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«Non seulement le clergé voulait le pouvoir religieux sans partage' mais il voulait envahir tous les pouvoirs civils. C'est le plus grand malheur d'un état; c'est ce qui a perdu l'ancienne dynastie, qui avait le plus irrité la nation; c'était à ce mal que nous avions voulu porter remède en changeant l'article de la Charte, qui disait que la religion catholique était la religion de l'état ; non pas que nous ayons voulu qu'il résultât aucune espèce de dommage pour cette religion qui est celle de la majorité des Francais; mais pour que, satisfaite de la prépondérance de son ancienneté, de son étendue et de ses avantages, elle ne cherchât plus à empiéter sur les autres cultes, sur les autres croyances; et surtout pour que l'ordre civil fût totalement affranchi de la participation du clergé.

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« Ainsi, loin de diminuer l'influence du clergé, je la reconnais tout entière; seulement, comme homme public, comme homme politique comme ayant participé à la réforme de la Charte, et comme voulant sincèrement que les principes de la révolution de juillet n'éprouvent aucure brèche, surtout dans cette enceinte, je veux que l'influence des hommes qui parlent au nom de la religion s'exerce en chaire, et non à la tribune; par la morale, et non dans des fonctions publiques; par l'instruction des citoyens, en prêchant de bons sentimens, la paix, la concorde; en empêchant les divisions qu'amènent les discussions de sordides intérêts privés, et en général des intérêts matériels. Ils ne doivent pas se mêler à la discussion de ces intérêts, car ils donnent toujours lieu à des rivalités, à des discussions; et, comme ils nous le disent sans cesse, les intérêts mondains ne sont pas de leur royaume.

«Honneur au clergé catholique et aux membres de tous les cultes! salaire, considération, mais à condition qu'ils ne seront que ministres du culte, qu'ils béniront l'état, qu'ils appelleront la prospérité sur nos armes et sur les affaires du pays; mais quant aux fonctions publiques, ce n'est pas l'exclusion, mais l'incompatibilité, et la plus nécessaire de toutes, car si à ce pouvoir religieux, si utile quand il se contient dans ses limites, vous ajoutez ce qui a perdu le clergé, si vous ajoutez une fonction civile, il ne vous laissera pas de repos qu'il n'ait encore tout envahi. (Approbation générale et prolongée.) »

M. Dubois reprit la parole et MM. Renouard et Meynard se joignirent à lui, comme l'avait déjà fait M. Peyre, pour combattre l'amendement. «Il n'y a pas interdiction, disait M. Dubois, pour que le clergé arrive dans cette Chambre, ni pour qu'il arrive à la Chambre des pairs; car si un membre du clergé appartient à l'Institut, il peut arriver à la Chambre des pairs. Ainsi la porte est ouverte au clergé à la représentation dans cette Chambre; il peut arriver à la Chambre des pairs, et vous allez lui interdire l'entrée dans les conseils généraux! » M. Dupin répondit que quand on avait fait de la qualité de membre de l'Institut une qualité qui rendait éligible à la pairie, c'était une question distincte de celle du clergé. On avait proposé, à l'égard du clergé, une catégorie distincte, qui avait été rejetée par un vote

presque unanime. La Chambre n'avait pas entendu que si le clergé ne pouvait pas entrer directement avec la mitre à la Chambre, il pourrait y entrer par la porte de l'Institut. M. Garnier-Pagès réclama l'égalité et la liberté pour tous: «Je dis, s'écria-t-il, que si vous adoptez l'amendement de M. Comte, vous déclarez l'abbé Grégoire une seconde fois indigne. »

« C'est une erreur, répondit encore M. Dupin, c'est toujours vouloir confondre l'incompatibilité avec l'indignité; car comme il répugnerait à vos esprits de faire injure à aucune classe de personnes, comme moins qu'aucune classe le clergé mérite injure, ce serait capter ses suffrages ou faire croire que vous le repoussez par indignité. Il est digne, très-digne de nos respects; il ne peut déchoir qu'en dénaturant ses fonctions, et en descendant de la hauteur où il est placé, en abusant de son influence pour la transporter dans l'ordre civil.

« Ce n'est pas un intérêt de religion, c'est un intérêt mondain qui leur conseillerait de quitter leur temple pour frapper à nos assemblées. ( Interruption.)

<< Toutes les raisons de détail doivent disparaître devant le grand principe que j'ai posé, et qui a pour base la séparation des influences religieuses d'avec les pouvoirs politiques, influences assez puissantes, assez envahissantes par elles-mêmes, pour ne pas joindre encore au pouvoir sacerdotal le pouvoir civil, et ne pas les accumuler dans les mêmes mains.

« Voilà, messieurs, les considérations que je recommande à vos esprits. (Agitation.) »

La clôture ayant été immédiatement prononcée, la Chambre accueillit l'amendement de M. Comte.

Ce fut le dernier incident remarquable de cette discussion, qui dura encore trois séances, sans cesser d'être jusqu'au bout confuse, incertaine, embarrassée de propositions et souvent de décisions contradictoires.

26 janvier. Enfin la loi fut adoptée à la majorité de 205 voix contre 82. L'opposition avait annoncé qu'elle voterait pour la loi : les boules noires ne venaient donc pas de sa part, mais d'un certain nombre de députés habituellement ralliés à la majorité. Cettebizarrerie concordait avec la marche générale de la délibération, pendant laquelle les opinions, ainsi qu'on l'a remarqué, s'étaient plusieurs fois déclassées. Sans doute les contradictions dont la loi était remplie avaient dû motiver beaucoup de rejets. La plupart des députés,

convaincus que l'oeuvre qui allait sortir de leur mains était mauvaise, se confiaient dans l'idée que la Chambre des pairs en corrigerait les défauts. Présentée à cette Chambre le 25 février, la loi n'y fut discutée que dans la session suivante. C'est seulement quand nous serons parvenus à cette époque, que nous indiquerons les résultats du nouveau travail auquel l'organisation des conseils de département et d'arrondissement fut soumise.

CHAPITRE III.

Loi

Loi qui accorde des pensions aux vainqueurs de la Bastille. Loi relative aux pensions accordées aux orphelins des victimes de juillet. relative à un crédit pour secours aux familles des victimes de juillet. Loi relative à un crédit supplémentaire pour indemnités de juillet.

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Dès le mois de novembre de l'année 1831, une pétition, appuyée par MM. de Lameth et Lafayette, et dans laquelle plusieurs Gardes-Françaises demandaient des récompenses, comme vainqueurs de la Bastille, avait été présentée à la Chambre des députés, qui la renvoya au gouvernement. Le 8 mai de l'année suivante, une ordonnance du roi, instituant une commission pour examiner les titres des pétitionnaires, accorda aux ayans-droit un secours de 500 francs pour 1832, en attendant qu'une loi eût pu statuer sur cet objet. La commission fit son rapport le 12 septembre, et le 29 décembre suivant, un projet de loi fut soumis à la Chambre élective. Une nouvelle commission fut nommée par la Chambre; M. le colonel Paixhans, son rapporteur, exposa d'abord (14 janvier 1833) l'état de la législation, analysa les divers décrets de l'Assemblée constituante en faveur des vainqueurs de la Bastille, et finit par proposer, au nom de la commission, de réduire à 250 francs le taux des pensions, que le projet de loi portait à 500, estimant que ce qui est convenable serait fait dignement et sans parcimonie, en donnant aux vainqueurs de la Bastille la même pension qu'aux membres de la Légion-d'Honneur.

23 janvier. Un seul orateur (M. Gaëtan de la Rochefoucauld ), parla contre le projet, qui, dans son opinion, contenait plusieurs questions à résoudre, une d'économie, une de politique, et une d'honneur national; mais il

pensait que les deux premières devaient être soumises à celle-ci :

«En effet, messieurs, disait-il, lorsqu'une commission vient d'être chargée par le gouvernement de réviser les pensions les mieux acquises par de grands services rendus à l'état dans les temps de périls de la patrie, lorsqu'on se croit forcé par la nécessité d'inquiéter les citoyens et les familles qui jouissent des pensions qu'ils ont obtenues pour prix d'un long dévouement à l'ordre public et à la prospérité de leur pays, il semble étrange de remonter quarante-trois ans en arrière de nous pour aller chercher des titres à des pensions nouvelles.

«Il semble étrange aussi que lorsque l'armée française, couverte de gloire et admirable pour sa discipline, revient dans nos foyers se joindre à cette garde nationale qui suffisait seule pour maintenir la paix publique, on prétende qu'il est nécessaire, pour la conserver, d'accorder des pensions å 400 vieillards qui semblent très-redoutables, puisque le plus jeune, nous a dit M. le rapporteur, a 63 ans.

« Mais enfin, s'il était vrai qu'il y eût un grand événement, 'glorieux pour la France, heureux par ses résultats autant que célèbre par les belles actions qui l'auraient accompagné, admirable surtout par le dévouement et la vertu de ceux qui y auraient pris part, je conçois que l'honneur national voulût remonter jusqu'à lui pour en faire une époque de gloire historique et de commémoration patriotique.

« Vous voyez, messieurs, que pour savoir si vous célébrerez le 14 juillet 1789, et si vous allouerez des pensions à ceux qui se disent les vainqueurs de la Bastille dans cette journée, il est malheureusement indispensable d'apprécier cet événement. La tâche est pénible, elle n'est pas de mon choix; j'aurais désiré laisser la parole à de plus habiles et peut-être même à de plus prudens que moi; mais quand j'ai vu que pas un seul de mes collègues n'était inscrit contre le projet de loi, j'ai craint qu'il ne passât pour ainsi dire inaperçu, sans discussion; et j'ai regardé comme un devoir de conscience de protester, fussé-je seul, contre ce projet de loi, au nom même de l'honneur national. »

L'orateur, évoquant les souvenirs de la révolution française, cherchait à prouver que le 14 juillet n'était pas, ainsi qu'on se le représentait faussement, le jour où la nation avait reconquis ses droits par une insurrection légitime, car ce jour avait lui pour la France le 5 mai 1789, à l'ouverture des États-Généraux. Depuis cette époque, il ne s'agissait plus que d'une réforme législative; l'Assemblée constituante avait accepté cette tâche, et la poursuivait avec ardeur. Le 14 juillet ne fit donc pas la révolution : au contraire, il la détourna de sa marche naturelle, en la précipitant dans tous les excès de l'anarchie; en donnant le premier exemple des émeutes, des massacres, et de tous les genres d'atrocités. Au tableau de cette journée souillée de trahison, de barba

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