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qu'à la discussion. Le ministère le reprit done avec les modifications apportées par la commission et le présenta de nouveau dans les commencemens de la session suivante (8 décembre 1832).

Ainsi que l'annonçait M. d'Argout dans son exposé des motifs, il n'était pas question de changer les bases de la loi, mais seulement d'en améliorer quelques dispositions. Les modifications principales se rapportaient au nombre des adjoints (art. 2), au choix des maires et adjoints (art. 3), au domicile réel de ces fonctionnaires (art. 4), à leur remplacement provisoire (art. 5), aux incompatibilités exclusives de ces fonctions (art. 6): plusieurs autres articles avaient encore reçu des changemens. Le projet ainsi modifié passa par l'examen d'une commission, dont trois membres seulement avaient coopéré au premier travail, et M. Gillon, auteur du rapport présenté le 11 avril de l'année précédente, fut chargé du nouveau rapport, qu'il lut à la Chambre dans sa séance du 5 janvier. Sans entrer dans la multitude de détails qui composaient l'économie de la loi, et pour lesquels il renvoyait à son rapport du 11 avril, M. Gillon ne s'attachait qu'à en fixer les principes fondamentaux à leur tête il plaçait la conservation des conseils d'arrondissement, résolue affirmativement par l'article 1. ; ensuite il passait en revue les questions relatives au nombre des membres des conseils généraux, au mode de leur élection, aux conditions de leur éligibilité : enfin, il examinait les diverses dispositions communes aux conseils généraux et aux conseils d'arrondissement, 17 janvier. La discussion générale sur une matière si souvent traitée depuis quatre ans, offrait peu d'intérêt ; elle eut aussi peu d'étendue. Trois orateurs seulement furent entendus, M. Bresson contre le projet, MM. Emmanuel Poulle et Merlin en sa faveur; après quoi, la Chambre ferma la discussion.

9 janvier. La seconde séance consacrée à ce projet ne fut pas moins importante au fond, que curieuse dans la

forme. On y agita la question des conseils d'arrondissement, question fameuse depuis qu'elle avait amené la retraite du ministère Martignac, et par suite la chute d'une dynastie. On y vit les chefs de l'opposition se diviser, et réclamer les uns le maintien, les autres le rejet des conseils dont l'existence était mise en problême. Beaucoup de ceux qui les avaient attaqués le plus vivement en 1829, ne les défendaient pas avec moins d'opiniâtreté aujourd'hui.

L'article 1er du projet du gouvernement était ainsi conçu: « Il y a dans chaque département un conseil général. »

La commission avait proposé sur cet article la rédaction suivante; « Il y a dans chaque département un conseil général, et dans chaque arrondissement de sous-préfecture un conseil d'arrondissement.

« Nul ne peut être à la fois membre de plusieurs conseils généraux, ni de plusieurs conseils d'arrondissement, ou d'un conseil général et d'un conseil d'arrondissement. »

Sur ce même article, l'amendement suivant avait été proposé par M. Bérard : « Il y a dans chaque département un conseil général et autant de conseils cantonnaux qu'il y a de cantons,

<< Nul ne peut être à la fois membre de plusieurs conseils généraux, ni de plusieurs conseils de canton. »

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Un second amendement, de M. Foy, portait : « Il y a dans chaque département un conseil général, dans chaque arrondissement de sous-préfecture un conseil d'arrondissement, dans chaque canton un conseil cantonnal. »>

Dans la rédaction du gouvernement, il n'était question que d'un conseil général : on avait placé sous un autre titre les conseils d'arrondissement. La commission avait jugé plus convenable de rapprocher, sous le titre de dispositions générales, des articles qui, dans le projet du gouvernement, se trouvaient sous des titres divers, et elle avait proposé de dire, dès l'article 1°, qu'il y aurait dans chaque départe

ment un conseil général, et dans chaque arrondissement de sous-préfecture un conseil d'arrondissement.

M. Bérard occupa le premier la tribune et soutint que, dans l'état actuel des choses, les conseils d'arrondissement étaient une véritable superfétation.

« La loi qui nous occupe, dit-il, n'est point une loi politique: c'est une loi d'intérêt à la fois général et local. J'écarterai donc soigneusement de la discussion tout ce qui ne se rattacherait pas à ce dernier point de vue. Je demande la permission d'établir brièvement quelques principes, afin d en déduire les conséquences.

« L'intérêt de la défense, celui de la conservation, ont créé l'être collectif que l'on appelle commune. Cet être, réel et défini, a une existence qui lui est propre, des droits et des besoins qui tiennent à sa nature: il lui faut donc un mode de représentation qui soit en rapport avec lui.

<«< Les relations d'un voisinage plus ou moins immédiat font naître une autre classe d'intérêts, et ces intérêts ont aussi leur communauté moins directe, il est vrai, que celle de la commune proprement dite, mais non moins certaine, non moins effective. Ces intérêts de voisinage ont donné lieu à la création des cantons, c'est-à-dire à la réunion d'un certain nombre de communes ou contiguës ou très-rapprochées, placées dans des situations analogues, ayant des besoins plus ou moins identiques.

« Après avoir envisagé la société en quelque sorte par sa base, si nous nous élevons jusqu'à son sommet, nous y trouvons un gouvernement chargé par l'universalité des citoyens de veiller sur leurs intérêts, et obligé de diviser et de déléguer sa surveillance pour la rendre possible ou du moins facile. La nécessité de cette division a, dans notre pays, créé l'unité administrative que l'on nomme département. Le lien qui unit les diverses parties d'un département n'est pas de la même espèce que celui qui rassemble les citoyens d'une commune ou les communes d'un canton. Ce dernier, ainsi que nous l'avons dit, tient à quelque chose de matériel et de positif. L'autre s'applique à un ordre d'idées différent. Il repose sur la nécessité de donner, à une étendue assez grande de pays et à un nombre assez considérable de citoyens, une même impulsion politique et une semblable direction administrative.

« Les intérêts que je viens de définir ont besoin d'être représentés, et ils le sont dans la commune par un conseil municipal, et au chef-lieu du département par un conseil-général ; mais dans le système du projet de loi les. intérêts cantonnaux n'ont point d'organes, et on en donne, au contraire, à l'arrondissement, c'est-à-dire, à une agrégation de cantons qui souvent ont des intérêts distincts, quelquefois des intérêts opposés.

« Je ne nierai pas l'utilité des arrondissemens considérés sous le rapport purement administratif. De même que le chef du gouvernement est obligé de diviser son pouvoir entre un certain nombre de préfets, de même aussi ces préfets peuvent ne pas suffire à administrer seuls leurs départemens, et des délégués, plus ou moins nombreux, peuvent leur être indispensables. Mais ces délégués ne participent pas au pouvoir qui les institue ; ils instruisent les affaires, ils préparent les décisions, ils ne décident pas.

« Je ne comprendrais, je l'avoue, l'utilité d'un conseil auprès de ces délégués que si l'on assimilait au moins en partie leurs fonctions à celles des préfets, et c'est ce que l'on n'est sûrement pas tenté de faire. Le conseil d'arrondissement ne représente aucun intérêt matériel d'une manière

directe; et, à côté du conseil-général convenablement doté, on ne voit pas ce qui peut lui rester à faire.

« Lorsque la nature des choses donne naissance à une institution, on n'a pas besoin de lui chercher d'attributions; elles s'introduisent pour ainsi dire simultanément avec elle.

«Il n'en est pas ainsi d'une institution dont la base est en quelque sorte arbitraire. On ne sait comment l'utiliser, et cela ne se fait que trop sentir à l'occasion des conseils d'arrondissement. Une seule attribution réelle leur est accordée, c'est la répartition de l'impôt entre les communes. Sous tous les autres rapports ce conseil n'a que des avis à donner, des opinions à émettre; et ces avis et ces opinions peuvent ne pas exercer la plus légère influence sur les décisions à intervenir. Il faut bien qu'on en convienne réunir des citoyens notables pour ne leur rien confier d'important à faire, c'est vouloir les dégoûter, comme cela est presque toujours arrivé jusqu'à présent. »

A la vérité, les défenseurs des conseils d'arrondissement, en les reconnaissant actuellement pour tels qu'ils étaient présentés, répondaient qu'on accroîtrait leurs attributions, et qu'alors ils deviendraient utiles; toutefois M. Bérard cherchait vainement en quoi consisterait cet accroissement : personne n'avait pu le lui dire; et non seulement les conseils d'arrondissement lui paraissaient inutiles, mais ils ne tarderaient pas, selon lui, à devenir dangereux, en multipliant de petites ambitions sans but, en fatigant sans nécessité le zèle des électeurs.

Après avoir détruit, il fallait reconstruire, et à cet égard, voici quel était le plan de M. Bérard :

« Je suppose, disait-il, que les conseils-généraux seront composés, ainsi que votre commission le demande, d'un nombre de membres égal à celui des cantons, et que chaque canton nommera son représentant. Les conseils ainsi formés, étant plus nombreux qu'ils ne l'ont été jusqu'à présent, pourront voir sans inconvénient s'étendre leurs attributions; et j'aime à espérer qu'elles recevront en effet une grande extension.

« Je ne m'occuperai ici que de celles de ces attributions qui, jusqu'à ce jour, ont été le partage des conseils d'arrondissement, et que je crois que l'on peut, du moins en grande partie, affecter aujourd'hui aux conseilsgénéraux. Elles consistent uniquement, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, dans la répartition de l'impôt entre les communes, et dans l'émission d'avis sur des objets d'intérêt local. Il est évident que ces derniers intérêts auront des représentans naturels et directs dans les membres nommés par les cantons composant chaque arrondissement; et qu'au lieu d'une opinion formulée trop souvent d'avance par l'administrateur de l'arrondissement et adoptée de confiance, ils émettront des opinions personnelles, contradictoires, et par cela même plus éclairées..

«Il n'est pas moins évident que la répartition de l'impôt pourra se faire, soit comme aujourd'hui, entre les arrondissemens, sauf aux représentans de chaque arrondissement à se réunir ensuite en sections pour faire la ré

partition entre les communes; soit (ce qui à mon avis vaudrait beaucoup mieux) directement entre les cantons, en laissant ceux-ci faire leur sousrépartition. Dans cette dernière hypothèse, je demanderais qu'il fût institué des conseils cantonnaux réguliers, que je composerais de délégués de chacun des conseils municipaux du canton. Je m'arrêterais à ce mode de formation pour ces conseils, parce que, représentant des intérêts moins réels ou plutôt moins immédiats que ceux de la commune, ils ne me paraissent pas réclamer aussi impérieusement l'élection directe. D'ailleurs, l'une des attributions les plus importantes de pareils conseils devant être l'arbitrage des difficultés qui pourraient exister entre les communes, il serait indispensable que toutes y fussent représentées.

« Les conseils cantonnaux deviendraient, dans le système que je présente, des intermédiaires naturels entre les conseils-généraux et les communes. Des intérêts spéciaux et positifs leur créent déjà une existence distincte et réelle. C'est déjà par canton que s'exerce la justice de paix, et je désirerais, je l'avoue, que le magistrat revêtu de cette fonction, bien qu'il ne soit pas électif, ou peut-être parce que j'espère qu'il le devien

fonction ajouterait à sa considération, et sa présence aurait plus d'un genre d'utilité. C'est par canton aussi que s'applique la loi de recrutement, et c'est à son chef-lieu que s'assemblent jusqu'à ce jour les comités institués dans l'intérêt de l'instruction primaire. A ces attributions pourraient s'en ajouter d'autres: par exemple, ainsi que je viens de le dire, la conciliation des difficultés existantes entre les communes, et surtout toutes les questions qni se rattachent aux chemins vicinaux.

« Ces questions si importantes ne peuvent être bien comprises et bien décidées que sur les lieux qui les font naître, et en présence des parties intéressées. Au conseil d'arrondissement on est déjà trop éloigné, et on manque presque toujours des élémens nécessaires à une décision judicieuse.

« On sait avec quelle difficulté les citoyens se déplacent, même pour remplir les fonctions les plus honorables, lorsqu'ils sont forcés de s'éloigner beaucoup et long-temps de chez eux. Telle est l'une des principales causes de l'espèce d'abandon dans lequel sont tombés les conseils d'arrondissement. Cet inconvénient n'existera pas pour les conseils de canton, Leurs membres ne seront presque jamais obligés de découcher, et l'on pourra, sans craindre de les fatiguer, multiplier les séances dans la proportion des besoins.

« Quelques personnes regretteraient, dans la suppression des conseils d'arrondissement, un moyen de commencer à former les citoyens à l'exercice des affaires publiques; mais ce moyen serait avantageusement remplace, et sous le rapport de l'instruction et sous le rapport du nombre, par les conseils cantonnaux. En effet, les attributions de ces derniers seraient plus nombreuses et plus variées que celles des autres, et il y aurait environ dix fois plus de conseillers cantonnaux que de conseillers d'arrondissement.

» Enfin, l'esprit d'association, si fécond en résultats de toute nature, commencerait à naître dans des réunions où l'on contracterait l'habitude de s'occuper d'intérêts communs, et l'administration trouverait des auxiliaires et des appuis dans quarante mille citoyens accoutumés à faire exécuter plusieurs lois, et par conséquent disposés à les respecter toutes. »..

L'argumentation de M. Bérard fut tour-à-tour appuyée par MM. Lherbette, de Rambuteau, et combattue par MM. de Podenas, Bresson, Gillon, de Gérando. En faveur

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