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TITRE VIII.

DE L'ADOPTION ET DE LA TUTELLE OFFICIEUSE*.

«

QUESTIONS GÉNÉRALES.

Si l'on recherche avec quelque soin, au milieu des débris qui

les couvrent, ces grandes institutions que la fatalité d'une destinée commune à tous nos ouvrages a plus ou moins rapidement détruites, on en retrouvera qui recèlent encore un principe de vie que le poids des siècles n'a pu entièrement étouffer, qui semblent n'attendre qu'un heureux souvenir pour se ranimer et reprendre une nouvelle existence.

» Telles sont celles de ces institutions que le sentiment a liées à

* Ce titre a été présenté au Conseil d'état, le 6 frimaire an 10, par M. Berlier, au nom de la Section de législation, et discuté dans les séances des 6, 14, 16 frimaire et 4 nivôse an 10, 27 brumaire, 11 et 18 frimaire an 11;

Communiqué officieusement au Tribunat le 3 nivôse;

Rapporté de nouveau au Conseil les ventôse, après la conférence tenue entre les membres du Conseil d'état et ceux du Tribunat;

Adopté définitivement le même jour;

Présenté au Corps législatif, le 21 ventôse, par MM. Berlier, Thibaudeau et Lacuée, Conseillers d'état, M. Berlier portant la parole;

Communiqué officiellement par le Corps législatif au Tribunat, le 23;

Rapporté au Tribunat le 30, par M. Perreau, au nom de la Section de législation; Adopté par le Tribunat le 1. germinal;

Discuté au Corps législatif le 2, entre les Orateurs du Gouvernement et MM. Perreau, Duveyrier et Gary, Orateurs du Tribunat, M. Gary portant la parole;

Décrété le même jour;

Promulgué le 12.

la nature. Comme elle, on les voit en quelque sorte participer à son impérissable durée, et conservant ainsi tout ce qu'elles doivent essentiellement à cette première association, ne perdre que ce qu'elles tiennent dans leurs formes de notre foiblesse et de la mobilité de nos systèmes.

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Telle est l'adoption, qui, à défaut de liens que la nature a négligé de former ou a laissé rompre, vient en créer pour unir dans la réciprocité des plus doux rapports, deux êtres jusque-là étrangers l'un à l'autre, en donnant à la bienfaisance toute l'étendue de l'amour paternel, et à la reconnoissance tout le charme de l'amour filial. C'est donc faire une sorte de conquête dans l'ordre moral et politique, que d'arracher à l'oubli des temps cette touchante institution, de la dégager de ce qu'elle avoit reçu d'exagéré en fiction, même à son origine, ou contracté de vicieux dans une longue continuité d'abus, de la faire revivre pour nous la rendre propre en l'adaptant à l'esprit de nos lois et de notre Gouvernement »> (1).

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Mais « le système de l'adoption, par cela seul qu'il étoit nouveau, a eu à repousser un genre d'attaque que n'ont pas subi les autres parties de la législation. En effet, quand il a été question d'établir les règles du mariage, celles de la paternité et de la filiation, celles de la puissance paternelle, nul ne s'est permis d'attaquer ces grandes bases de la société; nul n'a contesté la nécessité de les soumettre à des règles invariables: la discussion tout au plus a pu se porter sur la convenance et l'utilité des règles proposées, surfes changemens ou les modifications qu'elles pourroient subir ; mais tous ont reconnu l'indispensable obligation de raffermir ces mémorables institutions consacrées par l'histoire du genre humain.

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» II n'en est pas de même de l'adoption : étrangère à nos lois

(1) M. Perreau, Tribun, Tome II, pages 23 et 24.

inconnue chez plusieurs nations, on a pu se demander s'il étoit nécessaire ou utile de l'introduire parmi nous »

(1).

La première question étoit donc de savoir si le principe de l'adoption seroit admis.

«

S'il l'étoit, il falloit arrêter les bases de l'organisation.

Cet ordre de discussion a été suivi au Conseil d'état.

Il excita d'abord des réclamations. On dit « qu'il est dangereux d'admettre une institution seulement en principe et sans en avoir réglé les effets» (2) : « séparer le principe du mode d'exécution» (3), << c'est s'engager dans des embarras d'où l'on ne peut plus sortir» (4). Il fut répondu que « la discussion des effets de l'adoption entraîneroit celle du projet tout entier » (5); que « sans la division contre laquelle on réclamoit, il seroit impossible d'arrêter un système, car on ne pourroit examiner collectivement toutes les dispositions de la loi » (6); « qu'il falloit donc détacher en quelque sorte l'adoption de ses effets et de ses conditions, et n'examiner que ce qui se présente naturellement à l'esprit, l'idée d'adoption prise isolément; sauf à discuter ensuite les causes, les conditions, les effets que l'on veut donner à cette institution. Or, sous ce point de vue, qu'est-ce que l'adoption? C'est la faculté de choisir une personne pour lui donner son nom, avec la capacité de succéder. Qu'on examine donc d'abord si en ces termes l'adoption sera admise; on discutera ensuite toutes les modifications qu'on veut y ajouter » (7).

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Ces raisons prévalurent. Le principe et l'organisation furent discutés séparément.

Il y avoit donc ici deux questions générales.

(1) M. Gary, Tribun. Tome II, page 49.

(2) M. Tronchet, Procès-verbal du 6 frimaire an 10. (3) Ibid, (4) Ibid. (5) Le Ministre de la justice, ibid. (6) M. Berenger, ibid. — (7) Le Ministre de la justice, ibid.

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LE PRINCIPE DE L'ADOPTION DEVOIT-IL ÊTRE ADMIS?

POUR embrasser cette question dans toute son étendue, il est nécessaire d'examiner,

Ce qu'étoit l'adoption dans l'antiquité, d'où elle nous est venue; Quelle étoit sur cette matière l'état de notre législation ancienne; Quel, celui de notre législation récente ;

Quelles opinions existoient lors de la confection du Code Napoléon ;

Par quelles objections le principe de l'adoption a été combattu; Quelles raisons l'ont fait admettre.

Ce qu'étoit l'Adoption dans l'Antiquité.

«IL est inutile de parler de l'adoption que quelques exemples indiquent comme ayant existé chez les Hébreux, et dont l'organisation est restée sans traces, supposé même qu'elle ait jamais été chez ce peuple une institution régulière » (1).

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Il y a peu de choses à dire de l'adoption des Athéniens, qui, selon qu'on peut l'induire de quelques fragmens historiques, n'avoit lieu qu'en faveur d'enfans mâles, dans la vue de perpétuer le nom, et ne lioit pas l'adopté de telle sorte qu'il ne pût retourner à sa famille primitive, pourvu qu'il laissât un fils légitime à la famille dans laquelle il étoit entré par l'adoption» (2).

(1) M. Berlier, Exposé des motifs, Procès-verbal du 21 ventôse an 11, tome II, page 587.—(2) Ibid.

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Quand la pensée se porte sur l'adoption des anciens, c'est à celle des Romains qu'elle s'arrête, comme à celle dont les documens nous ont été le plus complètement transmis, et peut-être aussi comme ayant appartenu à celui des peuples anciens dont les institutions se sont le plus généralement naturalisées chez nous.

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Mais qu'étoit-ce que l'adoption même des Romains? » (1).

« Les Romains avoient fait en tout de l'état de famille la base première de leur état de nation.

» Personne n'ignore que c'est toujours à ce point qu'il faut remonter, lorsqu'on veut rendre compte du phénomène de leur accroissement et de tous les prodiges de leur puissance.

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Là venoient se rattacher toutes les branches de leur droit religieux, politique et civil. On sait encore que ce même esprit a survécu à leur ruine, et s'est conservé jusqu'à nous dans les débris de leur législation.

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C'étoit chez un tel peuple sans doute que l'image seule de la famille devoit être accueillie avec transport, et y prendre bientôt tous les traits qui pouvoient le plus la rapprocher de son modèle. Aussi voyez tout ce qu'on imagina pour y donner à la fiction le caractère de la réalité. L'adoption ne s'y montre que sous l'aspect le plus imposant, au milieu des plus augustes solennités.

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Ses effets ne sont rien moins que d'opérer, par une imitation difficile à distinguer de la nature, le changement d'état le plus absolu; de transmettre avec tous les avantages de famille, les dieux pénates et les images des ancêtres, la participation aux sacrifices domestiques, la majesté et la puissance paternelles, enfin tous les droits de filiation et d'hérédité» (2).

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(1) M. Berlier, Exposé des motifs, Procès-verbal du 21 ventôse an 11 tome II, page 587. — (2) M. Perreau, Tribun. Tome 11, pages 26 et 27.

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