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le redoutable et hautain: Nèscios vos
connais pas
à toutes les femmes écrivains?

je ne vous

* * *

Les Académiciens, récemment consultés à ce propos, dans Excelsior, par Mme Huguette Garnier, répondirent avec toute la gravité qui convient à leur caractère et toute la courtoisie que comportait le sujet. Tous sauf M. Paul Bourget -se plurent à reconnaître, dans le présent comme dans les temps révolus, le talent des femmes de lettres. Ils prononcèrent des noms choisis parmi les plus beaux. Ils mirent même une grande coquetterie à regretter que ces noms ne fussent pas de chez eux. On pouvait donc croire que la conclusion s'imposerait d'elle-même. Il n'en fut rien, et chose étrange nos académiciens, fort courtois envers leurs contemporaines qu'ils repoussent, furent pleins d'irrévérence envers la vénérable fille de Richelieu qu'ils prétendent défendre : « N'y touchez pas, dirent-ils. Ne dérangez pas le moindre pli de sa robe. Ne chassez nul grain de poussière sur sa manche. La plus petite chiquenaude lui serait fatale. L'Académie est immobile, son règlement immuable. Elle n'est pas une institution, mais une croyance. La toucher, c'est la condamner à une mort immédiate. » Vraiment, les plus malicieux parmi nous ne la croyaient pas aussi fragile et tellement vieillie. On ne peut avouer plus clairement que tout esprit s'est retiré d'elle, que sa vie n'est qu'une trompeuse apparence, et qu'elle ne possède plus, pour tout bien, que « la lettre », c'est-à-dire l'intangible règlement rédigé par l'autoritaire Richelieu qu'on appelait, de son temps, « Maître Griffe ».

S'il en est ainsi, l'on peut aisément croire qu'elle continuera, longtemps encore, de couronner, avec des roses éclatantes, les femmes écrivains, et de leur interdire l'accès de son seuil. Eh bien! Qu'on nous permette donc

de rechercher quelles sont, cachées derrière l'extrême politesse de la forme académique, les véritables raisons de ce refus.

M. Paul Bourget, dont la franchise ne se farde point, nous dit, pour lui et pour les autres qui n'osèrent, le fond de sa pensée :

«La fondation de l'Académie française n'est, d'ailleurs, pas exclusivement littéraire. Le grand homme d'État qui en a eu l'idée n'a pas seulement pensé à récompenser le talent. Sa préoccupation 'semble avoir été de l'intéresser à l'ordre social. Il a conçu l'Académie comme un ennoblissement individuel et, pour bien marquer le caractère social de son institution, il a pris soin d'y appeler d'autres éléments que la littérature. Hommes de lettres, grands seigneurs, gens d'Église et d'épée, diplomates, se sont trouvés réunis. Il voulut donner à ceux-ci le goût des lettres et inviter les lettres, par ce voisinage, à ne pas laisser développer en eux cette tendance à l'anarchie, cet excès d'individualisme qui est toujours la tentation des talents littéraires. C'est pour cette raison, j'imagine, qu'il n'a pas agréé le génie féminin. »

L'accusation ne manque ni d'art ni de prudence, mais elle est nette: Si les femmes se voient exclues de l'Académie, elles ne doivent s'en prendre qu'à l'incurable infériorité de leur nature.

Le vieux préjugé subsiste. Il nous plaît que l'immense majorité des femmes s'adonnent à des travaux faciles et quotidiens que nous jugeons inférieurs. Pour les autres, qu'elles s'agacent les dents aux fruits de la science et de l'art. Nous les aimons dans la mesure où elles ont assez de grâce pour nous distraire et d'esprit pour nous comprendre. Notre humilité à leur égard est telle que nous.

me

leur permettons même d'aider à notre réputation. Alors, par politesse, nous leur disons souvent qu'elles ont du génie et nous l'écrivons parfois.

Mais, en fait, nous redoutons de trouver en elles des rivales, et la pensée d'une supériorité féminine nous fait sécher de dépit. Chez le meilleur des hommes, il faut toujours craindre que l'orgueil du mâle ne se réveille brusquement.

Cet orgueil, qu'un gentleman cache ou refrène, s'enfle vite et triomphe dès qu'une quarantaine d'hommes, soient-ils de lettres, d'épée, de robe ou d'Église, se trouvent réunis. Une même crainte réalise entre eux un accord parfait qu'ils ne montrent point, et leur politesse envers les femmes de talent devient d'autant plus exquise que leur résolution de les repousser se fait inébranlable.

Honni soit qui les critique. A leur place, lequel d'entre nous agirait autrement?

A parler net, notre orgueil d'hommes mis à part, nous savons bien cependant que les femmes nous valent en tous points.

Pour leur courage, il serait plaisant de reproduire les pages enthousiastes que certains auteurs leur ont consacrées. Des auteurs sévères, huppés et moralistes? Vous n'y êtes pas. Des écrivains dits libertins, qui connaissaient les femmes, badinaient avec quelques-unes, mais savaient montrer grande déférence à celles qui le méritaient. Citerai-je, à tout hasard, Tallemant des Réaux ou Brantôme? A quoi bon! Non seulement notre histoire populaire est ennoblie par le geste des femmes guerrières, mais nous avons trop présente à la mémoire la belle attitude de nos mères, de nos sœurs, de nos femmes, durant la dernière guerre, pour qu'il ne soit pas malséant d'in

sister.

Les femmes nous valent par le cœur. Par l'intelligence

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intuitive, souvent elles nous dépassent. L'élan de leur esprit est moins vigoureux que le nôtre, mais leur grâce nous captive, et, souvent, leur précision nous étonne. Elles s'élèvent aussi haut que nous, avec moins d'effort et comme d'instinct, presque sans étude, et seulement parce qu'il leur chante de penser clair, de bien écrire ou de parler harmonieusement.

Je ne crois pas qu'elles apportent à la société, plus que nous, des germes d'anarchie et un dangereux excès d'individualisme. Il est vrai qu'elles puisent leur génie dans leurs forces affectives et que parfois leur sensibilité les emporte loin des communes disciplines; mais la sensibilité qui les entraîne sait aussi les dompter. Le don du cœur, le sacrifice d'elles-mêmes, l'abnégation, sont, en effet, pour elles plus que pour nous, une nécessité. Elles vont même fort loin dans ce domaine. Souvent elles s'abandonnent et parfois se perdent en ceux qu'elles aiment. Alors leurs écrits ne reflètent que leur amour et les idées de l'homme aimé. C'est là, et non ailleurs, que se trouve le véritable danger pour les femmes écrivains. Et il est curieux qu'on leur reproche, à bout de raisons, des défauts absolument contraires : individualisme outrancier, excès de personnalité et vingt autres guitares qui sonnent aussi faux.

Mais à quoi bon de tels discours? Songeons simplement à ce que l'Académie eût gagné, dans sa parure et dans sa force, si elle eût accepté jadis, chez Elle, la fine de La Sablière, la vive de Sévigné, d'Aulnoy l'amusante, Lambert la sage, Deshoulières l'aimable. Je ne parle pas, dessein, des immortelles Mme de Staël et George Sand. On raconte que Patru récita un apologue en pleine Académie, un jour où ses confrères préféraient un seigneur riche et ignorant à un écrivain de renom :

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« Un ancien avait une lyre admirable à laquelle se rompit une corde. Au lieu d'en remettre une de boyau, il en voulut une d'argent, et la lyre n'eut plus d'harmonie.»

L'apologue est toujours de saison.

Pourquoi donc, ô Académie, avez-vous accueilli tel écrivain dont le mérite est mince et qui vous déshonore en écrivant mal?

Et la grave compagnie de répondre :

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Une place était vide. Nous avons cherché vainement l'homme de haute valeur digne de l'occuper, et nous avons dû nous résigner à choisir, au hasard, dans la foule des médiocres, parmi les plus fortunés.

Que n'appeliez-vous donc une de ces femmes dont l'aimable génie vous eût fait honneur? Des femmes, jadis, montaient sur le trône de France, qui ne s'écroulait pas. Un fauteuil vaudrait-il mieux qu'un trône? Ou pensezvous que, tout bien pesé, un homme médiocre vaut encore mieux qu'une femme de talent?

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Sans doute, avec cette question, touchons-nous au vif du problème, et les académiciens, non ceux de Belgique mais les nôtres, crieront qu'on les méconnaît. Une fois encore ils affirmeront l'admiration qu'ils nourrissent à l'égard des femmes de talent. Mais les paroles. s'envolent d'autant plus aisément qu'elles sont fleuries. Seuls les actes comptent, et l'occasion se présente d'en accomplir un de suprême élégance et loyale réparation : que l'Académie française offre le fauteuil de Jean Aicard à Mme la comtesse de Noailles. Ce poète de géniale magnificence en est digne en tous points. L'attirer à soi, c'est se grandir et recevoir, par surcroît, les approbations des lettrés qui sont la gloire de notre pays. Et les premiers à applaudir à un tel choix seront, avec les femmes de lettres, les hommes de grand mérite et d'esprit qui peuvent briguer, aujourd'hui, en toute justice, l'honneur d'entrer à l'Académie française.

ANDRÉ LAMANDÉ.

R. H. 1981. VII, 1.

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