Page images
PDF
EPUB

résumer. L'abrogation de la loi du 19 janvier semblerait une déclaration que le 21 janvier est un jour comme un autre, une lâche concession à de mauvaises passions. Les amis eux-mêmes de la liberté sont intéressés à flétrir les crimes qui ont été commis en son nom.

« Si la loi de 1816 n'avait pas été faite, on ne la proposerait pas aujourd'hui; mais, puisqu'elle a pris place dans la collection de nos lois, elle ne peut pas disparaitre sans que, dans la loi même d'abrogation, le législateur ne laisse une flétrissure du 21 janvier..

« Voilà, ce me semble, les raisons qui ont été présentées, soit en faveur de l'abrogation, soit en faveur du projet présenté par la commission.

«La discussion qui vient de s'élever entre les deux honorables amis que vous venez d'entendre vous prouve que les dissidences s'affaiblissent; on est d'accord, non-seulement sur le fond des choses, pour flétrir l'attentat du 21 janvier, mais même sur le besoin de caractériser par une expression la catastrophe du 21 janvier. La commision a pensé qu'il fallait, en remplacement de la loi de 1816, une loi nouvelle disposant que le 21 janvier serait un jour de deuil national. Les amendemens proposés abrogent l'ancienne loi, sans rien prescrire pour l'avenir; mais, en parlant du 21 janvier, ils signalent ce jour comme funeste et déplorable: je crois que c'est à cela que vous devez vous arrêter. »

La discussion se prolongea encore quelque temps, mais avec un caractère plutôt grammatical que politique. On était d'accord sur le sens de l'article; on ne différait plus que sur l'expression on hésitait entre les mots funeste et déplorable. M. Silvestre de Sacy proposa de les réunir et de dire: «L'attentat funeste et à jamais déplorable du 21 janvier. » M. de Lascours demanda la substitution du mot journée à celui d'attentat: M. de Barante préférait le mot jour, et enfin la rédaction suivante fut proposée par M. Villemain : « La loi du 19 janvier 1816, relative au jour funeste et à jamais déplorable du 21 janvier, est abrogée. La Chambre vota au scrutin secret sur cet amendement, qui fut adopté à la majorité de 88 voix contre 63.

21 janvier. Le jour, où un nouveau message du président de la Chambre des pairs transmit le projet de loi à la Chambre des députés, était précisément le quarantième anniversaire de la mort de Louis XVI. Après la lecture du projet, M. Benjamin Delessert proposa de le voter sans discussion préalable.

Quoiqu'on ait affecté ailleurs,. dit-il, de ne pas comprendre les motifs qui nous ont décidés à ne pas Changer notre première résolution, je .pense que nous devons répondre aujourd'hui à ce qu'a fait la Chambre des pairs dans sa dernière séance, en adoptant sans changement et même

Ann. hist. pour 1833.

3

sans discussion sa dernière rédaction. Ce sera le meilleur moyen de nous conformer aux sentimens de paix, d'oubli et d'union, qui ont dicté l'admirable testament de Louis XVI, qui restera toujours dans l'histoire comme un monument sublime de charité chrétienne. »

M. Salverte pensait au contraire que la Chambre ne pouvait voter sans discussion le projet tel qu'il lui était renvoyé.

« Dans une loi aussi grave que celle qui vous est proposée, disait-il, il importe de ne faire rien entrer qui soit contraireļau langage de la loi; or, l'addition faite par la chambre des pairs n'est nullement dans le langage de la loi, elle appartient tout entière au langage de l'histoire.... (Une voix à droite. Au langage des passions!) La loi qualifie l'action pour l'avenir; les tribunaux appliquent la loi dans le présent; le jugement des actions passées appartient à l'histoire et à la postérité.

«Que serait-ce si, parce qu'il y a eu des événemens déplorables dans notre histoire, nous prétendions les consacrer tous dans le texte de nos lois? Songez combien de passions pourraient s'exprimer ainsi, et surtout combien vous pourriez ranimer de haines et de ressentimens, quand tous les jours vous sentez davantage le besoin de concorde et d'union. Ce n'est pas seulement sous ce rapport que j'attaque l'addition qui vous est proposée. Je déclare qu'elle est directement contraire à la Charte, qui est notre loi à tous. »

L'orateur développait cet argument, et terminait en votant pour l'adoption de la loi, moyennant la suppression de l'addition faite par la Chambre des pairs. La clôture de la discussion fut réclamée et prononcée, mais M. de Corcelles demanda, par amendement à la rédaction de la Chambre des pairs, la suppression des mots : et à jamais déplorable; suivant lui, les mots à jamais étaient une expression de haine et de vengeance, qui ne pouvait entrer dans le code d'un peuple civilisé : ce n'était pas une expression française. M. Cabet demanda en outre là suppression du mot funestė.

M. Berryer déclara qu'il voulait parler et contre ces amendemens et contre celui de la Chambre des pairs. Il commença par rappeler toute la gravité de la question, gravité signalée par l'impatience même que la discussion excitait, et par le vif désir de la clore.

-" Ce n'est pas moi, ajoutait-il, qui ai ouvert cette triste carrière; ce n'est pas moi qui ai demandé la discussion; debout à la tribune, je n'ai point parlé contre la clôture; mais, puisque la discussion s'engage, j'ai besoin de satisfaire ma conscience et de remplir mon devoir en exprimant toute ma pensée. Je le veux faire avec gravité, avec convenance, avec la mesure que tout orateur doit garder au sein d'une Chambre dont il est membres mais laissez-moi toute liberté d'esprit ; je ne la peux trouver que

dans le silence de l'assemblée. D'où viennent, Messieurs, ces dissidences que je signalais tout à l'heure entre les deux Chambres et les membres mêmes du gouvernement? disons-le franchement : cette dissidence vient de ce que personne n'a osé s'exprimer nettement sur la proposition, de cé que les motifs qui l'ont suscitée n'ont pas été sincèrement développés; aussi Ja Chambre des pairs a vainement cherché une espèce de conciliation entre des pensées, des principes, des sentimens, que rien ne peut concilier, et c'est sous ce point de vue que j'attaque l'amendement.

» Qu'avait fait la Chambre, en adoptant cette année, presque sans disa cussion, la proposition de M. Portalis? Elle avait enregistré le travail du rapporteur, et ce travail, disons-le, ne contenait pas la vérité. Il ne présentait qu'un faux motif pour abroger la loi du 19 janvier 1816: Cette loi, disait-il, accuse la France du crime du 21 janvier; cette loi est un outrage à la nation. » C'est à l'aide de cette fausse assertion qu'on a voulu, en excitant des sentimens français dans vos cœurs et vos esprits, vous déterminer à adopter la mesure proposée.

» Mais, Messieurs, tout est faux dans ces motifs. Ces assertions sont contraires au texte même de la loi, aux monumens contemporains : que contient, en effet, la loi? que dirent les orateurs qui la soutenaient? « Que la France n'était pas coupable de l'attentat du 21 janvier 1793; que la France avait protesté contre le jugement prononcé et exécuté à quelques pas d'ici. »

» La loi du 19 janvier 1816, Messieurs, fut une protestation solennelle de la France contre la catastrophe dont elle ne fut pas complice. C'est faire abus d'un faux prétexte que de dire que cette loi est un outrage à la nation française, qu'elle se dresse contre elle comme un reproche, comme une réaction injurieuse.

>> Il est manifeste, au contraire, que la nation était loin de s'associer aux œuvres de la Convention. Au sein de cette assemblée, ceux qui voulaient sauver le roi demandèrent l'appel au peuple; l'appel au peuple fut repoussé avec indignation, comme il le sera toujours, en toutes circonstances et en toutes questions, par toutes les tyrannies. (Agitation.) La loi du 19 janvier 1816 fut la réponse à l'appel au peuple; elle fut la protestation de la France contre le crime du 21 janvier 1793.

» Mais dans la discussion d'avant-hier, d'où est sorti l'amendement sur lequel vous avez à délibérer, deux orateurs, avec plus d'exactitude, avec plus de vérité, ont signalé les motifs de l'abrogation demandée. »

Ici l'orateur citait des passages extraits du rapport de. M. Siméon et du discours d'un autre membre de la chambre.

« Deux observations sont donc faites, continuait-il; d'une part on dit que la loi du 19 janvier, dont on demande l'abrogation, a eu pour objet de maintenir le principe de l'inviolabilité des personnes royales; et d'autre part on dit que la loi du 19 janvier avait pour objet de consacrer par une protestation nouvelle la loi antique sur laquelle se fondent les droits de la branche aînée de la maison de Bourbon. Tel est le vrai caractère de la loi du 19 janvier.

Ici la loi est bien mieux définie que par le travail du rapporteur de votre commission. Oui, ce sont là les deux principes, les deux questions qu'on a eues en vue en 1816. D'une part; on a voulu corroborer le principe de l'inviolabilité des personnes royales; d'autre part, consacrer de nouveau le droit de la branche aînée de la maison de Bourbon.

» Voilà le double objet de la loi : on ne saurait le nier, car au moment même où elle fut faite, il fut, par les deux Chambres, envoyé une adresse

au roi, et là était consignée l'expression de ces deux principes, avec le serment de ne s'en détacher jamais.

» La question ainsi posée, je ne m'étonne pas que le ministère soit enfin intervenu; et avec lui, je vois apparaitre l'amendement que je combats, après vous en avoir signalé la source. Le ministère a manifesté son opinion par l'organe du ministre de la justice. S'il approuvait l'abrogation de la loi en tant qu'elle contient la confirmation des droits de la branche aînée de la maison de Bourbon, il résiste à l'abrogation, en tant que la loi sanctionne aussi le principe de l'inviolabilité des personnes royales. Et c'est dans ce sens que le ministre a dit : « On exprime un désir légitime, naturel, moral; c'est que dans la loi d'abrogation on trouve des traces de la flétrissure. »

» Il s'agissait donc de trouver un moyen terme entre abroger et ne pas abroger la loi. Il était difficile de concilier cette double tendance, il était difficile d'atteindre à ce double but. L'amendement de la Chambre des pairs a-t-il seulement répondu à cette double pensée ? Cette intention douteuse, qui veut et ne veut pas, sera-t-elle satisfaite par l'amendement? Je ne le pense point. »

En terminant, M. Berryer releva une assertion du gardedes-sceaux, qui, dans son discours à la Chambre des pairs, avait accusé la loi du 19 janvier 1816 d'être entachée d'hypocrisie : suivant lui, cette loi n'était pas hypocrite; elle était franche; elle défendait un principe, et le reproche devait être renvoyé à l'amendement qu'il combattait, car évidemment il y avait dans la loi présentée une scandaleuse opposition entre le fait et les paroles.

« Faire une loi, ajoutait-il, dont les paroles démentent la disposition, c'est un acte d'hypocrisie et de mensonge. La loi, telle que vous l'avez faite, seule, sans amendemens, au moins est franche et sans détours : elle convient, elle doit convenir à ceux qui ont le courage de la franchise de leurs opinions, et qui veulent résolument et avec intelligence l'abrogation de la loi de 1816. »

Dans sa réponse à M. Berryer, le garde-des-sceaux répéta que la loi de 1816 avait été une loi de réaction et une loi hypocrite; quant à l'amendement, il affirma que M. Berryer s'était complétement abusé sur son esprit. En effet, que disaient toute les feuilles du parti légitimiste ? L'abrogation de la loi de 1816 était regardée par elles comme un retour aux doctrines régicides, et lorsqu'on mettait dans la loi même d'abrogation une phrase, une qualification qui répondait à cette calomnie, à l'instant même cette phrase était encore combattue, et l'on prétendait qu'il y avait hypocrisie à l'avoir mise. Personne ne pouvait être dupe de cette tactique, d'ailleurs peu

nouvelle, et qui remontait à 1816, époque, où l'on évoquait si fréquemment le fantôme du régicide. Le ministre persistait donc à penser que la dernière rédaction de la loi devait réunir tous les esprits, et qu'en l'adoptant la chambre des députés ne montrerait pas moins de dispositions conciliatrices que la Chambre des pairs n'en avait montré en modifiant sa résolution.

Ensuite M. Cabet développa son amendement: il repoussait toute espèce de flétrissure jetée sur la révolution française et sur la Convention : la loi proposée lui paraissait une loi de réaction et de regrets qu'on voulait faire au profit de la dynastie déchue, une loi destinée à rétablir la lutte entre la restauration et la révolution de juillet. M. de Grammont parla, après M. Cabet, en faveur du projet; puis M. de Corcelles déclara qu'il retirait son amendement, ne voulant participer en rien à une disposition extra-légale et insolite.

L'amendement de la Chambre des pairs, ayant été mis aux voix, fut adopté à une forte majorité. Trente membres des extrémités, au plus, se levèrent contre. L'article entier passa à une majorité à peu près égale, et le scrutin secret sur l'ensemble de la loi donna pour résultat 262 boules blanches contre 82 boules noires. Telle fut l'issue de cette longue discussion, qui menaçait de devenir insoluble, et dont les partis avaient habilement profité, comme d'un élément de discorde et de désorganisation.

Deux fois, pour s'occuper de cette loi urgente, et qui ne put néanmoins être achevée avant le retour de la journée funèbre, la Chambre des députés avait interrompu le travail de la loi sur les conseils de département et d'arrondissement. Dès le 15 septembre 1831 un projet concernant les conseils électifs avait été soumis à la Chambre des députés. La commission, chargée de son examen, y introduisit de nombreux amendemens; son rapport. fut présenté le 11 avril 1832; mais la session législative s'étant brusquement terminée sous l'influence d'un fléau destructeur, le projet n'arriva pas jus

« PreviousContinue »