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toutes sortes à l'exercice de la religion, empêchant les catholiques de fonder des institutions permettant à leur clergé et à leurs œuvres de se constituer et de vivre, organisant dans le pays, pour l'Église, tout un appareil de tyranie et de compression.

Cette première solution, la persécution sous l'une ou l'autre de ces deux formes, le grand homme d'État qu'était Bonaparte ne pouvait y penser un seul instant. Il savait bien quelle source de division et par conséquent de, faiblesse est pour un pays la guerre religieuse. L'expérience d'ailleurs venait de montrer que la persécution ne résout jamais rien.

Le deuxième parti à prendre c'était la séparation, mais la séparation loyale: les pasteurs choisis par les fidèles, le clergé, le раре; la faculté pour les fidèles de se réunir librement autour de ces pasteurs, de fonder des associations avec constitution d'un patrimoine stable pour subvenir aux besoins du culte, à la fondation et au développement des œuvres religieuses.

Ce second parti le Premier Consul le rejetait également. Dans l'intérêt de l'Église? Non certes. Tout au contraire. Il se disait un système semblable, c'est-à-dire la liberté, la seule liberté, la seule indépendance accordée à l'Église, c'est l'Église, au bout d'un certain temps, envahissant tout, c'est l'église trop forte, trop puissante, et cela à bref délai.

Et voilà pourquoi ce fut le troisième parti qui fut adopté, le Concordat, régime d'union entre l'Etat et l'Église.

II

C'est donc bien dans l'intérêt de l'État et non dans l'intérêt de l'Église que le gouvernement français se décida à

conclure le Concordat.

Est-ce dans l'intérêt de l'Église que le Concordat a été

maintenu en France, depuis l'époque où il a été conclu et particulièrement depuis l'avènement au pouvoir du parti républicain?

Sous le Second Empire, tous les républicains, les plus modérés comme les plus radicaux, réclamaient la dénonciation du Concordat c'était alors un des articles fondamentaux du credo du parti: on l'inscrivit en gros caractères dans le fameux programme de Belleville en 1867.

:

En 1877 le parti républicain arrive au pouvoir. Il serait tout à tait injuste de prétendre que les hommes qui le mènent à ce moment oublient leurs promesses et négligent de s'occuper de cette question capitale.

Après leur victoire sur le Seize-Mai, l'attitude, à ce point de vue, des républicains ne se modifie pas. Tous alors paraissent bien décidés à passer de la théorie à la pratique, et, à ce moment, l'on voit reparaître dans leurs journaux, dans leurs revues, dans leurs professions de foi, dans des exposés de motifs de nombreux projets de lois déposés à la Chambre des députés, les arguments en faveur du divorce à prononcer entre Rome et le gouvernement français.

Dans le parlement, surtout à partir de 1881, la question est étudiée sous toutes ses faces; on la creuse aussi profondément que possible; et de tout ce travail sort le rapport fameux de Paul Bert, déposé le 31 mai 1883 sur le bureau de la Chambre, œuvre remarquable, complète, mais qui conclut au maintien du Concordat.

Pour quelles raisons? Ces raisons nous devons les rappeler; car, à l'heure où nous sommes, il est extrêmement utile à tous les catholiques de les connaître et de les méditer.

Le parti républicain, se demande Paul Bert, donnera-t-il, après la séparation, la liberté à l'Église catholique?

Et tout d'abord, écrit Paul Bert, qu'entend-on par liberté? Est-ce la liberté totale, le droit commun? Les fidèles de l'Église catholique auront-ils le droit de se réunir comme bon leur semblera, leurs ministres le droit d'enseigner et de prê

cher sans autres restrictions que celles qui sont imposées à tous les autres citoyens? L'association catholique pourrat-elle recevoir, posséder dans les mêmes conditions que les associations laïques, soit pour les besoins directs du culte et les salaires de ses prêtres soit pour toutes les autres œuvres, etc. »

Voilà donc à quelles conditions seulement on pourra dire, après la séparation, que l'Église sera vraiment libre. De cette liberté Paul Bert ne veut pas. Pourquoi?

« La conséquence, s'écrie-t-il, nous n'hésitons pas à le dire, ce serait avant trente ans la mainmise sur la France par l'Église catholique, à moins que quelque réaction violente ne vienne soulever ce pays. Car l'Église rayée du budget de l'État, chassée de ses presbytères et de ses temples, mais laissée absolument libre, retrouverait bientôt une richesse personnelle qui lui fait aujourd'hui absolument défaut, une influence politique qui chaque jour s'en va en diminuant et reconquerrait tous ces édifices dont on l'aurait chassée, toutes ces situations dont on l'aurait violemment dépouillée. »

Cette possibilité d'une reconstitution d'un patrimoine pour l'Église, après la séparation prononcée, c'est là surtout ce qui paraît préoccuper Paul Bert. Pour tenter de l'éviter, il nous faudra, dit-il, violer les principes républicains, voter des lois d'exception, mettre les catholiques hors du droit commun et de la liberté, mentir au passé de notre parti.

Mais ces lois produiront-elles l'effet désiré? Paul Bert ne le pense pas.

« On a proposé, dit-il, des mesures propres à diminuer les dangers de l'importance redoutable que ne manquerait pas de prendre l'Église après la séparation. Or, nous pensons que, dans l'état actuel de la société française et des esprits, ces mesures seraient absolument inefficaces et ne pourraient empêcher l'Église de retrouver rapidement une situation pécuniaire au moins équivalente à celle que lui concède au

jourd'hui le budget des cultes... Qu'on se le persuade bien, le jour où l'Église, réduite à ses propres ressources, devra aller réclamer à ses fidèles l'argent nécessaire pour faire vivre ses prêtres et pourvoir aux besoins de son culte, aucune force humaine, aucune loi ne pourra empêcher les uns de donner, les autres de recevoir... Quelle force n'aura pas celui qui prêchera et quêtera pour que dans chaque village les fidèles puissent assister aux offices et recevoir chaque jour, s'ils le désirent, les exhortations de leur guide religieux. Certes les plus pauvres trouveront bien à donner à l'Église les vingt-cinq sous par tête que représente annuellement pour chaque catholique le budget de l'État; et que feront les

riches! »

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Et ce ne sont pas seulement ceux que l'on regarde aujourd'hui comme « les catholiques qui donneront à l'Église après la séparation. Paul Bert ajoute en effet :

« Sans doute, la libre-pensée fait en ce temps des progrès considérables: mais n'en exagère-t-on pas l'importance? Sans doute, une fraction importante de ceux que le hasard de leur naissance a faits catholiques négligent pendant leur vie l'accomplissement des devoirs religieux et vont même jusqu'à les railler. Mais sans parler des derniers jours, où tant de ceux qui se sont montrés incrédules reviennent à la foi et aux pratiques de leur enfance, combien, je dis des plus affirmatifs et des plus sincères poussent à bout la logique de leurs croyances nouvelles? Combien refusent de faire bénir leur mariage par le prêtre, de faire baptiser leur enfant à l'église, de le laisser subir la longue et pénible préparation à la première communion? Et parmi ceux qui auraient l'énergie de se mettre ainsi et de mettre leurs enfants en dehors de la règle commune, combien en sont empêchés par leurs femmes, qui, au nom de la liberté personnelle, veulent suivre les exercices du culte et font intervenir leur autorité, respectable quand il s'agit de leurs enfants?

Combien donc oseraient et pourraient refuser au prêtre

ce que celui-ci aura le droit de venir réclamer, non seulement pour la rémunération de ses services personnels, mais pour que ces services puissent être partout et toujours à la disposition des autres fidèles? Et celui qui le ferait, au prix de quelles querelles domestiques pourrait-il triompher de la résistance d'une femme placée entre ses devoirs contradictoires d'épouse et de catholique ? »

Donc, d'après Paul Bert, même après une séparation sans liberté, l'Église retrouverait facilement un budget plus considérable que celui mis à sa disposition par l'État sous le régime concordataire.

Mais au moins le régime d'exception forgé contre elle pourrait-il la forcer de vivre au jour le jour en l'empêchant de se créer un patrimoine stable, s'augmentant d'année en année et devenant au bout d'un certain temps une mainmorte considérable, capable de lui donner une énorme puissance? Paul Bert n'en croit rien et donne la raison suivante de son opinion sur ce point capital :

On pourra limiter ou même interdire pour l'Église, en tant que corporation, la possession des biens fonciers. Mais sans parler des dissimulations possibles, qui ne comprend que cette interdiction de la propriété territoriale est loin. d'avoir la même importance que jadis, en présence du développement immense des valeurs mobilières ? Ces valeurs anonymes au porteur qui échappent à tout contrôle sont souvent déjà et deviendraient bien plus fréquemment encore représentatives, par voie d'hypothèques ou de mises en actions, de la propriété foncière. »

C'est en vain qu'on essaierait d'appliquer à l'Église les lois coercitives des autres associations. Car l'Église n'est point

une association comme une autre.

« Quant à essayer, continue en effet Paul Bert, de limiter par une réglementation qui ferait sortir du droit commun non seulement l'Église catholique, mais toutes les associations suspectes de s'être formées pour lui venir en aide, a-t-on

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