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de juger ne pouvaient être faites qu'aux juges dont la jurisdiction n'était pas en dernier ressort. On n'avait à l'égard de ceux dont les jugemens étaient souverains, d'autres ressources que de porter ses plaintes au chancelier ou au conseil du roi. On arrêtait ainsi le cours de la justice par égard pour la dignité des magistrats: mais la dignité de la justice elle-même ne serait-elle pas dégradée, si, en considération de ses ministres, sa marche était variable ou chancelante? Ne doit-on pas encore observer que des juges souverains, ordinairement placés dans un plus grand tourbillon d'affaires et moins rapprochés des plaideurs que les autres juges, sont plus exposés à laisser, contre leur intention, des parties en souffrance? >> (M. Bigot-Préameneu.)

Aujourd'hui tous ceux qui sont chargés de rendre la justice, un tribunal entier ou une cour, un rapporteur, un juge de paix, un avocat, un avoué ou suppléant qui remplit les fonctions de juge, soit au civil, soit au criminel, peuvent être pris à partie. Voici des exemples:

APRÈS avoir vendu une maison au sieur Chabaille, qui n'avait pas fait transcrire, la veuve Padieu la revendit au sieur Foulon, qui ne négligea point cette formalité.

Le premier acquéreur rend plainte en escroquerie contre la veuve Padieu.

Le sieur Degneux, magistrat de sûreté, qui poursuivait l'affaire, obtint du sieur Dubellay, président du tribunal, un mandat d'amener contre le sieur Deboileau, avocat, que plusieurs témoins avaient impliqué dans l'affaire, comme ayant donné lui-même le conseil de revendre.

Deboileau avoua le fait; mais il soutint qu'il ne pouvait donner lieu à une poursuite correctionnelle.

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Le tribunal d'Abbeville renvoya la veuve Padieu de sa plainte, et ordonna l'élargissement de Deboileau; mais il considéra que le secret du cabinet d'un jurisconsulte doit être respecté, toutes les fois qu'il ne conseille pas un délit. . . que sans doute les magistrats qui ont procédé à l'instruction de l'affaire, se seraient bien gardés d'attenter à cette honorable et précieuse prérogative, s'ils n'avaient, à quelques égards, été fondés à voir dans cette affaire très-délicate, des traces de mauvaise foi et de dol caractérisé, délit prévu par l'art. 35 de la loi correctionnelle, et que le sieur Deboileau était convenu avoir conseillé les deux ventes, procédé contraire à la délicatesse et à l'honneur.

Sur l'appel, arrêt de la cour d'Amiens, qui, par le motif que l'affaire était purement civile, s'agissant de l'exécution d'un contrat transcrit,

et de sa prévalence sur un autre contrat antérieur, mais non transcrit ; qu'il n'a été articulé ni spé-. cifié aucun fait de dol ni autres compris en l'article 35 du code correctionnel, etc.; . . que les juges dont est appel, n'ont pu, sans une contradiction évidente, juger, par rapport à Deboileau, poursuivi comme complice, et qui n'aurait fait que rendre et développer, comme jurisconsulte, dans le secret du cabinet, le texte d'une loi existante, et qui ne pouvait être garant de l'abus qu'en auraient fait les consultans, que l'affaire avait présenté, à quelques égards, des traces de mauvaise foi et de dol caractérisé; qu'ils n'ont pas pu davantage, en le déchargeant de l'accusation portée contre lui, déclarer que son procédé était contraire à l'honneur et à la délicatesse; ce qui d'ailleurs emporterait une sorte de blâme, que les juges n'auraient pu prononcer sans excès de pouvoir; annulle l'ordonnance contenant mandat d'arrêt et tout ce qui a suivi, renvoie Deboileau de la plainte, et le réserve en tous ses droits.

Deboileau a cru trouver là une cause suffisante de prise à partie contre le sieur Dubellay, président du tribunal, qui, en qualité de directeur du jury, avait délivré le mandat d'arrêt.

Il se fondait sur les ordonnances de 1530,

1540, 1560, 1579, 1667 et 1670, et notamment sur l'art. 505 du Code des délits et des

peines.

Le 23 juillet 1806, arrêt de la section civile de la cour de cassation, qui, << attendu qu'aux termes de l'art. 565 de la loi du 3 brumaire an 4, la prise à partie est autorisée, lorsqu'il y a eu dol de la part d'un juge; que lorsqu'il s'agit d'instances civiles en dommages-intérêts, les lois assimilent la faute grave au dol; que dans l'espèce, la revente faite par la veuve Padieu n'a pu donner lieu à des poursuites correctionnelles, quand bien même on voudrait l'envisager comme stellionat; que le conseil donné par le demandeur, dans les termes allégués par le déféndeur, ne renferme pas l'apparence d'un délit., D'où la conséquence, que le mandat d'amener, la traduction à la police correctionnelle, et le mandat d'arrêt, constituent une faute grave de la part du défendeur. Attendu que cette faute ne peut être atténuée ni par un prétendu avis verbal du procureur-général impérial près la cour de justice criminelle d'Amiens, par le certificat des juges et du greffier du tribunal d'Abbeville, délivré au défendeur pendant l'instance en prise à partie. -Sans avoir égard aux fins de non recevoir proposées par le défendeur, le déclare bien intimé et pris à

ni

partie; le condamne en conséquence à la somme de six mille francs de dommages-intérêts envers le demandeur, et aux dépens.

AUTRE ARRÊT.

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Lorsque le sieur Lacan fut nommé président du tribunal de Clamecy, une instance était déjà engagée entre la dame Bazarne et le sieur Héreau son beau-frère, pour l'existence d'un testament, et par cette raison il s'abstint d'en connaître,

Sur le prétexte qu'il se tramait des manœuvres sourdes contre lui, Héreau rend plainte devant le sieur Lacan, président, qui faisait alors les fonctions de directeur de jury.

Une enquête avait été ordonnée. - M. Lacan exige que la minute soit mise sous ses yeux.

Le 23 avril, à l'appel de la cause, M. Lacan quitte le siége;

Le sieur Alix, chargé de procuration spéciale de la dame Bazarne, sa belle-mère, se livre dans la plaidoirie à des personnalités violentes contre le directeur du jury; vainement le tribunal le rappelle à l'ordre; il est obligé de lui retirer la parole, et remet la

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