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des conseils d'arrondissement, on avait allégué trois raisons spéciales; on avait dit : l'arrondissement est une circonscription politique par le système électoral, une circonscription judiciaire par le tribunal civil, une circonscription administrative par la sous-préfecture; d'où l'on concluait que son chef-lieu devait être le centre des délibérations d'intérêts locaux. M. Lherbette soutenait qu'il eût été plus logique d'en tirer la conclusion opposée.

« C'est une circonscription politique, disait-il. Mais d'abord. Messieurs, le système électoral qui fait nommer les élus de la nation à l'arrondissement n'est pas destiné à vivre long-temps. Chacun sent combien il est funeste de faire nommer les élus de la nation dans des circonscriptions étroites; chacun sent que c'est un moyen de faire prévaloir dans les élections les petites réputations de coterie sur les réputations plus vastes de capacités réelles; et, dans la discussion comme dans le vote, les aperçus et les intérêts de localité sur les aperçus et les intérêts généraux.

» Mais ensuite de ce que le chef-lieu d'arrondissement est le centre des circonscriptions politiques, ne faut-il pas en conclure qu'il ne doit pas être le centre de la délibération des intérêts locaux, quand on pose en principe, comme le fait le gouvernement, qu'il ne doit y avoir aucun rapport entre les intérêts locaux et la politique?

» Quant à la circonscription judiciaire, celle qui intéresse surtout les communes, ce n'est pas celle du tribunal civil, où s'élèvent rarement les petits procès ; c'est plutôt celle de la justice de paix, où tous les procès viennent au préalable par le préliminaire de la conciliation, et où presque tous s'arrêtent en définitive. Or, la justice de paix est cantonnale; il faudra sans doute augmenter un jour ses attributions, son importance; mais son ressort demeurera toujours cantonnal.

» A l'égard de la circonscription administrative qui résulte des souspréfectures, Messieurs, il n'est pas question de détruire les sous-préfcctures. Le gouvernement pourra les conserver comme rouages administratifs. Nous n'examinerons même pas, pour le moment, la question de savoir si chaque sous-préfet, qui revient à sept ou huit mille francs, ne serait pas plus économiquement et plus avantageusement remplacé par quel. ques conseillers cantonnaux. On pourra la traiter plus tard; peut-être même l'instruction n'est-elle pas assez répandue dans plusieurs départe mens pour que ce mode puisse être encore employé. Mais nous appli quons ici le raisonnement que nous faisions sur la circonscription politique: nous disons que, précisément parce que le chef-lieu d'arrondisse ment est le centre de l'action gouvernementale, il ne doit pas être celui de la délibération sur les intérêts locaux. On les a confondus dans l'intérêt du pouvoir; séparons-les aujourd'hui que, sans nuire au pouvoir, nous voulons assurer l'indépendance des intérêts locaux.

» On argumente de l'expérience, qui, dit-on, a prouvé l'inutilité des conseils cantonnaux créés par la constitution de l'an III.

» D'abord, Messieurs, les conseils cantonnaux, tels que nous les demandons, diffèrent essentiellement de ceux de l'an III.

»Sous la législation de l'an III, chaque commune avait un agent municipal et un adjoint. La réunion au canton de ceux de plusieurs communes formait le conseil municipal du canton, auprès duquel était un agent du gouvernement, qui requérait et surveillait l'exécution des lois.

« Les conseils cantonnaux avaient alors la délibération et l'administration collective de plusieurs communes. Ce mode offrait l'avantage de remplacer par une délibération réelle, une délibération fictive dans plusieurs de nos communes; mais il avait l'inconvénient immense de supprimer l'individualité de la commune, qui existe de fait, et qui doit exister en droit.

« Nos conseils la respecteraient. Les communes conserveraient leurs conseils municipaux et continueraient à s'administrer elles-mêmes. Seulement, pour éviter que tout se passe entre les sous-préfets et le maire, comme cela arrive dans les trois quarts des communes, où les conseillers municipaux ne font que signer, nos conseils cantonnaux, tout en restant absolument étrangers à la délibération des conseils des grandes communes, exerceraient une espèce de contrôle et d'appel, dans quelques circonstances, à l'égard de ceux de quelques espèces de communes inférieures, et, pour toutes, statueraient sur les intérêts collectifs de plusieurs d'entre elles.

« Autre différence. Les conseils cantonnaux de l'an III avaient à la fois l'action administrative et la délibération. Les nôtres n'auraient que la délibération; et si plus tard il nous arrivait de donner davantage à l'action des municipalités, nous le ferions sans nuire à l'action gouvernementale; car il ne faut pas nous accuser de vouloir détruire la centralisation, en ce qui concerne les intérêts généraux. Nous pensons, nous proclamons avec le gouvernement qu'elle est un des plus grands bienfaits de la révolution de 89; c'est à elle en grande partie que nous devrons encore nos améliorations à l'intérieur, comme notre force contre l'étranger.

<< Mais nous voulons concilier avec elle l'indépendance des conseils de localité, afin que chaque partie de la France vive d'une vie particulière et grandisse sans entraves; afin encore que le patriotisme général puisse se retremper dans les patriotismes de localités.

En venant appuyer l'amendement de M. Bérard, M. de Rambuteau déclara qu'il cédait à une conviction formée par une longue expérience et de longs travaux administratifs. Il rappela l'opinion qu'il avait émise dans le sein de la commission de 1829; plus d'une fois il s'était demandé si cette commission, dont le rapport avait exercé une telle influence politique, choisie d'ailleurs parmi les hommes les plus dévoués à la défense des doctrines constitutionnelles, avait été uniquement guidée par le désir de faire le bien du pays, et sa réponse ne lui avait pas laissé le plus léger doute ce qu'il réclamait alors, il le regardait donc comme bon et salutaire aujourd'hui.

Le ministre de l'intérieur, M. d'Argout, parla dans le sens contraire : « Si le conseil général, si l'administration dit-il, pouvaient se trouver gênés par le vote de cinq ou six conseils d'arrondissement, comment ne le seraient-ils pas

davantage par quarante ou cinquante conseils de canton? >> Il ne suffisait pas d'ailleurs de créer des corps: il fallait leur donner des attributions, et, sous ce rapport, la proposition était tout-à-fait défectueuse.

M. Odilon Barrot remplaça le ministre à la tribune.

« Messieurs, dit-il, on serait tenté de s'étonner de l'importance politique qu'à eue cette question à une autre époque. On paraît résolu à la regarder comme administrative et nullement comme politique; eh bien! pour mon compte, Messieurs, je lui restitue toute l'importance qu'elle avait eue en 1829. Il y a un immense intérêt politique dans sa solution; car il s'agit de savoir si vous voulez conserver un pouvoir qui n'a rien de sérieux, qui n'a que le danger de l'inutilité, mais qui, par là même que, sans utilité pour le pays, il lui cause des embarras, exclut des institutions qui pourraient lui être directement plus utiles.

L'orateur examinait les deux attributions des conseils d'arrondissement, consistant, l'une à répartir l'impôt entre les différentes communes, après qu'il l'a été par le conseil général entre les arrondissemens; l'autre à soumettre au conseil général des observations sur les besoins des communes. L'intérêt des répartitions avait pu être grand lorsque cette opération s'était faite pour la première fois, mais il diminuait de jour en jour par les corrections apportées aux inégalités primitives. Il y avait quelque chose de puéril dans un pouvoir, qui se faisait l'humble intermédiaire de doléances et de pétitions, sans avoir aucune sanction pour les appuyer, et qui, s'il songeait à en assurer l'exécution, se mettrait en révolte contre les pouvoirs établis et sortirait des limites légales. Ce qui, dans le système d'un pouvoir nommé par une autorité centrale était déjà une anomalie, une puérilité, ne deviendrait-il pas une anomalie, une puérilité bien plus forte, lorsque le débat s'établirait entre deux pouvoirs élus? A quoi bon faire des élections pour nommer des intermédiaires entre le pouvoir et les pétitionnaires?

M. Odilon Barrot, revenant sur l'inutilité des conseils d'arrondissement, portait aux ministres le défi de trouver entre les communes et le département des intérêts intermédiaires. La question soumise à la Chambre était une question

d'organisation municipale et départementale; et, comme il n'y avait que deux intérêts, l'intérêt municipal et départemental, l'orateur conjurait la chambre de ne pas main tenir un pouvoir qui ne répondait à aucun intérêt réel et positif.

Habitué à soutenir les mêmes opinions que le préopinant, M. Mauguin dans cette occasion se rangea parmi ses adver saires :

«La question qui nous occupe, dit-il, divise toutes les parties de l'assemblée dans chacune on trouve des opinions contraires. J'appartiens à celle qui demande la conservation des conseils d'arrondissement, et pour moi cette opinion n'est pas nouvelle. En 1829 cette question s'est présentée, elle a été longuement débattue, et son issue a même eu un grand effet sur les événemens politiques. Il faut que vous sachiez qu'alors on en faisait une question de ministère, et par cela même une grande partie de l'assemblée la considérait comme une question politique.

» Quant à moi, qui ne me prononçai jamais sur une question d'organisation par des motifs accidentels, je m'abstins de prendre la parole, parce que l'abolition des conseils d'arrondissement était soutenue par le côté où je siégeais, mais en même temps je m'abstins de lui donner ma voix. Je ne pris point de part à la délibération. J'avais très-bien conçu pourquoi on demandait la substitution des conseils cantonnaux aux conseils d'arrondissement; on voulait faire revivre les aristocraties locales, et on ne demandait pas mieux que d'appeler à la participation du pouvoir ces intérêts de noblesse et de notabilités territoriales qui dominent dans les cantons.

»Je ne dis pas que ce fut alors l'intention de tout le côté où je siégeais, à beaucoup près; mais c'était l'intention de ceux qui dirigeaient l'opinion alors; c'était l'intention d'une partie des membres de la commission, et notamment de son rapporteur. C'est principalement parce que j'avais deviné cette intention que, quant à moi, je ne voulus pas voter.

>> Maintenant la question se présente toute nouvelle, nous avons à l'examiner. Je répète que ce n'était pas à beaucoup près l'intention de tous les membres; je dis que c'était l'intention de quelques unes des personnes les plus influentes. J'ai conçu depuis 1830 pourquoi je me trouvais dès lors en opposition avec les membres dont je parle; car, depuis la révolution, je me suis constamment trouvé en opposition avec eux. La révolution les avait fait arriver au pouvoir, et constamment j'ai eu à lutter contre l'impulsión rétrograde qu'ils ont donnée au grand mouvement de 1830. » (Sensation.)

Dans l'esprit de plusieurs personnes, la suppression des conseils d'arrondissement était désirable, comme devant conduire à la suppression des sous-préfectures; M. Mauguin déclarait qu'il ne tenait nullement à la conservation des souspréfets, mais qu'il tenait beaucoup à la conservation de l'unité territoriale connue sous le nom d'arrondissement, parce qu'il fallait entre le département et la commune une autorité in

termédiaire, qui assurât l'exécution des lois. L'autorité pouvait ne pas être bonne, satisfaisante, présenter des abus, en matière d'élection surtout ce n'était pas une raison pour la briser: mieux dirigée, elle deviendrait utile. En temps de paix, un pays n'a presque pas besoin d'administration; mais que la guerre éclate, et il faut au pays une adminis tration énergique, il faut des agens d'exécution, qui pressent les communes, fassent partir les soldats, préparent les fournitures. Dans le temps où la république française courut le plus de dangers, elle fut sauvée par l'énergie des administrations de départemens et de districts. Si une guerre venait à s'engager, et que les administrations d'arrondissemens fussent supprimées, ou serait obligé de les rétablir; il y aurait trop loin du préfet aux cantons ; l'action publique serait trop lente, trop disséminée pour répondre aux besoins du pays.

« Il y a en France, continuait l'orateur, d'après la division introduite par l'assemblée constituante, diverses unités administratives, qui chacune ont leurs intérêts. H y a d'abord la grande unité, celle du département; l'unité secondaire, celle de l'arrondissement; l'unité tertiaire, celle du canton; la dernière enfin, celle de la commune. L'unité de département a ses intérêts, nous en convenons tous, personne ne demande qu'on lui ôte son conseil. L'unité d'arrondissement a-t-elle aussi ses intérêts? (Oui, oui! Non, non!) Oui, elle devient un centre d'administration financière d'administration judiciaire et d'administration proprement dite, c'est-àdire des sous-préfets. Par cela même que vous voyez déjà dans l'arrondissement trois degrés d'administration, vous pouvez en ajouter un quatrième pour l'instruction publique, dans quelques cas même un cinquième pour le clergé. (Mouvemens divers.) Par cela même vous avez à voir si, à côté de tous ces fonctionnaires qui tiennent à la série des fonctionnaires délégués par la couronne, vous n'avez pas intérêt à placer des fonctionnaires électifs. Il y a en effet en France deux séries de fonctions, les fonctions déléguées par la couronne, qui descendent du ministre jusqu'au garde champêtre, et les fonctions électives. Ce qui nous a manqué jusqu'ici, c'est une série bien graduée de ces dernières. A côté des ministres, fonctionnaires délégués de la couronne, la Chambre représente les fonctions électives; à côté du préfet, autre fonctionnaire délégué, nous allons établir d'autres fonctions électives, le conseil de département.

>> Maintenant voudriez-vous rompre la graduation, la proportion, et descendre brusquement du département à la commune, et laisser l'intermédiaire, c'est-à-dire, l'arrondissement et le canton sans représentans des fonctions électives, à côté des fonctions déléguées par la couronne. En effet, à côté du maire, que je suppose un instant un délégué de la couronne, vous avez établi un corps électif, un conseil municipal. Et vous ne voudriez pas un conseil électif, un corps électif vis-à-vis du sous-préfet dans l'arrondissement? Est-ce que vous pensez que le conseil d'arrondis

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