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en tous cas, étoit susceptible de varier. Quelle frêle garantie, pour un bien aussi précieux, que le glorieux titre de François !

Ce titre a toujours pu se perdre par l'expatriation; mais qu'est-ce que l'expatriation (1)? Aucune loi n'en déterminoit les indices et les caractères; et dès-lors l'arbitraire pouvoit priver de la qualité de François celui qui ne méritoit pas de la perdre, ou la laisser à celui qui l'avoit lâchement abjurée.

Cependant la qualité de François ne doit pas être perdue sans retour : l'humanité veut qu'on ouvre une porte au repentir, l'intérêt de l'Etat, qu'on rende à la patrie ses enfans, forsqu'ils reviennent sincèrement à elle; mais la prudence exige qu'on les soumette à des conditions, à des épreuves (2). Ici rien n'étoit fixé, et il a fallu créer toutes les règles.

II

La matière Des Absens n'étoit qu'ébauchée. On ne s'entendoit même pas sur le mot absent. Les lois des 24 août et 6 octobre 1790, et 11 février 1791, l'avaient employé sans le définir; la jurisprudence n'en déterminoit pas l'acception, ou plutôt elle lui donnoit des acceptions différentes (3); et de ce vague, de ces incertitudes, résultoit pour les citoyens une alternative de dangers. Si l'on se hâtoit trop, il étoit possible que l'œil d'une curiosité inquiète, pénétrât dans les affaires d'une personne qui ne fût pas véritablement absente; si l'on agissoit avec trop de circonspection et de lenteur, on s'exposoit à laisser périr les affaires d'un absent véritable. On a donc été forcé de définir l'absent : ce n'est pas celui qui se trouve seulement éloigné de son domicile; c'est celui dont on n'a pas de nouvelles, et duquel, pour cette raison, l'existence devient incertaine (4).

(1) Voyez titre De la Jouissance et de la Privation des Droits civils, tome I.”, pages 241 à 255. — (2) Ibid., pages 255 à 257. —(3) Voyez titre Des Absens, ibid., pages 532 et 533 -(4) Ibid., page 535.

Cette définition, cependant, n'écartoit pas tous les dangers. Si la disparition est encore récente, il est possible qu'elle ne soit pas réelle; on devoit donc attendre que le temps en fixât les caractères, avant que d'en tirer des conséquences rigoureuses. C'est ce qui a produit la distinction, aussi ingénieuse que nouvelle, des absens en absens présumés et en absens déclarés, et toutes les sages dispositions dont elle est la base (1).

On pourroit croire que la matière Du Mariage devoit donner moins de peine au Législateur. Un contrat qui a existé dans tous les temps, ne pouvoit être parvenu jusqu'à nous, qu'accompagné de règles qui en déterminassent la forme, les conditions, les effets.

Mais combien n'étoit-il pas nécessaire de remonter aux premiers principes pour juger ces règles, pour retrancher ou rectifier celles qui étoient fausses ou imparfaites, éclaircir et développer celles qui étoient obscures, ajouter celles qui manquoient; tout approfondir, tout coordonner, et arriver à un système exact et complet? Qu'on lise, par exemple, les discussions sur l'âge où le mariage est permis (2), sur les cas où il y a erreur sur la personne (3), sur le mariage des enfans naturels (4), sur l'empêchement résultant de la parenté collatérale (5), sur les dispenses (6), sur le mariage contracté dans l'étranger (7), sur la validité des mariages secrets et in extremis (8), sur les divers effets que doit avoir chaque nullité, suivant la nature de la cause qui la produit (9), et même sur toute la partie des nullités (10), sur les obligations qui naissent du mariage (1 1), sur les droits et les devoirs des époux (12); qu'on lise toutes ces discussions, dis-je, et l'on sera convaincu que les élémens qu'on avoit,

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(1) Voyez titre Des Absens, tome 1.′′, pages 536 à 543. —(2) Voyez titre du Mariage, tome II, pages 22 à 31. (3) Ibid. (4) Ibid., pages 99 à 103, , pages 47 à 60. (5) Ibid., pages 112 à 118. — t) lbid., pages 31 et 32, et pages 119 à 127. - (7) Ibid., pages 148 à 156. (8) Ibid., pages 184 à 193. — (9) Ibid., pages 195 à 206.-(10) Ibid., pages 210 à 306.- (11) Ibid., pages 306 à 333. — (12) Ibid., pages 334 à 373.

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mélange confus du droit romain, du droit canon, du droit établi par les ordonnances, de la jurisprudence des arrêts et de l'opinion des docteurs, n'offroient aux esprits attentifs qu'un amas de principes ébauchés, sans liaison entre eux, souvent controversés

encore.

Quant au divorce, on ne pouvoit s'empêcher de le maintenir; la liberté des cultes le réclamoit; je l'ai prouvé (1).

En le conservant, il falloit l'organiser. La législation existante avoit fait du divorce une institution subversive du mariage (2). Le Législateur devoit donc créer une législation nouvelle et ne pouvoit la prendre que dans son propre génie.

Ici les difficultés se sont multipliées. On marchoit entre la double crainte de retomber dans les abus de la législation antérieure, ou de resserrer tellement la faculté du divorce, qu'elle ne fût pas accordée dans tous les cas où elle est réellement nécessaire, ou que même on ne la perdît dans le fait, alors qu'elle existeroit dans le droit (3).

Tout a été concilié; mais ce n'est qu'après de longues et pénibles méditations qu'on est arrivé à ce système si sage, où le divorce n'est accordé que pour le petit nombre de causes déterminées qui détruisent évidemment, dans leur essence, les rapports que le mariage doit établir entre les époux (4); où, d'un autre côté, le consentement mutuel permet aux époux de masquer ces causes même, d'en faire valoir d'autres, qui, sans être moins sérieuses, ne devoient pas néanmoins être indistinctement admises (5), où cependant le divorce, par consentement mutuel, n'est accordé qu'après des épreuves longues et capables de lasser la légèreté (6), qu'après des

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tentatives réitérées de conciliation bien propres à calmer l'effervescence d'un premier mouvement (1), qu'au prix de sacrifices tellement énormes, que personne n'y voudra souscrire s'il n'y est contraint par les raisons les plus graves (2). ́!

Le titre De la Paternité et de la Filiation jetoit dans des embarras d'une autre nature.

درار.

L'ancienne législation s'étoit bornée à consacrer le principe que l'enfant a pour père celui que le mariage désigne; mais, ce principe, elle ne l'avoit pas organisé. On n'y trouvoit que doutes et opinions diverses sur les motifs du désaveu, sur le temps où il devoit être proposé, sur les caractères de la possession d'état, &c (3).

Relativement aux enfans naturels, cette législation étoit tout-àla-fois injuste envers ces malheureuses victimes du déréglement et en contradiction avec l'intérêt public.

Elle vouoit les bâtards à l'opprobre, à la misère, au crime, qui en est la suite, et en faisoit ainsi le fléau de la société. Et cependant, sous d'autres rapports, elle étoit trop refâchée; car, en admettant la recherche de la paternité, elle troubloit le repos des familles, livroit le citoyen le plus vertueux aux całomnies et aux spéculations de viles prostituces, et donnoit ainsi une prime au désordre.

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La législation nouvelle s'étoit jetée dans l'excès contraire: en plaçant les enfans naturels au niveau des enfans légitimes, elle trahissoit l'intérêt des mœurs et du mariage. Mais, d'un autre côté, elle les servoit et assuroit la paix des familles en repoussant la recherche de la paternité.

Voilà donc encore le Législateur lancé au milieu des perplexités, obligé d'inventer un système nouveau.

(1) Voyez titre du Divorce, tome III, pages 274 à 309.- (2) Ibid., pages 327 à 332. — (3) Voyez titre de la Paternité et de la Filiation, tome IV, pages 3 à 89.

Il f'a heureusement trouvé :

La recherche de la paternité est interdite (1);

La loi ne donne jamais aux enfans naturels les titres honorables qui ne doivent distinguer que les enfans légitimes, mais elle leur rend un père (2); ils ne sont pas entièrement exclus de la succession paternelle, mais ils n'y ont qu'une part déterminée, et de sévères prohibitions empêchent la tendresse indiscrète des auteurs de leurs jours de franchir ces limites (3).

De toutes les matières du Code, l'Adoption étoit assurément la plus neuve.

Les Romains pratiquoient l'adoption; mais l'adoption des Romains ne pouvoit convenir à nos habitudes. Il n'est pas étonnant que le changement de famille ne répugnât pas à un peuple où le père pouvoit vendre ses enfans; mais parmi nous la nature a repris ses droits, et un système nouveau devenoit nécessaire.

A travers de combien d'hésitations et de tâtonnemens on est enfin parvenu à cette sage organisation que l'adoption a reçue! L'adoption attache l'adopté à l'adoptant par des nœuds bien plus étroits que ceux par lesquels une simple libéralité attache l'obligé au bienfaiteur (4),

L'adopté n'abjure pas son père ni sa famille; il conserve tous les droits que la nature et la loi lui donnent à leur protection et à leurs biens (5).

L'adoptant à jamais exclu de la succession de l'adopté, ne peut se l'attacher par aucun autre intérêt que celui de la bienfaisance. La légèreté, qui suit de près le repentir, ne peut entraîner à une adoption indiscrète; il y a des épreuves (6).

(1) Voyez titre De la Paternité et de la Filiation, tome IV, pages 203 à 212. — (2) Ibid., pages 223 à 229. (3) Ibid. (4) Voyez titre De l'Adoption, pages 327 et 328. — (5) Ibid., pages 328 à 330. — (6) Ibid., pages 339 et 349.

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ibid..

Le

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