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Mais les plaintes redoublent, les dénonciations affluent au cabinet du juge d'instruction. Un journaliste vient lui dénoncer le caractère résolument obscène et ignoble d'une revue, et lui exprimer son étonnement et son indignation en présence de son inaction.

Le juge d'instruction invite le journaliste à s'adresser à des témoins honorables et désintéressés qui, après avoir assisté à une représentation, se présenteraient spontanément à son cabinet et lui feraient une relation exacte de la représentation.

Ainsi dit, ainsi fait. Le juge d'instruction, après avoir entendu trois spectateurs, amis du journaliste, est convaincu qu'il est de son devoir, s'il ne veut pas se laisser duper, de payer de sa personne et de faire une descente au théâtre.

La descente exige des précautions spéciales pourempêcher que l'éveil ne soit donné et que les traces du délit, les pièces à conviction essentielles ne disparaissent.

Il faut donc que le juge d'instruction manœuvre avec une rare stratégie, sinon le livret de la pièce lui échappera, et l'issue de l'instruction sera fortement compromise, quoique l'existence de l'infraction semble hors de doute.

Il y a deux livrets manuscrits : l'un aux mains du souffleur. C'est le plus important, car il indique seul de quelle façon la revue est effectivement jouée. L'autre est aux mains du directeur du théâtre.

La saisie des livrets, surtout du livret du souffleur, ne permettra plus aux prévenus de nier.

Il faut encore constater dans quels costumes certaines actrices paraissent en scène. Les témoins entendus ont déclaré au juge d'instruction que ces actrices se trouvaient à certains moments en scène dans des attitudes obscènes. Les maillots doivent être saisis.

Le juge d'instruction, accompagné d'un magistrat du Parquet et de policiers, se rend au théâtre au milieu de la représentation. Il faut qu'il agisse rapidement et énergiquement, sans perdre un moment.

Très courageusement, très crânement, il s'avance lui-même en scène et donne l'ordre aux policiers qui l'accompagnent d'enlever le livret des mains du souffleur. Impossible d'agir autrement: un moment d'hésitation et le livret est escamoté.

Il reste à saisir les maillots, pièces à conviction absolument nécessaires. Il s'agit de maillots dits « académiques », donnant l'illusion parfaite de la nudité. La saisie ne peut se faire au théâtre même. Si le magistrat autorise les actrices à se rendre dans leurs loges, elles s'empresseront de substituer d'autres maillots à ceux qu'elles portent; le juge sera berné.

Il ordonne de les conduire en voiture au bureau de police voisin où la saisie peut être aisément opérée. Les policiers estiment qu'il est plus pratique, pour ne pas attirer l'attention du public attroupé dans la rue, de parcourir à pied le trajet très court qui sépare le théâtre du commissariat. En cours de route, une des actrices, gouailleuse, réclame une voiture et quand l'officier de police lui propose d'en faire venir une, elle refuse ironiquement.

Au bureau de police, les deux actrices donnent au magistrat quelques explications au sujet de la façon dont elles se tiennent en scène, sans devoir le moins du monde mimer leurs rôles.

Une des artistes, une étrangère, sans résidence fixe dans le pays, est placée sous mandat d'arrêt par application de l'art. 1er de la loi du 20 avril 1874 sur la détention préventive. Il est nécessaire, en effet, de faire un exemple et l'expérience prouve que l'exemple est salutaire. Deux jours plus tard, elle est mise en liberté.

Quant à la revue elle-même, personne n'ose la défendre. Émaillée de scènes d'érotisme et de mots d'une invraisemblable crudité, elle dépasse vraiment tout ce que l'on a vu au théâtre jusqu'à ce moment.

La descente a complètement réussi, grâce à la perspicacité et à l'énergie du juge d'instruction.

Mais l'auteur de la revue est un journaliste ! La colère de ses amis ne connaît plus de bornes. Par esprit de corps, par une solidarité mal comprise, un certain nombre de journalistes attaquent vivement le magistrat instructeur et s'efforcent de le ridiculiser. « Magistrat de guignol..., rancunes personnelles..., rétablissement de la censure..., etc... »

Le juge d'instruction apprend ainsi un détail qu'il ignorait complètement. Le compère de la revue fait quelques remarques, fort anodines d'ailleurs, au sujet de certaines saisies de livres pornographiques opérées deux ans auparavant par ce magistrat et dont celui-ci est le premier à rire quand il parcourt les livrets saisis.

Mais admettons qu'il connaisse ce détail, a-t-il le droit de se récuser et de passer la main à l'un de ses collègues ?... Evidemment non, car il dépendrait ainsi d'un auteur roublard d'obliger les magistrats, dont il redoute l'intelligence et l'énergie, à se récuser, en les mettant en scène.

Le directeur du théâtre demande au magistrat s'il peut continuer à jouer la revue. Le juge répond: « Oui, à vos risques et périls. » Mais les livrets sont saisis... La saisie est nécessaire dans l'intérêt de l'instruction... Les acteurs connaissent leurs rôles par cœur... Rien n'est plus aisé que de continuer à jouer la revue... Mais la leçon a été salutaire, on n'ose plus... La censure n'a rien de commun avec tout cela.

La moralité de l'histoire est fort simple. Quelqu'un a dit : « Le public estime qu'il a seul le droit d'exercer la critique...; cette critique suffit; il ne faut pas celle de l'autorité. >>>

On le connaît, ce public! C'est celui que M. le substitut Granié, devant le tribunal correctionnel de la Seine, flétrissait naguère si éloquemment du haut de son siège, à la neuvième chambre correctionnelle du tribunal de la Seine, au cours d'une poursuite où les prévenus tentaient de se couvrir du prétexte de « vision d'art ».

La réponse est aisée: le magistrat est obligé de par la loi d'intervenir dès qu'il estime qu'une infraction est commise. Il n'a pas le droit de s'inquiéter des conséquences de la poursuite que ses fonctions lui imposent.

Obligé d'agir, il doit éviter de pécher par excès de naïveté et de se laisser duper et berner comme à plaisir.

S'il va de l'avant avec intelligence et vigueur, il a pour lui l'opinion des honnêtes gens. Celle des autres doit lui être profondément indifférente.

NOTE. Jamais la lutte contre la pornographie dans le livre, l'image, l'affiche, au théâtre, et contre la prostitution sous toutes ses formes n'a été plus vive et mieux organisée. Aux indications de la Bibliographie ci-dessus, Adde: la Traite des Blanches aux Etats-Unis, Clunet 1910, p. 469 avec les références, et les notes des p. 474 et 476. - Confér, internat., De la répression des publications obscènes. Paris, mai 1910, Imp. Nationale.

Mais l'Aphrodite Pandemos n'est pas au nombre des divinités dont Gustave Flaubert, dans sa Tentation de Saint-Antoine, fait défiler les théories humiliées et vaincues. La « Pandemos » à la vie dure. Entre elle et ses louables adversaires, la victoire reste indécise.

O. R.

DE LA NÉCESSITÉ D'UNE CONVENTION INTERNATIONALE POUR RÉGLEMENTER LA CHASSE OU LA PÊCHE AUX PHOQUES

SOURCE:

A FOURRURE

Henri de VARIGNY, Revue des Sciences. Journ. des

Débats, 18 août 1910.

BIBLIOGRAPHIE - V. Clunet, Tables générales, III, vo Arbitrage international, p. 130; - et IV, vo Pêche-pêcheur, p. 400. - H. Fromageot, L'arbitrage de la mer de Behring, Clunet 1894, p. 36 et s. La destinée des phoques à fourrure vient d'être remise à l'ordre du jour par une note que publie une revue anglaise.

Il y a, dans le Nord, trois espèces de ces phoques, toutes trois du genre callorhinus, habitant l'île Robben, les Kouriles, les Commander et les Pribiloff.

Durant l'hiver, elles habitent l'océan Pacifique. Au printemps, les phoques se mettent en route pour les îles en question par des voies plus ou moins définies: ils y arrivent en juin, et les femelles mettent bas; aussitôt après vient la saison reproductrice. Les phoques sont polygames: chacun se fait un harem de quelque 50 femelles, sauf les jeunes célibataires qui, n'ayant pas les vertus guerrières requises, se groupent ensemble, à l'écart des troupeaux.

Si la chasse ne se faisait que dans les îles énumérées plus haut, il serait aisé de ne point porter atteinte à l'espèce en ne donnant la chasse qu'à ces célibataires. Malheureusement, on donne la chasse au phoque un peu partout en mer, autour des îles' notamment, ce qui fait qu'on tue des mères parties pour chercher de la nourriture pour le jeune. Autant de mères tuées, autant de jeunes condamnés à mourir de faim, par conséquent.

Ce n'est pas tout, malheureusement. Il est entendu que la Compagnie américaine qui a le monopole de la chasse aux Pribiloff ne peut prendre que 15.000 peaux par an, rien que des peaux de jeunes célibataires. Mais il y a le braconnage.

Les Indiens de la côte nord-ouest capturent des phoques en pleine mer depuis un temps immémorial: ci, 6.000 ou 7.000 individus. Les pires braconniers toutefois sont les civilisés: les Américains et les Canadiens surtout qui, depuis de longues années, se livrent à la chasse pélagique. Il est vrai qu'en 1886 une saisie de vaisseaux canadiens provoqua des négociations qui aboutirent au traité de Paris de 1893, en vertu duquel, entre autres résultats, les gouvernement anglais et américain mirent fin à la chasse pélagique dans la mer de Bering de mai à juillet (époque reproductrice) et à la chasse en tout temps à moins de 60 milles géographiques des Pribiloff.

Pourtant la chasse pélagique ne fit que s'accroître ailleurs; et comme elle tuait beaucoup de femelles, les espèces se réduisaient toujours davantage.

Elles continuent à se réduire d'autant plus que depuis quelques années un nouvel agent de destruction est apparu. C'est le Japonais. Les Japonais n'ont point adhéré à l'arbitrage de Paris; ils chassent donc tant qu'ils veulent aux Pribiloff en dehors de la limite de 3 milles.

Il y a donc trois législations: l'américaine interdit formellement aux Américains la chasse pélagique ; l'anglaise la permet aux Anglais à plus de 60 milles du Pribiloff; la japonaise enfin la permet aux Japonais partout dès qu'ils opèrent à plus de 3 milles du rivage. La conséquence est que l'industrie canadienne tombe à peu de chose, au lieu que la japonaise est très prospère. Ce qui n'est pas du tout prospère, c'est le monde des phoques à fourrure.

Pour maintenir les espèces, va-t-on voir les Américains se jeter sur le Japon ? Il serait plus sage de se mettre d'accord par voie diplomatique. Mais quand même l'Angleterre, les Etats-Unis et le Japon conviendraient d'une législation uniforme, interdisant absolument la pêche pélagique, le problème ne serait pas résolu; il ne le sera que par une convention internationale générale. L'opinion américaine est très montée: témoin le bill qui a été adopté à l'unanimité par le Congrès, mais arrêté par le Sénat, d'après lequel si le gouvernement ne réussissait pas à obtenir une législation générale, pouvant protéger les phoques, il devrait prendre des mesures pour le massacre intégral de ceux-ci au Pribiloff. C'est extrême comme procédé, mais on conçoit l'irritation des Etats Unis à voir que leurs efforts pour conserver les phoques ne servent qu'à engraisser les chasseurs japonais.

La question est évidemment complexe.

Abolir les chasses pélagiques serait interdire la chasse aux Canadiens et aux Japonais.

D'autre part, une convention entre les Etats-Unis, le Japon et le Canada ne suffirait pas; puisque des vaisseaux d'autres nations pourraient, au détriment des trois Puissances et

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