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CONCLUSIONS POUR LA RÉPUBLIQUE MEXICAINE CONTRE LL. GG. L'ARCHEVÊQUE DE SAN FRANCISCO ET L'ÉVÊQUE DE

MONTEREY.

Attendu que la réclamation a pour objet le paiement de 33 années d'intérêts (1870 à 1902) du "Fonds Pie de Californie" dans la proportion pour laquelle les intérêts de ce Fonds appartiendraient aux évêques de la Haute Californie;

Les demandeurs soutiennent:

En ordre principal, que le litige relatif à l'attribution aux évêques de la Haute Californie des intérêts du Fonds Pie, aurait reçu une solution complète et définitive le 29 novembre 1875, par l'attribution à leur profit dans une première sentence arbitrale, de la moitié de ces intérêts et par la fixation de cette moitié à 43,050 dollars 99 par an; qu'il y aurait ainsi chose jugée et en conséquence les demandeurs réclament pour les 33 années écoulées, la somme totale de 1,420,689 dollars 67 en or;

En ordre subsidiaire et pour le cas où l'exception de chose jugée ne serait pas admise par le Tribunal arbitral, et ils auraient ainsi à établir à nouveau le fondement de leurs droits, les demandeurs réclament 85 pour cent du revenu du Fonds et allèguent que cette part représente annuellement 94,521 dollars 44; en conséquence et pour cette hypothèse, ils sollicitent à charge du Mexique pour les 33 années écoulées de 1870 à 1902, une condamnation à 3,108,207 dollars 52;

Attendu qu'il est à remarquer tout d'abord qu'il ne s'agit pas à proprement parler d'un arbitrage international, lequel suppose nécessairement un conflit entra deux Etats; que le Gouvernement des Etats-Unis n'est pas partie en cause; qu'il ne réclame rien pour lui-même et se borne à appuyer deux de ses sujets, Evêques de Californie;

Attendu en conséquence qu'il s'agit d'un litige de Droit privé, qui doit recevoir sa solution d'après les règles du droit positif;

Attendu que la question soumise aux arbitres est celle de savoir si les demandeurs ont droit à une part du produit des biens des Jésuites de Californie, biens confisqués par l'Etat en 1768; que c'est là une question de droit civil qui, à défaut de la constitution d'un Tribunal arbitral, aurait dû normalement être portée devant les Tribunaux Mexicains comme toutes les réclamations dirigées contre le Gouvernement de ce pays; que les lois civiles mexicaines doivent donc être appliquées par le Tribunal arbitral comme l'auraient fait les Juges auxquels il est substitué;

Attendu que les demandeurs prétendent à tort que la Cour aurait à faire abstraction de toute règle de droit pour ne tenir compte que de qu'ils appellent arbitrairement "l'équité;" que tel n'est ni le sens ni la portée du compromis; que la justice procède du droit;

Attendu qu'il importe tout d'abord de charactériser nettement la réclamation;

Qu'en réalité les demandeurs prétendent que l'Etat Mexicain aurait l'obligation de leur remettre une part de toutes propriétés, créances et valeurs qui auraient autrefois appartenu aux Jésuites de Californie en vue de leurs Missions, et que l'Etat ayant aliéné toutes ces propriétés et valeurs qu'il s'était appropriées, doit aux évêques-demandeurs, l'intérêt à 6 pour cent du montant de ces réalisations;

Que, d'après les demandeurs, cette obligation de l'Etat Mexicain vis-à-vis d'eux est perpétuelle, absolue, irrévocable; et n'aurait pas même pour corollaire un droit de contrôle à son profit; que le droit implicitement réclamé équivaut donc au droit de propriété.

Attendu que les demandeurs qualifient cependant le droit réclamé de "trust" et considèrent le Gouvernement Mexicain comme trustée, mais que le trust suppose évidemment un tiers-propriétaire, pour lequel le trustée agit comme mandataire ou dépositaire, et que tout en ne réclamant qu'un certain nombre d'annuités, c'est donc bien la propriété que visent les demandeurs;

Attendu qu'il y a lieu de rechercher quel est le titre sur lequel les demandeurs appuient leur revendication;

Que ce titre ne pourrait être trouvé que dans les actes de donation primitifs, tels que celui du Marquis de Villa-Puente considéré par les demandeurs comme l'acte-type au point de vue de la discussion, ou dans les décrets du 19 septembre 1836 et du 3 avril 1845 qui ont confié à l'Evêque de Californie l'administration et l'emploi du "Fonds Pie."

QUANT AUX ACTES DE DONATION PRIMITIFS.

Attendu que les Jésuites ont été chargés par le Roi d'Espagne de la conquête spirituelle et temporelle de la Californie et qu'en vue de ce double but, il les a autorisés, indépendamment de prestations du Trésor Royal, à recueillir des aumônes et à recevoir des libéralités.

Attendu que le fonds ainsi formé, moyennant l'autorisation du Roi, ne constituait aucunement une propriété de l'église Catholique et que, sauf les droits de la Couronne, il appartenait exclusivement aux Jésuites, pour leurs missions de Californie; que l'Eglise n'est intervenue ni dans la constitution, ni dans l'administration dudit fonds, que même les actes de donation excluent toute intervention de l'Ordinaire, fût-ce au point de vue d'un simple contrôle; les Jésuites "n'avaient à rendre compte qu'à Dieu seul.”

Attendu que même en droit canon, on n'a jamais confondu les biens de l'église avec ceux appartenant soit aux communautés religieuses, soit aux ordres à la fois religieux et militaires, tels que l'ordre de Malte, celui des chevaliers Teutoniques, l'ordre de N. D. du Mont Carmel, etc., qu'il n'y a donc pas même à examiner si dans les missions de Californie, le but religieux l'emportait sur le but politique ou réciproquement; qu'à toute époque, les gouvernements se sont tenus comme investis d'un droit de domaine éminent sur les biens des corporations religieuses, se considérant comme autorisés à les supprimer comme ils les avaient autorisées à naître; qu'en mainte occasion, en Angleterre, en Allemagne, en Espagne, en France, etc., ils se sont attribué le même droit quant aux biens ecclésiastiques proprement dits;

Attendu que lors de la suppression de l'ordre des Jésuites en Espagne en 1767, le Roi a confisqué leurs biens et que notamment if s'est emparé de ceux qui étaient affectés aux missions de Californie; qu'à cette époque, le souverain pontife Clément XIV n'a fait ni protesta

tions, ni réserves, soit contre le décret du 27 février 1767, qui concernait tous les Etats de la couronne d'Espagne, soit contre le décret spécial du vice-Roi du Mexique de 1768;

Attendu que du domaine de la couronne d'Espagne, lesdits biens ont passé dans celui de la République Mexicaine, qui depuis, les a vendus et désamortis;

Attendu qu'assurément ces divers actes posés il y a longtemps, en vertu du droit de souverainté, peuvent être diversement appréciés, mais qu'ils ne peuvent prêter à aucune critique utile; que cependant la demande tend implicitement à les faire déclarer nuls en ce qui concerne la Haute Californie, alors qu'ils conserveraient tous leurs effets quant à la Basse Californie; qu'il suit de ce qui précède que la prétention manque de toute base juridique,

a. parce qu'il ne s'agit pas de biens ayant jamais appartenu à l'Eglise Catholique.

b. parce que les Jésuites, à qui ils appartenaient, ont été dépouillés de tout droit.

c. parce qu'en aucun cas, ces droits n'auraient passé à aucun titre, aux Evêques de la Haute Californie.

et d. parce qu'enfin l'Eglise elle-même en aurait été dépouillée par des actes souverains;

Attendu d'autre part que les demandeurs ne peuvent invoquer l'intention prétendue des donateurs: 1°. parce que ceux-ci, qui entendaient investir les Jésuites de droits absolus, n'avaient certes pas prévu la suppression de l'Ordre, 2o. parce que, lorsqu'ils fondaint une œuvre à la fois religieuse et nationale d'évangélization et de "reduction” politique, au profit de populations déshérités, ils ne pouvaient viser le budget du culte d'une contrée devenue toute Chrétienne, riche et désormais étrangère à la race Espagnole; que de semblables hypothèses, inadmissibles en droit, manqueraient de tout fondement en fait.

Attendu qu'il est encore à remarquer que les Jésuites ont porté exclusivement leur effort sur la Basse Californie, que les missions fondées par eux se trouvaint toutes sur son territoire, que le nom même de Californie n'était alors donné qu'à la presqu'île et que l'on était même généralement dans la croyance que c'était une ile; que les donations faites au Fonds Pie n'ont donc réalisé le but des fondateurs que quant au territoire demeuré Mexicain et que si certaine séventualités permettaient d'en étendre l'effet à d'autres territoires, même en dehors de l'Amérique, ce n'était que pour autant que telle fut la volonté souveraine de l'Ordre des Jésuites et que semblable volonté, qui n'a jamais été émise, ne pouvait plus l'être après leur suppression en 1768. Attendu que l'on objecte que le décret de confiscation dont l'ordre a été alors l'objet, annonce l'intention du Roi de ne point faire préjudice aux charges imposées par les donateurs, mais que cette énonciation d'une volonté unilatérale ne diminue en rien les droits absolus que s'attribue le Roi et dont il use par la confiscation; qu'en effet elle ne pouvait créér de droit au profit de personne, ni pour les Jésuites qui, seuls auraient eu qualitée pour protester, mais dont on supprimait l'existence et qui même depuis leur rétablissement n'ont formulé aucune réclamation, ni pour l'Eglise Catholique, dont il n'est pas question dans le décret de confiscation, même au point de vue droits d'administration ou de contrôle, ni pour les Indiens de Californie, ou d'ailleurs, qui n'avaient aucune existence comme corps ou être de droit, puisqu'à ce titre ils se confondaient avec la nation, alors personnifiée par le Roi;

Qu'il s'en suit que les droits absolus que s'attribuait le Roi sont demeurés absolus et qu'en effet, un engagement bilatéral seul aurait pu les restreindre; qu'aussi nul le leur a contesté ce caractère, avant que des Evêques auxquels la personnalité civile a été conférée deux siècles plus tard, en vertu des institutions d'un Etat étranger, aient prétendu puiser droit dans l'énonciation des intentions Royales.

QUANT AUX DÉCRETS DE 1836, DE 1842 ET DE 1845.

Attendu que par un décret du 19 september 1836, le gouvernement Mexicain a chargé l'Evêque de Californie, qu'il voulait instituer, de l'administration et de l'emploi des biens des missions, que cette mesure fut rapportée par un décret du 24 octobre 1842, qui prononçait la nationalisation du fonds des missions et son incorporation au domaine et ordonnait la vente des biens qui le composaient, qu'un troisième décret du 3 avril 1845 rendit à l'Evêque de Californie l'administration des biens non vendus en vertu du décret précédent en réservant au congrès national le droit de disposer quant aux biens déjà aliénés.

Attendu que ces diverses dispositions n'étaient que des expressions successivement différentes d'une volonté toujours souveraine et qu'il est impossible d'y voir des contrats synallagmatiques, emportant de la part du gouvernement quelque aliénation de propriété ou reconnaissance de créance et que même en remettant à l'Evêque la gestion des biens affectés aux missions, l'Etat ne faisait que les charger d'un office public, en vue d'un intérêt public; que'n effet, il n'est intervenu à ce sujet aucun contrat ou concordat, soit avec l'autorité pontificale, soit avec le primat de l'Eglise Mexicaine, soit avec l'Evêque de Californie; que des biens qui appartenaient sans contestation au domaine de l'Etat Mexican, n'auraient pu sortir de ce domaine qu'en vertu de dispositions législatives formelles et d'une acceptation non moins positive et régulière de l'Eglise Catholique; qu'aussi en 1842 les nouvelles mesures du gouvernement ne furent l'objet d'aucune protestation de la part d'aucune autorité eclésiastique et que lors de la remise des biens, le mandataire de l'Evèque, tout en alléguant l'intérêt de l'Eglise et des fidèles, reconnut qu'il n'avait aucun droit à invoquer; Attendu qu'ici encore l'on invoque l'intention exprimée par le gouvernment mexicain d'affecter aux missions de Californie une somme représentant l'intérêt à 6 pour cent du produit de la vente des biens, mais que pas plus qu'en 1768 l'énonciation de semblable volonté dans un acte souverain ne pouvait constituer de droits privés au profit de personne; qu'il aurait fallu pour cela un engagement bilatéral qui n'est jamais intervenu; qu'aussi, ni l'église mexicaine ni spécialement l'Evêque de Basse Californie n'ont revendiqué aucun droit, soit sous l'empire du décret de 1842, soit depuis 1848, lorsque la Hante Californie a été annexée aux Etats-Unis, soit surtout depuis les lois mexicaines de 1857, 1859 et 1874, qui ont complètement nationalisé les biens de l'église mexicaine.

Attendu que ce n'est qu'en 1859 que les Evêques américains de la Haute Californie, dont la personnification civile ne date que de 1850, ont pour la première fois invoqué des droits à une part du Fonds Pie de la Californie et qu'ils n'invoquaient et n'invoquent d'autre titre que celui qu'aurait l'église mexicaine elle-même en vertu des intentions exprimées en 1768 et en 1842; que leur demande doit donc être déclarée sans fondement.

Attendu que les demandeurs invoquent encore, mais sans raison, l'arrangement intervenu au sujet des missions des îles Philippines; Que certains biens donnés par Dona Josepha Arguelès étaient destinés pour moitié aux missions des îles Philippines, qu'après la proclamation de l'indépendance du Mexique, les Dominicains des îles Philippines notamment représentés par le P. Moran, revendiquèrent avec l'appui de la couronne d'Espagne leur part dans lesdits biens et qu'il intervint à ce sujet une transaction en vertu de laquelle le Mexique paya 145,000 dollars;

Mais qu'il n'est pas admissible que l'on argumente d'une transaction, puisque le caractère essentiel de semblable acte est de ne pas impliquer la reconnaissance d'un droit; que la situation était d'ailleurs ici toute différente et parce que le Roi d'Espagne en cédant au Mexique le fonds des missions, était certes fondé à en retenir la part qu'il affectait aux missions des îles Philippines, dont il conservait la charge, et parce que d'autres considérations d'ordre politique commandaient un arrangement. Attendu que les défendeurs au contraire sont en droit d'invoquer divers précédents et notamment:

1o. Une décision du Conseil supérieur des Indes du 4 juin 1783 au sujet de la succession de Dona Josefa Arguelès, reconnaissant le droit absolu du Roi aux biens donnés aux missions, depuis la suppression de l'ordre des Jésuites et même auparavant, en vertu du droit éminent de la couronne;"

En

2o. Diverses décisions des tribunaux américains, en ce qui concerne les biens qui appartenaient jadis aux missions de la Haute Californie, où les Franciscains avaient pris la place des Jésuites; l'Eglise Catholique ayant revendiqué la propriété de certains de ces biens, comme étant aux droits des missions, a été déclarée n'y avoir aucun titre. cause Nobile contre Redman,' il a été décidé que "les missions établies en Californie antérieurement à son acquisition par les Etats-Unis, étaient des établissements politiques et n'avaient aucune relation avec l'Eglise. Le fait que des moines ou des prêtres étaient à la tête de ces institutions ne prouve rien en faveur de la prétention de l'Eglise à leur propriété."

Attendu que même en faisant abstraction de tout ce qui précède, la réclamation des demandeurs, devrait encore être écartée comme en opposition formelle avec les termes et l'esprit du traité de Guadalupe Hidalgo, du 2 février 1848;

Attendu que ce traité stipule au profit de l'Etat Mexicain décharge absolue, tant en ce qui concerne le gouvernement des Etats-Unis qui loin de se réserver quelque revendication pécuniaire, allouait au Mexique une somme de 15 millions de dollars, en considération de la cession d'une partie de son territoire-que quant aux réclamations que des citoyens des Etats-Unis pouvaient avoir à former contre l'Etat Mexicain à raison de faits antérieurs au Traité; une somme de 3,250,000 dollars était remise aux Etats-Unis, qui ce moyennant, se chargeaient de désintéresser tous les sujets américains, pouvant être créanciers du Mexique et une commission exclusivement américaine était instituée pour apprécier leurs prétentions;

Attendu que la pensée des parties était donc de supprimer entre elles tout sujet de conflit et qu'il semble d'évidence que si les Etats-Unis avaient cru à une obligation du Mexique envers quelque corporation religieuse devenue Américaine, ils l'auraient déduite de

a V. le volume publié par les demandeurs, p. 486.

V. même volume, p. 343.

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