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de 89, commencez par leur rendre les droits politiques dont ils ont été dépouillés, abolissez les nouveaux priviléges, licenciez votre aristocratie élec torale, respectez la liberté individuelle, murez les portes de vos bastilles diminuez les impôts qui écrasent le peuple; et alors vous aurez le droit de demander des récompenses pour les hommes des deux époques de 89. « Si nous montrons tant de libéralité pour un exploit d'un jour dont les résultats ont trompé l'attente des amis de la liberté, que ferons-nous en faveur des guerriers qui ont acquis tant de gloire sur les champs de bataille? Quelles récompenses aurons-nous pour les conquérans de l'Italie et de l'Egypte, pour les vainqueurs de Marengo, d'Austerlitz, d'Iéna, de Wagram et de la Moscowa? Ont-ils moins mérité de la patrie, ceux qui lui ont apporté une si grande moisson de lauriers? Eux aussi, ce me semble, ont combattu pour la dignité, l'honneur et l'indépendance de la France! Mais ils ne vous demandent rien. C'est que la gloire, de même que la liberté, ne se met point à prix, et que, pour des cœurs généreux, une couronne defchêne est préférable aux richesses.»>

M. Villemain répondit à M. de Dreux Brézé; sans vouloir retracer l'histoire des événemens, il crut devoir rappeler les fameuses paroles adressées par Mirabeau au père du préopinant: « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple, etc. »

« Je n'achève pas, disait M. Villemain. Le jour où ces paroles furent prononcées, messieurs, l'insurrection commençait, et la Bastille était prise.

« Cette insurrection était-elle légitime et nécessaire? Je n'hésite pas à répondre oui. Oui! elle était légitime et nécessaire. On peut le répéter dans cette enceinte, et nous devons tous nous en souvenir, et toutes les Chambres des députés et la Chambre des pairs doivent se souvenir à jamais que c'est à de telles insurrections, que c'est à ces glorieux commencemens de la révolution, que nous devons tous l'honneur de siéger dans cette assemblée, et que M. le marquis de Dreux Brézé doit l'honneur d'y parler à son tour, comme portion du pouvoir et comme représentant national. (Marques d'adhésion.)

« Ne médisons pas de ces grands souvenirs ; ne calomnions pas le passé qui nous a faits. (Très-bien!)

P

« Oui, sans doute, comme dans tous les grands événemens, comme dans toutes les commotions politiques, des crimes, des attentats, des violences individuelles, ont suivi le développement soudain et nécessaire de l'énergie nationale.

« Le crime a été à côté de la grandeur. C'est la force et la fatalité des révolutions. C'est parce qu'elles sont si terribles qu'elles doivent être rares, et puisqu'à la suite de ces longues commotions un état social nécessaire!, accepté par la volonté nationale, s'est élevé et commence à s'affermir, ik faut craindre de l'ébranler par des souvenirs et de l'attaquer par des récriminations. (Très-bien! ) »

Après le préopinant, M. de Dreux Brézé reparut à la tribune pour donner quelques explications sur le fait de la fameuse apostrophe de Mirabeau.

« Mon père, dit-il, fut envoyé pour demander la dissolution de l'As

semblée nationale. Il y arriva'couvert, comme c'était son devoir; il parlait au nom du roi. L'Assemblée, qui était déjà dans un état d'irritation, trouva cela mauvais. Mon père, en se servant d'une expression que je ne veux pas rappeler, répondit qu'il resterait couvert puisqu'il parlait au nom du roi. Mirabeau ne lui dit pas: Allez dire à votre maître..... j'en appelle à tous ceux qui étaient dans l'assemblée et qui peuvent se trouver dans cette enceinte; ce langage n'aurait pas été admis.

<< Mirabeau dit à mon père: Nous sommes assemblés par la volonté nationale et nous n'en sortirons que par la force. Je demande à M. de Montlosier si cela est exact. Mon père répondit à M. Bailly: Je ne puis reconnaître dans M. Mirabeau que le député du bailliage d'Aix et non l'organe de l'Assemblée nationale. Le tumulte augmenta, un homme contre cinq cents est toujours le plus faible; mon père se retira. Voilà, messieurs, la vérité dans toute son exactitude: >>

M. Villemain répondit que l'orateur n'avait point à se plaindre, puisqu'il lui avait fourni l'occasion de développer un souvenir de famille, que d'ailleurs peu importaient les circonstances et les expressions; qu'il n'en restait pas moins le grand fait que la Chambre devait consacrer, car c'était à ce fait que tous ses membres étaient redevables de faire partie d'un gouvernement représentatif.

M. le comte Tascher, second orateur inscrit contre la loi, exprima le regret de ce que montant pour la première fois à la tribune depuis 1830, il venait combattre un projet présenté par une administration, avec laquelle il lui était pénible de se trouver en dissidence. Mais il ne pouvait donner son assentiment à une proposition qui lui semblait aussi impolitique dans son principe qu'erronée et injuste dans son application. Comme M. de Dreux Brézé, il appela l'histoire à l'appui de ses convictions. M. d'Argout se présenta pour les réfuter, avec des argumens déjà connus, et ensuite la Chambre passa à la discussion des articles.

M. Allent proposa divers amendemens, qui modifiaient la rédaction du projet ainsi que ses dispositions principales: suivant lui, on ne pouvait admettre un article qui accordait une pension aux vainqueurs de la Bastille et homologuait en même temps un tableau de quatre cents pensionnaires.

« Les Chambres, disait-il, peuvent accorder une pension nominative,

lorsqu'elle s'applique à une seule personne, pour des services qu'il est possible et facile de vérifier.

« Mais quand la loi doit s'appliquer à une classe de citoyens, le législateur pose les bases de la pension et renvoie la liquidation au gouvernement, pour qu'elle se fasse dans les formes légales, sous la responsabilité des ministres. Les Chambres ne peuvent être liquidatrices: elles n'ont aucun moyen de vérifier les titres des réclamans, et cette vérification sort du cercle naturel de leurs attributions.

« Une observation de même nature s'applique à l'article 2, qui clot la liste homologuée par l'article 1er. La loi prononce les déchéances; le gouvernement les applique; vous ne pouvez reconnaître et appliquer la déchéance établie par la commission qui a rédigé le tableau. »

En conséquence, M. Allent proposait de ramener la rédaction des articles 1er et 2 du projet aux principes et aux formes ordinaires des lois sur les pensions. Ses amendemens, composés de plusieurs paragraphes, furent renvoyés à la commission, qui déclara ( 15 mars), par l'organe de M. Mathieu Dumas, qu'elle reconnaissait la vérité du principe sur lequel ils reposaient.

Dans la discussion des conclusions de ce rapport, les divers orateurs qui avaient parlé contre le projet, MM. de Dreux Brézé, de Tascher, revinrent sur les questions générales et spéciales qu'ils avaient agitées : le ministre de l'intérieur et M. de Pontécoulant leur répondirent. Ensuite le projet de loi, tel que la commission l'avait refait, sur la proposition de M. Allent, fut adopté, sauf une correction peu importante: 86 membres se prononcèrent pour l'adoption, et 62 contre : il y eut en outre deux billets blancs.

18 avril. Le projet revint à la Chambre des députés, et la commission conclut à son adoption pure et simple, en faisant observer que les deux Chambres étant d'accord sur le principe de la récompense à décerner, il ne restait plus qu'une légère différence dans le mode d'appréciation des titres. La Chambre des députés avait pensé qu'il était bien de ne pas infirmer un long travail fait par ordre du gouvernement et sous ses yeux; qu'en exiger la révision c'était donner lieu à un nouvel examen, pour lequel il n'existait pas de nouveaux élémens : du reste, et en thèse générale, la commission reconnaissait la justesse de la règle posée par la Ann, hist. pour 1833.

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Chambre des pairs. Les amendemens introduits par cette Chambre n'avaient donc rien qui dût empêcher la loi d'être admise.

22 et 23 avril. M. Gaëtan de la Rochefoucauld rouvrit la discussion à peu près comme il l'avait entamée, par des considérations sur la journée du 14 juillet, et sur la manière dont son illustre père, M. le comte de la RochefoucauldLiancourt, l'avait caractérisée. Il tenait à prouver la conformité de ses opinions avec celles que son père avait professées toute sa vie. A cet égard, il s'appuya sur des manuscrits restés en sa possession: il ajouta une longue série de faits à ceux qu'il avait déjà cités, et termina ainsi :

« Vous avez donc à examiner si, lorsque l'Assemblée nationale en 1790, un an après l'événement, a jugé ne devoir accorder des pensions qu'à 221 personnes, et que ces pensions ont été inscrites sur le grand-livre et délivrées aux ayans-droit comme récompenses nationales complètes et définitives; vous examinerez, dis-je, si vous devez y ajouter des pensions à ceux que le général Hullin vous a désignés comme faussaires, et que l'assemblée nationale a déclarés tels.

« Je dois même vous rappeler que l'art. 5 de la loi du 4 juin 1791 porte qu'il ne sera plus accédé à aucune demande, et qu'il était même défendu de présenter à l'avenir aucune pétition à ce sujet. Il y a eu ainsi forclusion impérativement ordonnée par la loi ; lorsque vous refusez d'admettre les plus justes réclamations des créanciers de l'état, parce que des lois iniques ont prononcé des déchéances à raison du retard de quelques années, c'est après 43 ans que vous accorderiez des munificences qui ne sont pas dues, et que la loi a proscrites formellement !

« Et en effet, messieurs, depuis lors ni l'Assemblée constituante, ni l'Assemblée législative, ni même la Convention nationale; et ensuite aucune des assemblées ni aucun des gouvernemens qui se sont succédé n'ont eu la pensée d'accorder de nouvelles récompenses aux vainqueurs de la Bastille. >>

Ce fut encore M. de Lafayette qui répondit le premier à l'orateur, adversaire déclaré du projet de loi et d'une des plus célèbres journées de notre histoire.

« Messieurs, dit le général, le grand secret échappé dans une autre Chambre vient d'être reproduit à cette tribune on veut proscrire la révolution du 14 juillet, et surtout le régiment qui, en ne consentant pas à chasser l'Assemblée constituante, fut un principal moteur de cette révo lution. J'aime mieux que nous soyons sur ce terrain, il est plus clair et plus, net. >>

M. de Lafayette signala dans le discours du préopinant plusieurs contradictions et plusieurs inexactitudes.

une

Le fait est, disait-il, que le clergé et la noblesse, après avoir défendu dans la première assemblée des notables leurs privileges contre le roi, et dans la seconde leurs priviléges contre le peuple, s'étaient emparés, avant le 14 juillet, de l'esprit de Louis XVI, qui lui-même avait des sentimens populaires, mais cédait à leur obsession. Je n'étais pas dans le tête-à-tête de M. de Liancourt; mais je sais que lorsque le roi se servit de l'expression": C'est une grande révolte, il répliqua : Non, sire, c'est une grande révolution. Je n'ai pas dit qu'il se fût servi du mot glorieuse; mais pour l'autre expression, je la tiens de lui-même, et il en a toujours accepté les complimens. Le roi comprit si bien que cette journée du 14 juillet était grande révolution, qu'il se hâta d'appeler ses nouveaux ministres, qui lui Conseillèrent d'aller sur-le-champ à l'Assemblée nationale; il y alla, tant il croyait le danger imminent, et lut le petit discours concerté avec eux. « Le danger était grand, parce que les Gardes-Françaises avaient donné aux troupes l'exemple de ne pas renverser la représentation nationale. Je m'étonne d'entendre dire qu'il faut bien prendre garde d'encourager un pareil sentiment. Ce sentiment était tout simplement de ne pas vouloir Coopérer à la destruction de l'assemblée vraiment representative de la France, à l'arrestation de ceux qu'on appelait les chefs de la révolte, et à leur supplice par jugement prévôtal. Et en vérité, messieurs, si l'on Youlait vous en faire autant, vous ne croiriez pas, je pense, qu'un régiment fut obligé d'obéir. (Sensation.) »

Après quelques développemens, tendant au même but, l'orateur s'indignait qu'on voulût peindre les Gardes Françaises comme des assassins, comme des hommes qui auraient eu le malheur d'assurer la première révolution.

« Oui, messieurs, ajoutait-il, nous sommes beaucoup qui avons eu ce prétendu malheur, que nous avons regardé comme un bonheur pour nous, nous sommes quelques uns qui avons survécu, qui avons eu aussi le bonheur de contribuer à la seconde révolution de juillet, et qui défendrons envers et contre tous cette révolution, ses promesses, ses engagemens contractés, auxquels nous avons altaché notre honneur. «Je demande l'adoption de la loi. »

Le ministre de l'intérieur retraça de point en point l'historique du projet de loi pour répondre à M. de la Rochefoucauld, qui avait adjuré le ministère d'abandonner une loi contraire à ses principes, de ne pas réveiller de funestes souvenirs, de ne pas mettre en honneur la sédition et le

meurtre.

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« On vous a parlé, disait le ministre, de crimes, de meurtres, d'actes odieux qui auraient accompagné la prise de la Bastille. Ces renseignemens sont-ils exacts? ne sont-ils pas le fruit de l'erreur ou de la prévention? n'ontils pas été singulièrement exagérés par l'esprit de parti? D'ailleurs pourquoi généraliser? Comment les fautes de quelques uns rejailliraient-elles sur les antres et atteindraient-elles la masse des citoyens qui ont concouru à la prise de la Bastille? Non certes, ce ne sont pas des crimes qu'il s'agit de récompenser ou d'honorer, mais un grand événement qui ne saurait perdre ce caractère par la faute de quelques individus? »

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