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III

Les arguments de Paul Bert parurent bien convaincre le parti républicain. Paul Bert avait déposé son rapport le 31 mai 1889. Le 22 novembre de la même année, à la Chambre des députés on demande au gouvernement la mise à l'ordre du jour de la discussion du rapport Paul Bert. Jules Ferry alors président du Conseil, répond en substance:

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« Je le veux bien, mais ce sera une discussion sans aucun résultat politique, une discussion purement académique, Il s'engage néanmoins à faire venir le débat en janvier 1884. L'engagement ne fut pas tenu. Janvier 1884 se passe sans que la discussion soit mise à l'ordre du jour de la Chambre.

Les élections de 1885 ont lieu. Dès la rentrée une proposition sur la séparation des Églises et de l'État, due à l'initiative parlementaire, est déposée sur le bureau de la Chambre.

La prise en considération est discutée et votée le 1o juin 1886. L'un des députés qui prit part à la discussion terminait ainsi son discours :

« Vous voterez la prise en considération mais la discussion au fond ne viendra pas il se passera ce qui s'est précédemment passé tout démontre aujourd'hui que la Chambre actuelle fera comme sa devancière, puisqu'elle a pour cela de meilleures raisons encore pour suivre son exemple.

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L'Officiel porte à la suite de ces mots: protestations à gauche et au centre ». M. Viger s'écria même : « C'est une provocation! >>

Malgré ces protestations à gauche et au centre, toute la législature 1885-1889 se passa sans, que la proposition prise en considération fût jamais discutée au fond.

Depuis cette époque 1886 on ne vota plus de prise en con

sidération, on ne déposa même plus de projets sur la séparation.

Chaque année, il est vrai, régulièrement, à point nommé, lorsque venait la discussion du budget, les radicaux réclamaient la dénonciation du Concordat, qui leur était refusée à d'énormes majorités. Lorsqu'un de ces radicaux d'ailleurs devenait ministre il s'empressait de soutenir le maintien de ce même budget des cultes dont il réclamait auparavant à grands cris la suppression.

Le cabinet Combes lui-même, lors de son arrivée au pouvoir, inscrivait comme l'un des articles de son programme, dans sa déclaration ministérielle, le maintien du concordat, se conformant en cela à la tradition de tous ses prédécesseurs depuis le dépôt du rapport Paul Bert. Il y a plus : jamais président du Conseil ne se prononça avec autant d'énergie que M. Combes contre la séparation des Églises et de l'État. Que l'on se reporte à la séance de la Chambre des députés du 26 novembre 1903, et l'on pourra facilement s'en convaincre. M. Combes ce jour-là mit tant de netteté et d'énergie dans la défense du Concordat, qu'il fut acclamé par le centre et la droite et hué par la gauche.

On peut en juger par les citations suivantes du compte rendu officiel, bonnes aujourd'hui à relever :

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M. COMBES, président du Conseil. - Un peuple n'a pas été nourri en vain pendant une longue série de siècles d'idées religieuses, pour qu'on puisse se flatter de pouvoir y substituer en un jour, par un vote de majorité, d'autres idées contraires à celles-là (Interruption); vous n'effacerez pas d'un trait de plume les quatorze siècles écoulés. (Très bien ! Très bien à droite. Exclamations à gauche.)

M. COMBES. - Avant même de les effacer, il est de votre devoir de vous demander à l'avance par quoi vous les remplacerez. (Nouvelles exclamations à gauche.)

Je respecte sincèrement les convictions de l'honorable préopinant, mais je ne crois pas que la majorité, que dis-je,

que la presque unanimité des Français, puisse se contenter comme lui de simples idées morales telles que... »

Ici la phrase de M. Combes est coupée, le Journal officiel dit: Exclamations à gauche et vifs applaudissements au centre et à droite.

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« M. COMBES. Je dis que notre société ne peut pas se contenter des simples idées morales telles qu'on les donne actuellement dans l'enseignement superficiel et borné de nos écoles primaires... Quand nous avons pris le pouvoir, bien que plusieurs d'entre nous fussent partisans théoriquement de la séparation de l'Église et de l'État, nous avons déclaré que nous nous tiendrions sur le terrain du Concordat. Pourquoi? parce que nous considérons en ce moment les idées morales telles les Églises les donnent que et elles sont les seules à

les donner en dehors de l'école primaire nécessaires.» (Vives réclamations à gauche.

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au centre et à droite. Mouvement prolongé.)

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M. Sembat alors s'indigne :

« Comment, s'écrie-t-il, monsieur le président du Conseil, vous affirmez au nom du parti républicain qu'il existe encore en France, à l'heure actuelle, une dose de religion tellement forte que le prêtre vous y apparaît comme un indispensable professeur de morale! »

Et se tournant vers la droite, M. Sembat ajoute :

« Vous avez manifesté, Messieurs, une satisfaction très compréhensible et très légitime en voyant M. le président du Conseil se faire, contre l'esprit de la majorité, l'interprète de votre esprit à vous. »

M. Combes alors réplique :

Je ne sais pas si la majorité a pris le change sur mes sentiments. J'ai dit à la tribune du Sénat, il y a deux ans, que j'étais un philosophe spiritualiste, et que je regardais l'idée religieuse comme une des forces les plus puissantes de l'humanité. (Applaudissements à droite et au centre. — Interruptions à l'extrême gauche.)

« La majorité savait très bien qui j'étais, quand elle m'a accepté comme président du Conseil. Si elle trouve que je ne suis pas à ma place, elle n'a qu'à le dire. (Vifs applaudissements au centre et sur divers bancs.)

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Et M. Sembat de s'écrier pour finir :

« Il est évident alors que depuis de longs mois un malentendu nous sépare.

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Rien de plus clair, rien de plus net, comme on le voit, que ce discours de M. Combes du 26 janvier 1903. Depuis le Seize-Mai, aucun président du Conseil n'avait osé tenir un langage semblable, au risque de rompre définitivement avec la gauche.

Huit jours se passent. M. Combes prononce sur le même sujet un second discours à la Chambre des députés. Et dans ce discours, il retire tout ce qu'il a dit dans le premier.

Pour faire éclater la contradiction à tous les yeux, il suffit de mettre en regard les deux phrases suivantes :

M. Combes disait le 4 février 1904 :

Quant à la morale de l'école laïque et aux principes essentiels qui la constituent, ai-je besoin de le dire, jamais je n'ai pensé ni dit qu'elle ne se suffisait pas à elle-même. »

Or, M. Combes s'était écrié le 26 janvier 1903: « Notre société ne peut se contenter des simples idées morales telles qu'on les donne actuellement dans l'enseignement superficiel et borné de nos écoles primaires! »

Et tout le reste à l'avenant.

Que s'était-il donc passé pendant ces huit jours? Mystère et franc-maçonnerie! Toujours est-il que tous les incidents si graves de la politique religieuse qui se sont produits depuis lors démontrent qu'à partir de ce moment le programme séparatiste fut imposé au ministre qui s'était montré le partisan si fougueux, si obstiné du régime concordataire dans la séance de la Chambre du 26 janvier 1903.

Il est donc faux de dire, comme on l'a prétendu, qu'il y ait eu évolution du parti républicain vers la politique sépa

ratiste. Car, qui dit évolution dit marche continue, lente, progressive, vers une transformation. Ici, rien de semblable. Il y a changement brusque d'attitude, et changement brusque non pas volontaire, mais imposé - la preuve en est faite à un chef de gouvernement et à une fraction notable de ceux qui le suivent.

IV

Mais de ce changement brusque, il fallut bien entendu trouver des prétextes. Et l'on veut encore persuader à l'opinion publique que c'est le Pape lui-même qui implicitement a détruit le Concordat, que ce sont certains incidents de la politique romaine qui en ont amené la rupture.

Ces incidents sont au nombre de trois.

Le premier fut soulevé au sujet du nobis nominavit accompagnant les bulles d'institution des évêques. M. Combes, au nom de l'État, se prétendit un jour blessé d'une formule dont cependant l'amour-propre de Napoléon Ier n'avait pas souffert, puisque Napoléon n'avait jamais protesté contre cette formule. Mais d'ailleurs, sur ce premier point, toute discussion ne peut aujourd'hui qu'être forcément écartée, puisqu'à ce sujet M. Combes reçut pleine satisfaction par l'accord du 22 décembre 1903, qui à lui seul suffirait à montrer que, pour éviter une rupture, la papauté était bien décidée à pousser les concessions jusqu'à leurs dernières limites.

Restent les deux autres incidents. D'abord l'incident relatif au voyage de M. le Président de la République à Rome. Il est ici un point capital qu'on ne saurait jamais assez mettre en lumière. Est-ce bien la protestation de Pie X, la protestation signée cardinal Merry del Val, qui a causé la rupture définitive des rapports diplomatiques entre Rome et le Vati

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