et l'on s'inquiétait de savoir ce qu'il arriverait si la Chambre des Pairs, imitant une seconde fois les formes expéditives de l'autre Chambre, rejetait le projet sans examen. Mais la Chambre des pairs prit une autre voie. Le projet lui revint deux jours après. Quelques membres proposèrent de le renvoyer à l'ancienne commission; d'autres voulaient qu'on nommất une commission nouvelle, et M. de Dreux Brézé motiva cette opinion sur la nécessité de consacrer, par cet exemplé de modération, la liberté complète, entière, qui doit toujours présider aux délibérations législatives.

La Chambre se contenta du renvoi à l'ancienne commission, renvoi qui ne fut prononcé qu'à la seconde épreuve. De ce fait on ne pouvait d'ailleurs rien conclure sur les

intentions et la conduite de la Chambre, et, pendant deux jours, pleine liberté fut laissée aux conjectures.

19 janvier. Dans son nouveau rapport, M. le comte Siméon rappela que, pour la quatrième fois en deux sessions, la question se présentait devant la Chambre. La commission pensait que dans toutes les occasions la Chambre avait manifesté le désir d'une conciliation précieuse, mais elle ne croyait pas que ce désir pût la conduire jusqu'à effacer les dernières traces du sentiment juste, politique et moral, que renfermait la loi du 19 janvier. S'expliquant sur la dissidence des deux Chambres, M. le comte Siméon trouvait qu'on en exagérait beaucoup les inconvéniens; si elles étaient toujours du même avis, il serait inutile qu'elles fussent deux : autant vaudrait qu'il n'y en eût qu'une, et l'on savait tous les dangers d'une autorité sans contre-poids. En résumé, le rapporteur, se fondant sur ce que la Chambre des députés, en repoussant l'amendement de la Chambre des pairs, n'avait fait connaître ses motifs, et sur ce que la commission, persistant d'ailleurs dans son rapport du 14 janvier, n'avait pu proposer, pour exprimer ses sentimens, une rédaction qui offrit plus de chances de succès, concluait au rejet du projet de la Chambre des députés.

pas

La discussion suivit le rapport. M. le président Boyer soumit à la Chambre un amendement ainsi conçu : « La loi du 19 janvier relative à la journée à jamais déplorable du 21 janvier 1793 est abrogée. » Un second amendement fut présenté par M. Cousin: «La loi du 19 janvier 1816 relative à l'événement funeste du 21 janvier 1793 est abrogée. » Évidemmment, cette double rédaction avait un même but, celui de renfermer dans un seul article l'abrogation de la loi, et le souvenir douloureux, dont la Chambre des pairs tenait à accompagner cet acte. On reprochait à l'ancien amendement d'établir un jour de deuil national par la loi même qui en supprimait tous les signes extérieurs; les amendemens nouveaux tendaient à faire disparaître cette contradiction.

Dans le développement du sien, M. Cousin posa en principe que tout anniversaire néfaste était un contre-sens, que l'objet naturel d'une institution de ce genre était d'acquitter la dette de la justice, de la reconnaissance, de consacrer de grandes choses dans la mémoire des peuples pour exciter à les imiter. Il rappela ensuite l'esprit de réaction dans lequel la loi du 16 janvier avait été faite. M. Villemain contesta le principe posé par M. Cousin: au lieu d'affirmer que les nations n'aimaient point à consacrer le souvenir de leurs fautes, il était plus juste, suivant lui, de dire que les nations. aimaient à déclarer qu'elles n'avaient été pour rien dans des fautes, ou plutôt dans des crimes indignes d'elles et commis sans leur aveu. Sans se prononcer sur les amendemens proposés, M. Villemain se bornait à justifier l'avis de la commission, dont il était membre, par ce motif entr'autres qu'il ne s'agissait pas d'une forme de rédaction, mais d'un sentiment à satisfaire.

Jusqu'alors le gouvernement avait assisté au débat, sans y prendre part, comme pour garder la plus stricte neutralité dans la querelle des deux pouvoirs. Cependant, après une réplique de M. Cousin, et lorsqu'il paraissait probable que cette querelle touchait à son terme, le garde des sceaux monta à la tribune:

« J'ai suivi, dit-il, avec beaucoup d'attention la discussion qui s'est élevée dans les deux chambres, à l'occasion du projet d'abrogation de la loi relative au 21 janvier. Vous avez pu, comme moi, constater l'unanimité des sentimens qui ont été exprimés dans les deux chambres pour flétrir cet

attentat.

«Cependant des dissidences se sont élevées; elles sont graves quand elles se révélent entre deux corps de l'Etat, et le gouvernement ne peut y rester indifférent.

« Quels sont les motifs qui ont déterminé la Chambre des députés à demander et à voter l'abrogation de la loi du 19 janvier 1816? Ils peuvent se réduire à ces mots :

« La loi du 19 janvier 1816 fut une loi de réaction : elle avait quelque chose d'humiliant pour la nation française, qui avait été étrangère à l'attentat du 21 janvier.

« D'ailleurs, en quoi une loi est-elle nécessaire pour transmettre à la postérité le caractère des grandes catastrophes qui signalent les révolutions des Etats? Quant à la France, elle n'avait pas besoin d'une leçon.

« A ces considérations, votre commission a opposé des raisons que je vais

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