Page images
PDF
EPUB

question pour prendre un parti. Jusqu'au dernier, au plus ignorant des prolétaires, tout le monde a bien compris la portée des ordonnances, quel but on se proposait en les rendant; tout le monde a bien vu qu'il ne s'agissait pas moins que de la liberté nationale, et de supporter le joug de la restauration mille fois plus pesant encore qu'il ne l'avait été.

« Dans cette position, croyez-vous que les hommes qui ont commencé l'attaque, qui ont montré le plus d'acharnement contre les citoyens, car ils ont cette gloire-là sur les autres armes, ont agi sans discernement? C'est impossible à croire. Je vous le demande, que serait-il arrivé, si la fortune avait trahi la justice, si le peuple avait succombé? Sans doute on aurait indemnisé, aux dépens du peuple, ct les gendarmes, et tous ceux qui, pour la cause royale, auraient souffert quelques dommages. Pardonnez-moi ce souvenir; mais la proposition se réduit à ce mot piquant de Paul-Louis Courrier: « Grâce au gouvernement représentatif, vainqueur ou vaincu, le peuple français paie toujours. >>

« On vous a invités à vous pénétrer de l'esprit de la loi; sans doute il doit former notre règle. Quel est-il? Voudriez-vous, pour l'interpréter, vous reporter au 1er août, interroger les vainqueurs? Croyez-vous qu'ils auraient sérieusement entendu une pareille proposition? Je dis sérieusement, car ils ne se seraient pas indignés, ils auraient fait justice par le mépris d'une semblable demande; ils auraient dit : «Vous invoquez notre générosité notre générosité! ne la prouvons-nous pas assez, quand les hommes qui ont montré tant de rage contre nous, du moment que le combat a cessé peuvent se retirer, et que la colère nationale ne retombe que sur les premiers magistrats, les premières autorités, les ministres signataires des ordonnances, et que tout le reste est confondu dans la grande amnistie de la clémence nationale? Est-il juste encore de venir nous demander un sacrifice?» Nous qui avons coopéré à cette loi le 30 août, je ne crains pas de le déclarer, notre intention était de donner une indemnité à ceux qui avaient souffert pour la cause nationale et non à ceux qui avaient souffert pour la cause royale. Ce n'est pas actuellement qu'on doit essayer de tordre les expressions: restons dans le vrai. Il n'est pas venu dans l'esprit des auteurs de la loi de faire une telle application de l'indemnité qu'ils votaient.

« Je dirai plus, il n'est pas sûr que les pertes qu'on allègue pour obtenir des indemnités aient été réellement souffertes. Je regrette de ne pas voir à sa place dans ce moment-ci mon honorable ami, M. le général Subervie. Il commandait la division militaire de Paris dans les grandes journées et dans celles qui les ont suivies; il m'a attesté, et il attesterait à la chambre, que la perte alléguée n'est pas réelle, que douze heures après la fin de tous les combats il n'y avait aucun dommage; que s'il en est survenu depuis, ils ne peuvent être imputés à la révolution de juillet.

« Mais, a dit votre commission, M. Casimir Périer a enhardi les ordonnateurs de cette dépense; il leur a dit qu'il ne fallait pas faire de catégo ries, distinguer d'opinions. Je n'examinerai pas le sentiment ministériel qui a dirigé M. Périer, ce n'est pas le lieu de le faire; mais je dirai que s'il avait, comme ministre ordonnateur, commandé cette dépense, il y aurait lieu à la responsabilité, parce que bien certainement, dans ce moment-là, il avait perdu de vue l'esprit de la loi.

« J'en dirai autant pour les employés de la liste civile. Eux, également, n'appartiennent pas à la cause nationale, eux angsi auraient été largement indemnisés aux dépens du peuple, si la cause vaincue avait été victorieuse; ils ne sont pas compris dans cette loi que nous avons votée pour nos concitoyens, et non pour nos ennemis ou pour les serviteurs de nos ennemis. «Je terminerai par une observation qui doit rendre circonspect quand vous ordonnez des dépenses, et à plus forte raison lorsque ces dépenses

peuvent porter le caractère de profusions généreuses sans motif: c'est votre situation financière.

Il est aisé de voter des dépenses; mais quand ces dépenses sont votées, il reste quelque chose, c'est de voter les recettes. Je désire qu'aucun dé nous ne perde de vue la situation financière de la France, et qu'il considère, chaque fois qu'il ajoute un sou aux dépenses, les embarras de cette position. »

MM. Ganneron et Benjamin Delessert parlèrent dans le sens opposé, en argumentant de l'esprit qui avait présidé au vote de la loi et au travail de la commission chargée d'apprécier les dommages. Comme indice de la modération générale des réclamations, le dernier orateur en cita deux, celle d'une malheureuse femme, dont le grabat avait été fracassé par un boulet près de la porte Saint-Antoine, et qui ne demandait que cinq francs, et celle d'une marchande de comestibles, établie le long des murs du Falais-Royal, qui ne demandait que quatre-vingts francs. M. Odilon Barrot sé déclara contre les allocations sollicitées, et de ce qu'en droit l'indemnité n'était pas due, il conclut que si, par exception, elle était accordée, ce ne pouvait êtré qu'à ceux qui avaient souffert dans l'intérêt de la cause de la liberté. Le ministre de l'intérieur et le garde-des-sceaux intervinrent dans la discussion. Le ministre de l'intérieur reconnut, avec M. Odilon Barrot, que la loi était exceptionnelle, et que dans son exécution il y avait quatre catégories parfaitement distinctes; i celle des personnes qui avaient combattu dans les journées de juillet et pour la cause nationale; 2° celle des personnes qui, sans combattre, avaient aidé la cause nationale; 3° celle des personnes qui, à raison de leur âge, de leur position, de leur sexe, étaient restées neutres, et dont les propriétés avaient souffert; 4° enfin celle des personnes qui avaient combattu contre la cause nationale. La loi n'avait pas fait toutes ces distinctions; puis, chose unique et sans précédent peut-être, elle avait chargé une commission d'exécuter ses dispositions. Or, que pouvait faire le gouvernement, sinon remettre aux Chambres le travail de la commission et demander le crédit réclamé par elle?

"Mais je dois faire connaître à la Chambre, ajoutait le ministre, une particularité dont il est essentiel qu'elle soit instruite, c'est qu'une loi de 1831 a ouvert, comme la Chambre se rappelle, un premier crédit pour liquider les paiemens de ces dommages. Au fur et à mesure de la liquidation de la commission, le gouvernement a fait acquitter les sommes liquidées. Il en est résulté que quelques employés de la liste civile ont été remboursés, que quelques gendarmes.... ( Une voix. De préférence.) Les gendarmes ont reçu 8 ou 10,000 fr., ce sont les plus nécessiteus. Vous devez remarquer que vous ne pouvez pas faire de déduction de ce qui a été déjà payé, il est impossible de le faire rentrer au Trésor. Quant au gouvernement, il a payé régulièrement, puisqu'il a agi d'après le travail d'une commission instituée par la loi.

« Telles sont les explications que j'ai cru devoir donner à la chambre pour motiver la demande de l'allocation. C'est ensuite à elle à statuer dans sa sagesse ce qu'il appartiendra. Je me bornerai à recommander à son impartialité d'englober dans cette proposition toutes les classes d'individus.

Le garde-des-sceaux, arrivant de la Chambre des pairs, et prenant la discussion au point où elle se trouvait, se prononça d'une manière plus nette et plus tranchée.

« Je ne connais pas, dit-il, tous les détails de la question; mais il est un sentiment, une opinion qu'il est indispensable d'exprimer.

« La loi accorde une indemnité à ceux qui ont pu éprouver quelque dommage dans leur fortune pendant les journées de juillet; ces derniers peuvent être ainsi divisés : ceux qui combattaient pour la cause nationale; ceux qui, sans prendre part au combat, ont pu cependant éprouver quelque dommage; ceux enfin qui ont combattu contre nous. Pour ces derniers, il est évident qu'il est impossible d'admettre aucune indemnité (Très-bien, très-bien), ce serait désavouer la révolution elle-même. (Marques nombreuses d'approbation mêlées d'étonnement sur quelques banes des extrémités.) »

La Chambre passa presque immédiatement au vote des articles. M. de Schonen demanda la division de l'amendement de M. Coulmann, entre les 416,000 fr. réclamés par les gendarmes et les 98,492 fr. demandés par les employés de la liste civile, en observant que sur cette dernière somme il avait déjà été payé 90,392 francs. La réduction relative aux gendarmes fut adoptée à une forte majorité : celle de la la somme de 8,100 fr. restant à payer aux employés de la liste civile, et réclamée par l'ancien gouverneur du Louvre, M. d'Autichamp, mort depuis 1830, fut également prononcée.

Dans la séance du lendemain, la Chambre rejeta un amendement de M. Gaëtan de la Rochefoucauld tendant à retrancher la somme de 1,134,374 fr. 34 cent., allouée pour la réparation des bâtimens de la ville de Paris. Le

président appela ensuite son attention sur le point de savoir si elle entendait clore définitivement le crédit: M. Laffitte présenta un amendement dans ce sens, et le ministre de l'intérieur déclara l'accepter en ce qui concernait les dommages éprouvés par la capitale ; mais il demanda une exception au profit de la ville de Nantes, dont la liquidation n'était point encore terminée. Un nouvel amendement dont la rédaction n'excluait du crédit que les réclamations non encore faites, ayant été proposé par M. Félix Réal, auquel se réunit M. Laffitte, et accueilli par la Chambre, le projet de loi entier fut voté à une très-grande majorité (200 voix contre 49).

19 mars. Le ministre de l'intérieur soumit le même jour les trois projets de loi, dont nous venons de nous occuper, à la sanction de la Chambre des pairs. Une même commission fut chargée de leur examen, et un même rapporteur, M. Besson, en proposa l'adoption pure et simple (25 mars). Les deux premiers, relatifs aux pensions des orphelins et à la portion de crédit à transporter d'un exercice à l'autre, passèrent sans discussion (28 mars). Dans le cours de la discussion du troisième, relatif aux indemnités, M. le comte de Tascher fit le rapport de deux pétitions adressées à la Chambre par un commandant de la gendarmerie départementale des Basses-Pyrénées, et par trente-quatre officiers ou soldats de l'ancienne gendarmerie, lesquels attaquaient l'exclusion prononcée contre eux par la Chambre des députés; le rapporteur conclut à renvoyer ces pétitions au ministre de l'intérieur, ce qui eut lieu. Le jour suivant (30 mars), la Chambre des pairs écarta la demande du général Dubourg, déjà repoussée par l'autre Chambre, et après quelques explications du rapporteur, suivies d'une courte discussion, adopta le projet sans amendement sur un nombre de 116 membres présens, 102 votèrent pour, et 13 seulement contre. Ainsi fut réglé définitivement le compte des satisfactions et indennités, ouvert par les événemens de juillet 1830,

CHAPITRE IV.

Pétitions à la Chambre des députés. Discussion relative à la duchesse de Berry dans la Chambre des pairs. — Mission des docteurs Orfila et Auvity à Blaye. Mouvemens et provocations du parti légitimiste. — Duels politiques. La duchesse de Berry déclare qu'elle est mariée.

Plusieurs pétitions dignes d'intérêt, présentées à travers les débats législatifs dont l'analyse précède, nous obligent à revenir sur nos pas.

12 janvier. Dans la nuit du 28 au 29 juillet 1832, le pont d'Arcole, à Paris, avait été le théâtre d'une scène sanglante (voyez la Chronique pour 1832). Un sieur Perrotte adressa à la Chambre des députés une pétition dans laquelle il dénonçait le crime (c'étaient ses expressions) de l'administration de la police, consommé par la main et l'épée meurtrière des sergens de ville. Voulant rendre le préfet de police responsable de la conduite de ses agens, le pétitionnaire avait d'abord déposé une plainte au parquet du procureur du roi, dans le but de demander au conseil d'état l'autorisation de poursuivre M. Gisquet; mais cette démarche n'ayant rien produit, faute d'être régulière, il avait eu recours à la voie de pétition.

« Messieurs, dit M. de Montépin, rapporteur, il n'est que trop vrai que le sang a coulé sur le pont d'Arcole dans la nuit du 28 au 29 juillet, à la suite d'un conflit entre des citoyens' et des sergens de ville; et il a malheureusement été possible que quelques personnes n'ayant point participé à ce conflit aient reçu des blessures.

« Le sieur Perrotte paraît être une de ces victimes. Sa pétition contient un récit des événemens. Il dit qu'un certain nombre de citoyens affligés de ce que l'autorité supérieure avait supprimé, dans la célébration de l'anniversaire des journées de juillet 1830, les honneurs funèbres dus aux victimes de ces journées, résolurent d'honorer leurs mânes.

« Sous l'impression des sentimens religieux qui les animaient, ils se rendirent des Champs-Elysées au Louvre, en chantant la Marseillaise et la Parisienne, Ayant trouvé les grilles du Louvre fermées, ils continuèrent

« PreviousContinue »