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constamment valoir pour décider le Conseil d'état à repousser cette institution, a été de la présenter comme donnant la facilité d'éluder les prohibitions établies contre les enfans naturels *.

Pour écarter cette objection, la Section présenta l'article suivant: Celui qui a reconnu, dans les formes établies par la loi, un enfant né hors du mariage, ne peut l'adopter, ni lui conférer d'autres droits que ceux qui résultent de cette reconnoissance; mais hors ce cas, il ne sera admis aucune action tendant à prouver que l'enfant adopté est l'enfant naturel de l'adoptant (1).

Ce fut cet article même qui donna occasion d'examiner si les prohibitions prononcées contre les enfans naturels de succéder et de recevoir au-delà d'une certaine mesure, ne devoient pas cesser dans le cas de l'adoption.

Je me suis engagé de rapporter textuellement la discussion. Voici ce que porte le procès-verbal:

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L'article est soumis à la discussion.

» M. Marmont dit que cette disposition peut compromettre l'état des enfans naturels. Il pourroit arriver en effet que, pour se ménager la faculté de les adopter, leur père différât de les reconnoître, et que cependant il mourût sans les avoir ni adoptés ni reconnus. M. Berlier convient que l'article est trop sévère; le motif qui l'a fait adopter à la Section, a été la crainte de contredire le projet de loi qui ne donne aux enfans naturels reconnus qu'une créance sur les biens de leur père.

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M. Emmery observe que la créance est le droit commun, et l'adoption le cas particulier.

» Il demande la suppression de l'article.

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M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angely ) dit que

la disposition

(1) 2. Rédaction, article 9, Procès-verbal du 14 frimaire an 10. * Voyez pages 254 et suiv,

rappelée par M. Berlier, n'a pour objet que de détruire la législation antérieure, qui donnoit aux enfans illégitimes des droits beaucoup plus étendus qu'une simple créance.

»

L'article est supprimé » (1).

Une décision aussi positive, et sur laquelle on n'est pas revenu ne permet pas de réplique.

Je dois maintenant résumer ces deux discussions.

Résumé des motifs qui ont fait permettre l'Adoption des Enfans naturels.

FIXONS d'abord l'état de la question.

Les adversaires de l'adoption des enfans naturels l'avoient mal posée.

Ils admettoient pour principe, que les exclusions et les prohibitions prononcées contre ces enfans, devoient être absolues et ne recevoir aucune exception. En conséquence, la question, suivant eux, étoit de savoir s'il convenoit au Législateur de placer auprès de ces dispositions exclusives ou prohibitives la facilité de les éluder, en permettant aux pères et mères d'adopter leurs enfans naturels.

La négative ne leur paroissoit pas douteuse, et elle ne pouvoit pas l'être dans cette manière de voir.

(1) Procès-verbal du 16 frimatre an 10.

ce

* Je sais que dans la séance du 27 brumaire an 11, M. Treilhard a dit : « L'inconvénient de couvrir les avantages qu'un père veut faire à ses enfans naturels, n'a rien de réel. En effet, si les enfans sont reconnus, ils ne peuvent être adoptés; s'ils ne le sont pas, leur origine est incertaine. Pourquoi, d'ailleurs, l'auteur de leurs jours seroit-il privé de réparer en quelque manière le vice de leur naissance »! ( Voyez tome II, page 183.) La fin de cette opinion annonce assez que son auteur n'applaudissoit pas au droit rigoureux qu'il supposoit exister; mais il lui étoit permis de se tromper sur les intentions du Conseil d'état, puisqu'il n'avoit pas assisté aux séances où la question avoit été examinée. En effet, les discussions que je viens de rapporter ont eu lieu les 16 frimaire et 4 nivôse an 10: or, M. Treilhard n'est devenu Conseiller d'état qu'environ neuf mois aprės. Sa nomination est du 27 fructidor an 10.

Ils disoient avec raison: Ou les prohibitions et les exclusions sont inutiles, et alors il faut les abolir ouvertement; ou elles sont nécessaires, et alors le Législateur se met en contradiction avec lui-même, lorsqu'il offre un moyen de les éluder. S'il veut être conséquent, il doit interdire formellement l'adoption des enfans naturels reconnus, et prévenir celle des enfans non reconnus, en défendant d'adopter tout individu dont l'origine n'est pas certaine.

Il étoit impossible de combattre ces conséquences, si l'on adoptoit le principe. Mais le principe devoit-il être admis? Convenoit-il de rendre les prohibitions et les exclusions absolues, ou falloit-il les faire cesser dans le cas de l'adoption? C'étoit à ces termes que la question devoit être réduite.

En l'envisageant sous ce point de vue, il étoit nécessaire de se reporter aux motifs qui avoient fait établir les exclusions, et de bien fixer le résultat qu'on avoit voulu obtenir; car si l'on atteignoit ce but en permettant l'adoption des enfans naturels, on devoit la permettre toute rigueur inutile est nécessairement injuste.

Quel étoit donc l'objet des prohibitions?

cc

Avoient-elles été établies en haine des enfans illégitimes? II étoit impossible de ne pas les rendre absolues. Mais la loi, en privant les enfans naturels de la capacité de succéder, ne vouloit pas punir sur ces infortunés les fautes de leur père » *.

Qu'avoit-elle donc voulu?

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**.

Faire respecter les mœurs et la dignité du mariage Pour arriver là, il suffisoit de ne plus attacher la successibilité à la qualité d'enfant naturel : « donner aux bâtards la capacité de succéder, ce seroit offenser les mœurs » *** et le mariage; car ce seroit assimiler en tous points ces enfans aux enfans légitimes..

• La législation antérieure leur accordoit ces avantages exorbitans =

* Le Premier Consul, voyez ci-dessus, page 306. — ** Ibid. — *** Ibid.

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il falloit donc la détruire; et c'étoit aussi le seul effet qu'on avoit desiré obtenir. par la disposition qui, refusant aux enfans. illégitimes le titre d'héritiers, réduisoit leurs droits à une simple créance sur la succession de leur père s

*

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Mais on pouvoit s'en tenir là sans aller jusqu'à interdire l'adoption des bâtards.

Vouloir que la qualité d'enfant naturel empêchât d'en acquérir une autre qui donne la successibilité c'étoit se montrer trop sévère s **

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<< Les mœurs, en effet, ne sont plus outragées, si la capacité de succéder leur est rendue indirectement par l'adoption » ***, c'est-àdire, à un autre titre que celui d'enfant naturel. bil vr-15% D'un autre côté, la justice a aussi ses droits. Or, « « le moyen ingénieux de faire succéder les enfans naturels comme enfans adoptifs, concilie la justice et l'intérêt des mœurs » ****. « Il seroit heureux que l'injustice de l'homme qui, par ses déréglemens, a fait naître un enfant dans la honte, pût être réparée sans que les mœurs en fussent blessées » *****; que « cet homme pût réparer ses torts, en faisant sortir d'une famille l'enfant que ses désordres y auroient introduit » (1).

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Et qu'on ne dise pas que la facilité de donner par l'adoption à ses enfans naturels les droits des enfans légitimes, détournera du mariage. Déjà cette considération, qu'on avoit aussi mise en avant

(1) Le Consul Cambacérés, Procès-verbal du 6 frimaire an 10.

* M. Berlier et M. Regnaud (de Saint Jean-d'Angely), voyez ci-dessus, pages 310 et 311. -** M. Berlier, ibid., page 310. - Nota. Le rapporteur lui-même, tout en proposant, au nom de la Section, d'interdire l'adoption des enfans naturels reconnus, en convenoit, Il observoit que la Section ne présentoit cet article que par condescendance, et pour écarter l'objection tant de fois répétée par les adversaires de l'adoption, que cette institution étoit un moyen d'éluder les prohibitions prononcées contre les bâtards. *** Le Premier Consul, voyez ci-dessus, page 306. — **** Ibid. ***** .Ibid.

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TIT. VIII. CH. I.er pour faire interdire l'adoption aux célibataires, a été victorieusement détruite *. Ajoutons aux réflexions qui l'ont fait écarter, que le calcul qu'on suppose est hors de toute vraisemblance dans le système qui ne permet l'adoption qu'à ceux qui ont atteint l'âge de cinquante ans. Comment se persuader qu'un jeune homme s'éloignera du mariage, dans l'espoir très - incertain de pouvoir, lorsqu'il sera parvenu à un âge plus avancé, c'est-à-dire, vingt, vingt-cinq, trente ans après, se donner pour enfans et pour héri

tiers les fruits malheureux de ses désordres ?

L'intérêt des mœurs et du mariage étant à couvert, que restet-il à opposer?

Sera-ce l'intérêt des héritiers légitimes?

Il ne peut être pris en considération qu'autant qu'il s'identifie avec celui du mariage, seul objet des exclusions.

Il faudra donc assurer une juste préférence aux enfans légitimes, parce qu'encore une fois, si les fruits malheureux d'un commerce illicite pouvoient venir partager avec eux la succession du père commun, l'union formée sous les auspices de la loi n'auroit plus aucun avantage sur l'union criminelle que la loi réprouve.

Mais l'intérêt des enfans du mariage est mis hors d'atteinte, par la disposition qui ne permet l'adoption qu'à ceux qui n'ont pas de descendance légitime **.

On objectera qu'après l'adoption l'adoptant peut devenir père. Cet événement n'est sans doute pas impossible; mais il sera très-rare, avec la précaution que le Législateur a prise, de reculer la faculté d'adopter jusqu'à l'époque où l'on ne peut plus ordinai rement espérer de voir naître des enfans du mariage : le Législateur lui-même l'a pensé ***. Or, les dispositions des lois ne doivent pas

* Voyez pages 279 et suiv. - ** Voyez l'article 343, page 285 et pages 292 et suiv. *** Voyez page 290.

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