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sement n'a rien à faire? Est-ce qu'il n'a pas à s'occuper des intérêts de cette unité administrative, que nous appelons circonscription d'arrondissement?

»Je sais qu'on reproche aux conseils d'arrondissement d'avoir trop peu d'attributions dans l'état actuel de la législation. Le reproche est fondé, je l'avoue. Il s'occupe en effet exclusivement aujourd'hui de la répartition de l'impôt. Tout ce qui concerne les constructions d'utilité publique se trouve encore dans ses attributions, et cette partie-là a bien quelque gravité; car il s'agit de palais de justice, de prisons, de ponts, de routes : voilà donc les deux parties positives des attributions du conseil d'arrondissement. Quant à celle de la répartition de l'impôt, je sais qu'aujourd'hui elle importe peu, puisque, comme l'a fait observer M. Barrot, répartitions sont toutes faites.

les

» Je suppose, par exemple, qu'il s'agisse de l'ouverture d'une route utile à l'arrondissement tout entier, vous consulterez un conseil cantonnal; la route passera loin de sa circonscription ; il n'y verra que de l'argent à dépenser, aucun avantage à recueillir.

» C'est dans toutes les questions de cette nature que vous verrez combien le conseil d'arrondissement vous est indispensable: seul il pourra se défendre et protéger son unité territoriale. Les conseils d'arrondissement, dites-vous, n'ont pas assez d'attributions, et vous en concluez qu'il faut les supprimer? J'en tire la conséquence toute contraire, c'est qu'il faut les perfectionner et les étendre.

» Vous créez des agens administratifs; quand vous les avez disséminés sur le territoire, c'est à vous à les faire agir, à leur donner la vie; après leur avoir donné la vie, à leur donner l'impulsion; si vous ne le faites pas, la faute est à vous, et non pas à l'instrument. Mais le faire agir, le faire marcher, qu'est-ce, si ce n'est lui donner des attributions? Quand la loi des attributions viendra, vous verrez s'il ne faut pas en donner de nouvelles aux conseils d'arrondissement. »

Quant aux conseils généraux cantonnaux, loin de les repousser, l'orateur pensait qu'on avait trop négligé cette unité administrative, et que dans une loi départementale et municipale cette faute devait être réparée. Mais on n'obtiendrait jamais d'une assemblée cantonnale, formée sous l'idée étroite d'une localité, des résultats utiles pour le département. M. Mauguin terminait en ces termes :

« Qu'ont voulu les législateurs des temps les plus anciens, comme des temps modernes, dont on a le plus admiré la sagesse et les vues utiles? c'est d'arracher l'homme à son individualisme,. Il y a en effet en nous deux sentimens bien distincts, l'un qui nous rappelle toujours à notre intérêt propre, personnel, l'égoïsme; l'autre, au contraire, qui nous agrandit, nous élève, et nous porte à nous sacrifier pour l'intérêt de tous, pour la patrie. Le premier sentiment est l'ennemi des sociétés : si vous le fécondez, vous perdrez l'Etat, vous aurez des unités qui ne verront qu'elles et laisseront périr la généralité, sans comprendre que sa ruine entraîne inévitablement la leur.

« Il faut arracher l'homme à son individualité pour lui donner l'esprit de famille; à l'esprit de famille pour lui donner celui de la commune; à celui-ci pour lui donner l'esprit d'arrondissement; à l'esprit d'arrondisse

commun,

ment pour lui donner celui de département ; enfin à ces derniers pour lui donner l'affection, l'amour de la patrie. Voilà, messieurs, ce que nous devons nous proposer de faire. Avec ce sentiment étroit de municipalités, de communes, de villages, vous arriveriez à distribuer la France en quarante mille petites fédérations, dont aucune, au moment du danger ne saurait se sacrifier pour le bien public. Laissez aux citoyens les moyens de généraliser, d'étendre, d'agrandir leurs idées; forcez-les d'abdiquer l'esprit étroit de localité, pour n'avoir que les idées généreuses de patrie; que nous soyons avant tout Français, quelle que soit la localité qui nous a vus naître ; et craignons, en nous laissant trop préoccuper par ces intérêts, dignes d'attention cependant, de la municipalité, de fractionner la France en petites unités fédératives qui affaibliraient notre beau pays, et pourraient même compromettre un jour son indépendance.

« Entretenons les idées larges et généreuses, natives en quelque sorte chez le peuple français, et nous n'aurons pas plus à craindre alors les ennemis de l'extérieur que ceux qui voudraient troubler notre ordre intérieur. (Marques très-nombreuses d'approbation aux centres... Légers murmures aux extrémités.j»

La discussion fut presque immédiatement fermée, et la Chambre, appelée à voter successivement sur les conseils généraux, les conseils d'arrondissement, les conseils cantonnaux, décida à l'unanimité qu'il y aurait dans chaque département un conseil général, à une très-grande majorité qu'il y aurait dans chaque préfecture un conseil d'arrondissement, et rejeta la création du conseil cantonnal.

10, 11 et 14 janvier. Des trois principales questions qui dominaient le projet de loi, la première, celle du maintien ou de la suppression des conseils d'arrondissement, étant ainsi tranchée, il en restait encore deux à résoudre, relatives au mode d'élection et aux conditions de l'électorat. Il s'agissait de savoir comment se feraient les élections aux conseils généraux de département; si ce serait par cantons, ainsi que le demandait la commission, ou par cantons tantôt isolés, tantôt réunis, selon le projet du gouvernement, ou par arrondissement, comme plusieurs amendemens le proposaient; enfin, il s'agissait de fixer combien il y aurait d'électeurs et à quelles conditions on obtiendrait cette qualité. La chambre consacrá trois séances à débattre le mode d'élection. A travers la foule d'amendemens dont la discussion était encombrée, deux systèmes, deux principes se reproduisirent sans cesse, celui de la centralisation et celui de Ann. hist. pour 1833.

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l'indépendance des localités, et au lieu de se rattacher fortement à l'un ou à l'autre, la Chambre oscilla perpétuellement entre les deux. Ainsi, après avoir maintenu les conseils d'arrondissement, elle devait rejeter l'élection cantonnale, ou en d'autres termes décider que l'élection se ferait au cheflieu de l'arrondissement, et en effet elle le décida, conformément au principe de l'unité nationale; mais tout à coup, se laissant ramener au principe de l'indépendance locale des amendemens tendant à diviser, à fractionner l'élection, elle statua, à la majorité de 168 voix contre 164, que chaque canton nommerait un membre du conseil général : elle voulut encore que chaque arrondissement pût être divisé en trois assemblées électorales. C'était en quelque sorte refaire les cantons,en augmentant un peu leur importance; c'était presque sanctionner le système du gouvernement, qui proposait tantôt de les isoler, tantôt de les réunir.

par

15, 16, 17, 18, 22 et 23 janvier. La discussion s'établit ensuite sur les qualités requises pour être électeur aux colléges d'arrondissement et aux conseils généraux. Divers amendemens furent présentés : M. Comte obtint la priorité pour le sien, qui créait un électeur par cinquante habitans, et de plus déclarait électeurs de droit les conseillers municipaux, les officiers des gardes nationales, les membres des cours et tribunaux, les avocats, avoués, médecins, chirurgiens, pharmaciens, les membres de l'Institut et autres sociétés savantes, les membres des chambres consultatives des manufactures, du commerce, etc. Selon le calcul de M. Rambuteau, cette proposition portait à huit cent mille le chiffre total des électeurs. Après de longs débats, la Chambre rejetą l'amendement, et en revint à l'article du gouvernement, amendé par la commission, d'après lequel les citoyens inscrits sur la liste du jury, les électeurs politiques, et de plus un citoyen sur deux cents, pris parmi les plus imposés, étaient appelés à l'élection des membres des conseils.

On passa aux conditions de l'éligibilité. Le projet du

gouvernement différait de celui de la commission en ce que le premier demandait un cens de 300 fr. et le second un cens de 200 fr. seulement, ce qui fut adopté par la Chambre. Diverses exemptions au cens d'éligibilité furent ensuite proposées et repoussées.

Lorsqu'il s'agit d'examiner l'article relatif aux incompatibilités entre certaines fonctions et celles de membres des conseils généraux, M. Comte proposa d'ajouter une sixième classe à celles que mentionnait l'article, et cette classe était formée des ministres du culte. A l'appui de son opinion, il dit que ce n'était pas une incapacité qu'il voulait établir, mais une incompatibilité entre des fonctions qui ne pouvaient marcher ensemble.

«Je crois, ajoutait l'orateur, qu'il importe beaucoup à la bonne administration et à la tranquillité de notre pays de séparer des fonctions qui sont complétement distinctes : nous ne devons pas nous mêler, nous, des affaires qui concernent les cultes ou les religions, si ce n'est pour en régler la police; mais, d'un autre côté, je crois qu'il importe aussi que les ministres des cultes restent enfermés dans leurs temples, et ne sortent pas de leurs fonctions. Vous les avez exclus de la chambre des pairs, et pour cela vous ne les avez pas déclarés incapables; vous avez reconnu une incompatibilité, vous n'avez pas créé une incapacité. (Bruits divers.)

« Vous avez déclaré tout à l'heure cinq à six incompatibilités qui ne sont injurieuses pour aucune des personnes qu'elles atteignent; je ne comprendrais donc pas que celle que je propose fût injurieuse pour aucun culte. « Je ne vois donc pas de raison de ne pas admettre cette incompatibilité. « Vous avez lu dernièrement dans les journaux qu'on avait vu, je ne sais dans quelle ville ou dans quel village, un ministre d'un culte, capitaine de la garde nationale. Je l'avoue, si j'avais été dans la garde nationale de cette commune, je ne l'aurais pas élu : je trouve une pareille élection tout-à-fait déplacée; cependant, comme la loi ne le défend pas, peut-être l'autorité aurait-elle tort de s'y opposer.

« On se plaint, surtout dans la Vendée, dans la Bretagne, de l'influence qu'exerce le clergé; mais si vous l'appelez dans vos délibérations, si vous le faites intervenir dans la discussion des affaires du pays, dans le vote et l'application des impôts, il aura une influence infiniment plus grande. »

L'un des adversaires de l'amendement, M. Dubois (de la Loire-Inférieure), fit d'abord remarquer que les fonctionnaires dont on avait déclaré les fonctions incompatibles avec celle de conseiller, étaient tous agens de l'administra tion générale.

« Il faut donc, continuait M. Dubois, faire une distinction entre les hommes qui régissent les intérêts mêmes qui sont l'objet des délibérations des conseils-généraux, et ceux qui, par conscience, par vocation, se

livrent à la propagation des croyances religieuses ceux-ci n'ont fait divorce avec aucun des droits politiques qu'ils peuvent exercer dans leur pays.

« L'exemple qu'on vous a cité est quelque peu inconvenant, et les électeurs qui ont pris le ministre d'un culte pour lui mettre l'épée au côté ont fait quelque chose de fort ridicule; mais parce que des électeurs se sont trompés, faut-il frapper d'interdiction toutes les croyances, non seulement celles qui sont reconnues, mais encore celles qui peuvent naître? (Légères rumeurs.)

«Non, messieurs, vous n'avez pas le droit de déclarer aucune religion incompatible avec les droits politiques.

«On a parlé des départemens de l'ouest. Eh bien! moi, qui suis député d'un de ces départemens, je sais que souvent le clergé catholique y a exercé une influence déplorable, mais je sais aussi que si nous le mettons tout-à-fait en dehors de nos institutions, nous le rendrons plus hostile

encore.

« Et d'ailleurs, si le ministre d'un culte religieux était assez bien famé pour que le suffrage de quarante mille citoyens (car tel est le nombre moyen des colleges d'arrondissement) le portassent au conseil de département, n'y aurait-il pas injustice à vouloir l'en exclure?

« Pour mon compte, je ne redouterais pas, messieurs, de voir siéger dans un conseil de département, dans cette Chambre même, un ministre du culte nommé par ses concitoyens.

« S'il en était ainsi, vous verriez naître dans le pays une tolérance plus vraie que celle qui n'a pour s'exprimer que des déclamations continuelles en faveur de la liberté, et qui est si souvent en contradiction avec ses propres principes. (Assentiment aux centres.)»

Malgré ces argumens, le président de la Chambre, M. Dupin aîné, quittant le fauteuil, vint appuyer l'amendement de M. Comte, en déclarant qu'il ne regardait pas la question comme un simple incident, mais comme une question constitutionnelle de la plus haute importance, et pouvant avoir sur notre régime entier les conséquences les plus étendues. Après quelques considérations sur la tolérance, qui nétait applicable qu'en matière de croyances, M. Dupin soutenait que la proposition ne tendait qu'à établir une incompatibilité, et qu'il n'y avait là rien d'injurieux pour personne.

<< Maintenant, ajoutait M. Dupin, et venant à l'amendement, je dis que nous devons, nous hommes de juillet, comme tous les hommes sincèrement attachés à cette révolution et qui veulent le maintien de ses principes, nous devons reconnaître qu'une des principales innovations de la révolution de juillet, et l'un des plus grands abus auxquels elle a voulu pourvoir, a été cet envahissement toujours croissant du clergé, qui ne se contentait pas du pouvoir religieux, qui dominait de toute part, dans le civil, dans les communes, dans les départemeus, qui avait son banc dans la chambre des pairs, qui s'était introduit dans le conseil-d'état et jusque dans le conseil du prince, qui avait envahi une partie du ministère, enfin qui se faisait sentir partout.

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