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M. de Dreux Brézé, relativement à la détention de la duchesse de Berry.

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Puisque la Chambre, avait-il dit, m'accorde la parole, je me permettrai de lui faire remarquer que le droit de pétition consacré par la Charte est devenu depuis quelque temps, dans cette assemblée, un droit illusoire.

« Un grand nombre de pétitions relatives à la loi sur l'état de siége ont été adressées à la Chambre, et cependant l'on n'a point fait de rapport. Or, je vous le demande, qu'attend-on pour faire ce rapport? Si on ne le fait que lorsque la Chambre aura statué sur cette loi, que devient le droit de pétition?

« Mais il est d'autres pétitions d'un ordre plus élevé, et que je m'étonne de ne pas voir rapportées; je veux parler de celles relatives à la captivité d'une illustre princesse, dont le sort fixe en ce moment les regards de la France et de l'Europe. Je ne saurais ignorer leur existence, puisqu'elles m'ont été presque toutes adressées pour les déposer sur le bureau de la Chambre; je saisirai même l'occasion qui m'est offerte par la publicité des débats, pour témoigner aux pétitionnaires ma profonde reconnaissance pour la confiance dont ils m'ont honoré. J'en ai reçu une ce matin qui est relative au même objet, et qui est couverte de 1700 signatures.

« Comment se fait-il, messieurs, qu'au mépris du droit de pétition, on laisse enfouies dans des cartons des milliers de signatures qui demandent la liberté de Madame, duchesse de Berry? et, dans quelles circonstances? lorsqu'il est impossible de ne pas éprouver pour sa personne les craintes les plus vives, les alarmes les plus fondées; lorsque sa captivité, vu l'insalubrité du lieu de sa détention, n'est plus seulement un acte arbitraire, mais devient un attentat à son existence. Je ne me propose point d'entrer, messieurs, dans une discussion qui, dans ce moment, ne serait point motivée, mais je demande que la Chambre fixe dans cette séance le jour de la discussion sur les nombreuses pétitions qui réclament la liberté de Madame, duchesse de Berry. »

Le garde-des-sceaux répondit à M. de Dreux Brézé :

« L'orateur, dit-il, s'est plaint du lieu où la duchesse de Berry est détenue. Voudrait-il qu'on l'eût laissée perpétuer la guerre civile dans la Vendée ? Ce n'est sans doute pas sa pensée: mais on pourrait le croire, et rationnellement sa réclamation pour la liberté de la duchesse de Berty, quand on sait l'usage qu'elle en fait, pourrait-être ainsi interprétée. »

Le ministre de l'intérieur ajouta que, loin d'être un séjour insalubre, la ville de Blaye était un séjour parfaitement sain, dans lequel jamais il n'avait régné d'épidémie. Il ne comprenait donc pas qu'on eût pu le qualifier de lieu choisi à dessein pour nuire à la santé de la duchesse. L'incident n'eut pas d'autre suite dans l'enceinte de la Chambre.

Mais à la même époque, l'opinion fermentait au dehors, agitée par les mouvemens et l'attitude plus que jamais. hostile du parti carliste. L'état de la prisonnière de Blaye

avait inspiré généralement des soupçons, fait naître des conjectures, que ses partisans repoussaient du ton de l'insulte et de la menace. Cependant, le brusque départ des docteurs Orfila et Auvity, chargés d'une mission du gouvernement, pour la citadelle de Blaye, sembla confirmer les bruits accrédités dans le public. D'abord le Nouvelliste, organe ministériel, s'était borné à dire que les docteurs avaient à examiner une question importante de médecine légale. La vague concision de cette note prêtait aux commentaires, et en effet, les commentaires se multipliant, le Nouvelliste jugea nécessaire d'expliquer sa note dans un article ainsi conçu :

<< Plusieurs journaux se livrent à mille conjectures sur la mission de messieurs Orfila et Auvity pour le château de Blaye; cette mission n'a pourtant rien qui puisse justifier la multitude des commentaires qu'elle fait naître. L'état de madame la duchesse de Berry ne présente rien d'inquiétant; seulement elle est depuis quelque temps assez indisposée pour qu'il ait paru convenable de lui offrir une occasion de consulter sur sa santé deux des hommes les plus dignes de confiance, M. Orfila, doyen de la faculté de médecine, et M. Auvity, dont l'un a été son médecin ordinaire, et l'autre son médecin consultant. La position de prisonnière où se trouve madame la duchesse de Berry imposait l'obligation de suivre cette marche régulière, et c'est dans ce sens que nous avons appelé légale la mission de ces deux médecins. >>

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Cette explication, non moins ambiguë que le texte primitif, n'était pas de nature à lever les doutes, à terminer les querelles, à prévenir les appels et les défis. L'intention hautement manifestée du parti carliste était de ne pas souffrir qu'on exprimât d'aucune manière, et notamment dans les journaux, une opinion désavantageuse à la moralité de la princesse. De nombreux champions se levèrent pour la défense, de son honneur, et tandis que la chouannerie redoublait d'ardeur en Vendée, à Paris on dressait des listes de combattans légitimistes; on les déposait aux bureaux des journaux les plus prononcés dans la couleur libérale, où des listes se dressaient dans le sens contraire. Dejà, vers les derniers jours de l'année précédente, à l'occasion d'un article dans lequel la grossesse de la duchesse de Berry était présentée comme probable, une rencontre avait eu lieu entre un parti

san de la duchesse et un rédacteur du Corsaire: le journaliste avait été atteint d'une balle au bras droit. Une rencontre, plus grave encore par son issue, puisque les deux adversaires furent blessés, eut lieu par suite de provocations adressées au rédacteur en chef du National (Voy. la Chronique). Cette affaire, qui fit une vive impression à Paris, semblait devoir en entraîner autant d'autres que des deux côtés il s'était présenté de témoins mais l'autorité prit des mesures pour s'opposer au retour de ces scènes de barbarie, renouvelées du moyen-âge, et qui contrastaient de la manière la plus affligeante avec l'état actuel des lumières et de nos mours. C'était en effet une déplorable contradiction que cette fureur à froid qui poussait quelques hommes à laver dans le sang des offenses imaginaires, lorsque la société hésite maintenant à frapper les plus grands crimes du glaive de la loi, et ne croit pas pouvoir mieux marquer la haute civilisation, où elle est parvenue, qu'en adoucissant les rigueurs de son Code pénal.

L'effervescence ayant eu le temps de se calmer, les partis comprirent que des torrens de sang versé ne changeraient rien à leur position réciproque : des lettres furent échangées à ce sujet entre MM. Garnier-Pagès et Berryer, tous deux députés; et, d'un commun accord, les provocations et les duels s'arrêtèrent, à Paris comme dans les départemens, où l'on avait suivi l'exemple de la capitale.

Cependant les deux docteurs envoyés à Blaye remplirent leur mission, et le Moniteur publia leur rapport (5 février) entièrement rempli de détails hygiéniques sur la citadelle, sur l'habitation occupée par la duchesse de Berry, sur les alimens dont elle faisait usage, et sur les soins dont elle était l'objet. Le rapport de MM. Orfila et Auvity ne renfermait aucune circonstance propre à fixer les opinions sur l'état présumé de la princesse.

L'attention publique s'était déjà refroidie, lorsque, dans le Moniteur du 29 février, partie officielle, on lut ce qui suit:

« Le vendredi 22 février, à cinq heures et demie, madame la duchesse de Berry a remis à M. le général Bugeaud, gouverneur de la citadelle de Blaye, la déclaration suivante:

« Pressée par les circonstances, et par les mesures ordonnées par le >> gouvernement, quoique j'eusse les motifs les plus graves pour tenir mon » mariage secret, je crois devoir à moi-même, ainsi qu'à mes enfans, de » déclarer m'être mariée secrètement pendant mon séjour en Italie. « De la citadelle de Blaye, ce 22 février 1833.

« Signé Marie-Caroline. »

« Cette déclaration transmise par M. le général Bugeaud à M. le président du conseil, ministre de la guerre, a été immédiatement déposée au dépôt des archives de la chancellerie de France. >>

Cet article n'était accompagné d'aucune réflexion, et tous les journaux rédigés sous l'influence plus ou moins directe du pouvoir affectèrent de garder le même silence. Il n'en fut pas de même des organes du parti légitimiste et de ceux de l'opposition. Les premiers persistèrent à nier l'évidence et soutinrent que la princesse n'étant pas libre, il ne pouvait émaner d'elle aucune parole, aucune pièce digne de foi; les seconds, prenant acte d'une déclaration qui frappait au cœur leurs adversaires, n'en blâmèrent pas moins le gouvernement de la publicité qu'il donnait à la faiblesse d'une femme, nièce de son chef, et demandèrent ce que signifiait le dépôt aux archives de la chancellerie de France, formalité déjà employée pour l'abdication de Charles X.

La déclaration de la duchesse de Berry laissait dans le vague la nature des circonstances qui avaient déterminé sa conduite, mais on l'entrevoyait sans peine : quant au nom et au rang de son nouvel époux, c'était une énigme plus difficile à deviner, et dont le mot ne fut connu qu'environ deux mois plus tard.

CHAPITRE V.

Proposition relative à la composition des commissions dans la Chambre des députés.—Loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique.-Proposition relative à l'amortissement. Proposition relative aux biens communaux. — Proposition relative à la négociation des effets publics. Projet de loi relatif à la vente des récoltes pendantes par racines.-Proposition sur le nombre légal des députés pour délibérer. - Proposition pour l'abolition des majorats. Proposition relative au mariage des prêtres. Proposition pour l'insertion des ordonnances royales au Bulletin des lois. - Proposition relative aux individus Inés en France de parens étrangers. - Projet de loi sur l'état de siége.

Avant de reprendre la suite chronologique des travaux des deux Chambres, rendons compte d'une modification que la Chambre des députés introduisit dans la forme des siens. Une proposition ainsi conçue avait été lue par M. de Corcelles (21 janvier):

"Io Les députés ne pourront faire partie de plus de deux commissions.

2o Les commissions autres que celles du budget ne pourront s'assembler pendant la tenue des séances.

« 3o Les rapports des pétitions auront lieu trois fois la semaine, les mardi, jeudi et samedi, de midi à une heure. »

Dans les développemens qu'il présenta quelques jours après (25 janvier), l'honorable membre établit que son but avait été d'éviter une perte de temps déplorable, de substituer à l'encombrement, source de confusion dans les affaires et de découragement pour tous, une judicieuse répartition de travaux. D'après lui, sa proposition tendait à économiser environ deux séances par semaine : « Deux séances, ajoutait il, c'est le tiers de notre temps, c'est un mois sur trois; ce sont les beaux jours du printemps à l'expiration de la session. »>

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