Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

composition de M. Ingres, que le burin de M. Pradier a reproduite avec toute la perfection qu'exigeait la beauté du modèle. Le gracieux tableau de Daphnis et Chloé, par M. Gérard, a fourni à M. Richomme l'occasion de faire une gravure où le travail du burin est conduit avec autant de science que d'habileté. Le Cromwell de M. Delaroche a trouvé, de son côté, un digne interprète dans M. Henriquel Dupont. Enfin, M. Forster s'est attaqué avec non 'moins de bonheur au tableau de M. Gros qui représente François 1er et Charles-Quint à St-Denis. C'était, à coup sûr, une rude besogne pour le graveur que de joûter contre un coloriste tel que M. Gros, et pourtant il a su fixer sur le cuivre les tons vigoureux et transparens, le clair-obscur, les demi-teintes, c'est à-dire toutes les rares qualités de l'ouvrage de M. Gros.

La sculpture, que nous avons vue en 1831 dans un état d'infériorité marquant vis-à-vis de la peinture, a pris cette année une revanche qui eût encore été glorieuse avec un salon plus brillant. Ce triomphe, la sculpture le doit surtout à quatre artistes qui ont pris place parmi les plus habiles: ce sont MM. Etex, Duret, Rude et Barye.

M. Etex a représenté, dans un groupe colossal, Caïn et sa race après avoir été maudits de Dieu. L'aspect de ce groupe produit une impression profonde; et il eût été difficile à l'auteur de rendre sa pensée avec plus de force et de précision. Cependant on ne peut s'empêcher de regretter qu'il n'ait pas donné à ses personnages des formes plus nobles. Courtes et grossières comme elles le sont, et joint à cela, la tête de Cain qui est celle d'un criminel vulgaire et sans intelligence, on pourrait croire qu'il s'agit ici d'une famille de mendians. Quoi qu'il en soit, M. Etex annonce par cet ouvrage une imagination si puissante, un sentiment si profond, qu'on doit concevoir de son avenir de statuaire de magnifiques espérances.

[ocr errors]

C'est avec un plaisir sans mélange

que la foule s'arrêtait devant le jeune danseur napolitain de M. Duret, et les critiques de profession ont à peine insisté sur quelques détails qui auraient eu besoin d'être mieux étudiés. Il n'y avait qu'une voix d'ailleurs pour admirer la grâce et la charmante légèreté du mouvement du danseur; car sa tête, où respire l'enjouement, et tout son corps, semblent s'animer au bruit des castagnettes que ses mains font ré sonner; c'est avec une gaîté, une vivacité toute napolitaine que, dans şa danse pittoresque, il lève la jambe gauche, en se soutenant sur la pointe du pied droit.

Les souvenirs de Naples ont été extrêmement favorables à la sculpture, et voici encore M. Rude qui nous donne un chef-d'œuvre de grâce et d'élégance dans un jeune pêcheur napolitain s'amusant à brider une tortue avec un lien de jonc. Qu'y a-t-il dans cette délicieuse production qu'on puisse s'abstenir de louer avec amour comme elle a été faite par l'artiste, si ce n'est peut-être quelque minauderie dans le sourire de l'enfant? C'est nature familière rendue avec un charme inexprimable, et rarement l'on a caressé des contours plus suayes, plus harmonieux, où le ciseau a laissé une empreinte plus amoureuse, plus passionnée.

。**

les

Nous avons fait observer déjà en 1831 avec quelle naïveté, quelle force, quelle poésie M. Barye rendait les formes, les mouvemens, mœurs et les passions des animaux: tous ses ouvrages ont encore attesté cette année ces rares mérites: on a surtout remarqué ses petits ours, sa gazelle morte et un lion aux prises avec un serpent: à une étonnante vérité dans l'ensemble, ce dernier groupe réunit une expression presque minutieuse des détails; il produit un effet instantané et profond. M. Barye s'est fait une spécialité où nul ne le détrônera. ̧

Sans être de niveau avec les productions que nous venons d'analy ser, plusieurs autres morceaux de sculpture ont encore été vus avec

une vive satisfaction. Un groupe d'enfans par M. Valois a paru plein de vie, d'élégance et de légèreté. Le combat de Charles Martel et d'Abdérame, par M. Gechter, est composé avec beaucoup d'art et exécuté d'une manière très-remarquable. Une statue d'Ulysse dans l'île de Calypso fait honneur à M. Bra, qui sent l'antique et ne le copie pas. La Prière est une charmante figure d'étude par M. Jalley. On ne saurait nier le mérite de l'Astydamas de M. Foyatier: toutefois cette composition, dont le jet est hardi, n'est pas sans exagération et pèche par la raideur de la figure principale: elle ne fera pas oublier le Spartacus du même artiste. Enfin, une jolie figure de Cyparisse avec son cerf, tout en laissant percer une pensée assez commune, est venue donner une nouvelle preuve du talent que possède M. Pradier pour exprimer le palpitant des chairs.

Les portraits sculptés étaient, eu égard aux difficultés de l'exécution et toute proportion gardée, presque aussi nombreux que les portraits peints; mais heureusement pour la sculpture, on ne reproduit pas, un buste en marbre aussi vite qu'on le barbouille sur la toile, et cela les empêche de tomber dans cette affligeante médiocrité qui dégrade la peinture à l'huile. Aucun des portraits sculptés ne sortait sans doute du pair, néanmoins ils témoignaient que ce genre est généralement traité avec beaucoup d'habileté.

Arrêtons-nous, car avec le désir le plus sincère de n'oublier aucun artiste digne d'attention, il nous est impossible de les nommer tous dans cette revue d'une exposition qui ne comptait pas moins de 3,318 articles; c'était trop de moitié. Le nombre des peintres exposans était de 1,029.

de son éclat. Il faut espérer, au surplus, que grâce à l'absence volontaire de quatre ou cing de nos plus habiles artistes, l'infériorité de la peinture française, sous ce rapport; n'aura été que fortuite et passagère. Quant au genre du paysage, ainsi que des sujets familiers et anecdotiques, l'exposition actuelle l'a encore montré sous un aspect favora ble, et l'on ne comprendrait pas qu'il en fût autrement aujourd'hui: le goût des arts est, en effet, extrêmement répandu; mais ce goût n'est ni très-élevé ni très-sérieux. Il n'est fils ou fille de bonne mère qui n'apprenne à peindre, comme à jouer de la musique, comme à danser. La peinture descend ainsi au niveau d'un art d'agrément ou d'une industrie, tandis que ses productions ne sont recherchées par la masse du public que comme des ornemens de salons ou de chambres à coucher. Certains 'd'un placement pour leurs ouvrages en prenant cette direction, les artistes s'y jettent à corps perdu, et le nombre des paysages, des portraits, des anecdotes, des scènes d'inté rieur, des aquarelles, des dessins, qui s'est encore accru proportionnellement cette année, nous paraît inévitablement devoir aller toujours en augmentant dans les suivantes.

LITTERATURE.

Il en est de la littérature comme de la peinture les grandes pages manquent à l'une et à l'autre; et de même que les petits sujets ont la préférence de nos artistes et de nos amateurs, c'est le vaudeville, le conte, la nouvelle, le roman, qui charment le public de nos théâtres et celui qui lit. Les journaux et les revues absorbent la plupart des écrivains les mieux doués. Peut

Parmi les tableaux, il y avait peut-être, après tout, les ouvrages forts et être un millier de portraits; que l'on juge de la monotonie, de la froideur qu'ils ont dû jeter sur le salon, surtout dans la disette absolue de toute grande page, de tout ouvrage de haut style, comme ceux à qui l'exposition de 1831 a dû une bonne partie

sérieux font-ils peur aujourd'hui, préoccupé qu'on est généralement d'affaires de politique, de commerce ou de bourse, et les auteurs sentent-ils que pour être lus ils doivent proportionner la dimension de leurs productions aux loisirs que ces

trois grands intérêts de l'époque peuvent encore laisser aux lecteurs. Cette disposition des esprits n'est pas entrée pour peu, sans doute, dans l'immense succès de ces publications hebdomaires avec gravures, qui ont paru cette année en si grand nombre, à l'imitation du Penny Magazine anglais. Offrant pour la plupart une lecture amusante, instructive et variée, sans coûter aucun effort, elles convenaient merveilleusement à notre époque. Entre toutes ces publications, la Mosaïque s'est surtout fait distinguer par le choix heureux de ses sujets, la beauté de ses gravures, et la rédaction consciencieuse de ses articles.

Nous ne dirons pas que M. Béranger soit de ceux qui ont besoin de se conformer au goût du moment pour attirer l'attention; toujours est-il que, chez lui, l'écrivain politique n'a pas fait tort au poète, que ses productions n'ont rien perdu pour avoir été inspirées le plus souvent par la circonstance, et qu'un nouveau recueil de chansons qu'il a 'publié au commencement de cette année, eût été recherché avec moins d'empressement, s'il n'eût offert, comme ses aînés, un reflet vif et coloré des opinions de l'auteur. Ce volume, que M. Béranger a livré au public comme une sorte d'adieu, une espèce de testament, est, pour ainsi parler, un écho politique de toutes les idées religieuses, philoso phiques, politiques et littéraires qui ont surgi après la révolution de juillet, de toutes les questions sociales qui ontétéremuées depuis lors. Il est en outre précédé d'une préface où l'on retrouve tantôt la verve de Montaigne, tantôt la piquante bonhomie de Franklin, et qui prouve que si M. Béranger n'avait voulu être le poète le plus populaire de son siècle, il eût certainement compté parmi les plus purs, les plus élégans et les plus ingénieux de ses écrivains.

C'est encore à l'auteur d'Indian a et de Valentine, au pseudonyme Georges Sand, qu'on doit le roman de l'année qui a fait le plus de bruit. Lelia a été cependant fort diverse

[ocr errors]

ment appréciée, et si on a dû y reconnaître une imagination ardente, un rare talent d'observation, une rare puissance de sentiment, et un art d'écrire plus rare encore, d'un autre côté le livre a donné lieu à des accusations d'immoralité. Jamais, a-t-on dit, J J. Rousseau n'est allé si loin dans ses Confessions, que l'auteur de Lelia dans les siennes. C'est ici, surtout, que la femme se montre en révolte contre tous les principes qui lui ont fait sa place dans la société et dans la famille, à tel point qu'on dirait d'un roman saint-simonien. Toutefois, si Lelia cst la femme par excellence de Georges Sand, tant pis pour elle, car ce personnage est présenté de manière à réhabiliter tous ces mêmes principes que l'auteur attaque avec tant d'audace et de vigueur. Lelia, au surplus, est une œuvre à part, autant par la singularité même du sujet que par le prodigieux talent dont ce roman est un nouveau témoignage, moins doux, à la vérité, moins intéressant, moins familier qn'. 'Indiana et Valentine, mais plus étrange, plus hardi, plus viril.

Deux écrivains (MM. Alexandre Dumas et Ampère) qui avaient voyagé, l'un surtout en poète, et l'autre surtout en littérateur érudit, ont fait confidence au public de leurs émotions pendant ces pérégrinations. M. Dumas s'entend à improviser un livre avec la même facilité qu'un drame, et sans rien perdre de sa verve, de son originalité ainsi qu'on a pu s'en convaincre à la lecture de ses Impressions de voyage. Outre des tableaux vrais et pittoresques, M. Ampère a réuni, sous le titre de Littérature Voyages, des fragmens d'histoire et de critique sur les littératures du Nord, des notices sur leurs poètes les plus distingués, qui sont des preuves irrefragables de la science profonde et consciencieuse de l'au

teur.

et

Pour M. Léon Delaborde, c'est en archéologue, en géographe, en historien qu'il a parcouru l'ArabiePétrée, à travers des périls et des

obstacles que n'offrent pas heureusement les routes battues de l'Europe. Une revue rapide de l'histoire et du commerce de l'Arabie-Pétrée, un aperçu des voyages faits par ses prédécesseurs, des vues de monumens, des travaux topographiques extrêmement recommandables, tels sont les résultats de l'excursion loin taine de l'auteur. Il y aura toujours une belle place dans l'estime du public pour le jeune homme studieux qui le premier nous a fait connaître d'admirables ruines, dont la science elle-même ne se souvenait plus, et cela non seulement par des dessins émanés d'un crayon fort spirituel, mais encore par des explications d'un style élégant et pur, clair et précis.

Un jeune naturaliste français qui s'était aussi voué à la carrière des voyages, où il portait un esprit vif, observateur, élevé, un ardent amour de la science, et cette persévérance, cette force d'âme qui triomphent de tout, Victor Jacquemont, a été malheureusement arrêté dans ses explorations de l'Inde par une mort prématurée. Si quelque chose a dû redoubler l'amertume de cette triste fin, c'est le recueil des lettres qu'il écrivit de l'Inde à ses amis et à sa famille, et que celle-ci s'est décidée à laisser mettre en ordre et à publier. Cette correspondance, pleine de mouvement et de verve spirituelle, retrace avec un intérêt toujours sou enu, et souvent avec beaucoup de charme, les difficultés sans nombre que Jacquemont eut à vaincre, les périls qu'il eut à affronter pour visiter le haut Himalaya, le Thibet, une partie de la Tartarie chinoise, et le Penjab, jusque-là inaccessible en quelque sorte à tout voyageur. Aux lecteurs avides de tableaux pouveaux, de scènes pittoresques rendues avec vivacité, de récits merveilleux ou amusans, la correspondance de Jacquemont a fourni amplement de quoi satisfaire leur goût, et, de plus, elle a montré que, suivant ses expressions originales, «< il s'était imbibé d'Inde, au lieu d'y mettre le bout du doigt, comme

l'ont fait beaucoup d'Anglais qui prétendaient l'étudier ».

La légende populaire d'Ahasvé. rus ou le Juif Errant, a inspiré à M. Edgard Quinet, qui s'était déjà fait distinguer par un parallèle de la Grèce ancienne et moderne, une production en forme de drame et d'épopée, qui n'est exempte ni d'obscurité, ni d'étrangeté, mais dans laquelle l'auteur a jeté une grande richesse de couleurs poétiques. C'est le genre humain, en un seul homme, voyageant à travers les siècles et se racontant lui-même dans l'histoire.

"

Enfin, l'un des écrivains sur qui la science historique fonde ses plus belles espérances, et dont aucun ouvrage ne peut passer inaperçu, quelles que soient d'ailleurs ses imperfections, M. Michelet, a fait paraître la première partie d'une histoire de France dont la pensée fondamentale est de ressusciter les races qui ont formé la nation française, de nous rendre leur vie, leur pensée, leur génie, en les mettant en rapport avec les qualités physiques des provinces qu'elles ont haLitées. Après avoir dessiné à grands traits les individualités provinciales de l'ancienne France, espèces de divisions du travail social, M. Michelet explique l'ensemble, le systéme : «La force résistante et guerrière, dit-il, la vertu d'action est aux extrémités; l'intelligence est au centre. Le centre, abrité de la guerre, pense, innove dans l'industrie, dans la politique; il transforme tout ce qu'il reçoit. » Là, suivant l'historien, résident la grandeur et la beauté de notre nation. Avec Londres, cette tête monstrueusement forte de richesse et d'industrie, l'Angleterre est un empire; avec ses vingt capitales, l'Allemagne est un pays; avec Paris et la centralisation, la France est une personne.

Après cette revue rapide, il ne sera pas sans intérêt de lire le sommaire suivant des livres et brochures qui ont paru en France dans le cours de l'année 1833:

Poèmes, chansons, pièces de cir

constance; tout ce qui présente enfin, au bout de lignes inégales', des mots à peu près de la même consonnance, 275.

Sciences, médecine, droit, histoire naturelle, dans toutes ses branches, questions d'économie politique, administrative ou privée, 532.

Romans, contes, traductions de romans étrangers, chroniques fabuleuses, ouvrages d'imagination, 355.

Histoires, récits véridiques, narrations de faits particuliers ou locaux, thèses, fragmens historiques,

213.

Philosophie, métaphysique, morale, théories, 102.

Beaux-Arts, voyages, 170. Dévotion theclogie, histoires mystiques, 235.

[ocr errors]

Théâtre, pièces en vers, en prose, représentées ou non, 179. Livres étrangers, grecs, latins, allemands, polonais, hébreux, espagnols, anglais, italiens, portugais, orientaux, patois de province, Go4.

Enfin, pamphlets, libelles, récla mations, prospectus, fantaisies, brochures, plaidoiries, discours, tout ce qui est insaisissable à cause de sa niaiserie et de son manque d'intétêt, 4.346.

Le total général des ouvrages est de 7,011.

La littérature dramatique dont, suivant notre coutume, nous avons analysé les principales productions dans la Chronique, ne demande plus ici qu'un résumé statistique de la même nature que le précédent, et voici le relevé exact de toutes les nouveautés qui ont été jouées sur les différens theatres de Paris pendant l'année 1833:

[merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]
[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Il y avait eu 272 pièces en 1831, et 258 en 1832. Différence en moins pour 1833, 39.

11 résulte de ce tableau que le Palais-Royal a été le 'plus actif de tous les théâtres,

Cent quarante-huit auteurs ont coopéré à ces divers ouvrages; c'est encore M. Scribe qui en a fait le plus. Il n'en compte pas moins de 14. Il n'en avait eu que 13 l'année dernière. M. Mélesville et M. Ancelot lui-même n'en ont eu chacun que 9; M. Paul Duport, 8; MM. Xavier Saintine et Alexis Comberousse, 7.

Quant à M. Brazier, qui, en 1832, avait fait jouer I pièces, il n'en a donné que 6 cette année, comme MM. Carmouche et Maillan. A l'égard de M. Théodore Nézel, qui, terme moyen, faisait 10 ou 11 pièces, il n'en a eu que 2.

[ocr errors]

Qui

Xercès placé au sommet d'une tour pour contempler son immense armée ne put s'empêcher, racontent les historiens, de verser des larmes, en pensant que de tant de milliers d'hommes il n'en resterait pas un seul dans moins de cent ans. ne se sentirait, à l'exemple du grand roi, pénétré d'une profonde tristesse en songeant que sur une telle masse de pièces de théâtre que l'année a enfantées, il en survivait un si petit nombre cent jours seulement après leur naissance, que tant d'autres sont mortes en naissant et n'ont pas même eu les honneurs de l'impression, comme on a pu le voir en comparant, plus haut, le chiffre des pièces imprimées avec le total de celles qui ont été représentées.

[ocr errors]
« PreviousContinue »