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Cette argumentation, cependant, ne me paraît pas convaincante. Il est très vraisemblable, certain même si l'on veut, que le législateur de 1905 n'a pas pensé établir une règle nouvelle, ni trancher une question controversée en matière de nationalité. Il a accepté, comme étant la véritable interprétation du Code civil, la solution donnée par le décret de 1889; mais par cela même qu'il a accepté cette interprétation, il lui a donné la force légale qui lui manquait. Peu importe que le motif de la loi soit erroné, si le sens en est certain. Or, en ce qui concerne les individus soumis au recrutement, je crois tout à fait contraire à la loi de 1905 d'admettre, dans le cas où leurs parents auraient renoncé pour eux à la faculté d'option, qu'ils pourraient l'exercer une fois sous les drapeaux. S'ils sont traités comme définitivement Français, relativement au service militaire, il faut leur reconnaître, sous tous les rapports, la même qualité.

Si la loi de 1905 a rendu légale la renonciation faite en leur nom, il serait illogique de distinguer entre les conséquences qu'elle doit produire. Et quant aux personnes qui, en raison de leur sexe, échappent au service militaire, et que, par suite, la loi de 1905 ne concerne pas, il est bien difficile d'admettre que la renonciation, désormais légale pour les autres, ne le fût pas devenue également pour elles'.

Cette interprétation de la loi sur le recrutement avait été soumise à la Cour de cassation parmi les moyens sur lesquels a statué l'arrêt précité du 26 juillet 1905; mais la Cour suprême n'a pas pris parti. La renonciation dont elle avait à apprécier la validité était antérieure à la loi sur le recrutement, qui, n'ayant point d'effet rétroactif, était, en l'espèce, inapplicable.

Mais si, à mon avis, cette loi rendait légale la renonciation à la faculté d'option, elle ne tranchait pas, cependant, la question d'une façon assez évidente pour mettre fin aux difficultés qui s'étaient produites; elle les aggravait même, en greffant une controverse sur une autre. En présence de la décision formelle de la Cour de cassation, la Chancellerie aurait pu renoncer à appliquer le décret de 1889; mais on ne pouvait pas faire abstraction de la loi de 1905. L'intervention du légis

1. Trigant-Geneste, La nouvelle loi française du 21 mars 1905 et le droit international privé (Rev. de dr. intern. pr., 1905, p. 99 et s.

lateur était nécessaire pour mettre un peu de lumière dans ces ténèbres c'est ce que s'est proposé de faire la loi du 5 avril 1909.

:

Aux termes de l'art. 1 de cette loi, il est ajouté à l'art. 20 du Code civ. un § 2, ainsi conçu :

Quand les personnes désignées à l'art. 8, § 10, auront, au nom d'un mineur, renoncé à la faculté qui lui appartiendrait à sa majorité, dans le cas de l'art. 8, § 3 et 4, de l'art. 12, § 3, et de l'art. 18, de décliner la qualité de Français, celui-ci ne sera plus recevable à user de cette faculté ».

L'art 2 règle ensuite des questions transitoires: il sera expliqué plus loin.

La loi a donc consacré le système adopté par le décret du 13 août 1889. Dans tous les cas où un individu, étranger d'origine, mais déclaré Français par la loi, a le droit d'abdiquer cette qualité dans l'année qui suit sa majorité, son père, sa mère, et, à défaut des père et mère, son tuteur autorisé du conseil de famille, sont admis à renoncer pour lui, pendant sa minorité, à ce droit d'option. Leur déclaration, il aurait peut-être été utile de le dire, sera faite dans les formes prévues par l'art. 9 et devra être, à peine de nullité, enregistrée au ministère de la justice: c'est la règle pour toutes les déclarations relatives à la nationalité.

Il était difficile, sans doute, d'abandonner une pratique déjà vieille de vingt ans, et remontant même plus haut par son origine, sanctionnée deux fois par le législateur, lors de la ratification du traité franco-belge et dans la loi de 1905, et dont la suppression aurait porté atteinte aux intérêts des mineurs eux-mêmes; mais il faut reconnaître que le système ainsi adopté d'une façon définitive modifie gravement, au moins sur un point, celui qu'avait suivi la loi de 1889. Cette loi, en

1. Pourquoi cette disposition a-t-elle été ajoutée à l'art. 20 du Code civ. plutôt qu'à un autre? Probablement parce que l'art. 20 n'ayant qu'un paragraphe, on a vu moins d'inconvénient à l'allonger un peu. Il n'y en a pas moins là un défaut de méthode. L'art. 20 décide que l'acquisition de la nationalité française n'a pas d'effet rétroactif; il n'a aucun rapport avec la renonciation au droit de la décliner. La règle nouvelle aurait été, semble-t-il, mieux à sa place après le 2° de l'art. 17, qui prévoit précisément l'abdication de la nationalité française, dans les cas prévus parles art. 8, 12 et 18.

effet, avait conféré d'office la nationalité française à l'enfant de l'étranger naturalisé; elle souhaitait qu'il la conservât, mais elle n'avait pas voulu la lui imposer, et elle l'avait laissé entièrement libre d'opter lui-même, suivant son intérêt, entre l'ancienne et la nouvelle nationalité de son père. Or que devient cette liberté, si le père peut renoncer d'avance au droit d'option reconnu à l'enfant ? Désormais, c'est au père et non à l'enfant que le choix appartiendra, et dans de semblables conditions, il aurait été aussi simple, et peut-être plus rationnel, de décider, comme l'ont fait beaucoup de législations étrangères, que l'enfant mineur de l'étranger naturalisé deviendrait irrévocablement Français.

On a répondu que, s'il plaisait à cet enfant d'abandonner la France, «< il pourrait toujours, par la voie de la naturalisation, devenir le sujet d'une nation étrangère1». Il n'est pas besoin de beaucoup d'attention pour s'apercevoir que cette réponse passe à côté de la question. Autre chose est l'option pour la nationalité étrangère, qui est un droit pour l'enfant, et qui efface, dans le passé, la nationalité française; autre chose la naturalisation, faveur accordée par un Gouvernement étranger, que l'enfant ne sera pas toujours certain d'obtenir, et qui lui enlèvera la qualité de Français pour l'avenir seulement, et la laissera subsister dans le passé avec toutes ses conséquences. D'ailleurs, et surtout, lorsque l'enfant réunit les conditions requises pour l'exercice du droit d'option, il lui sera précisément impossible d'obtenir la naturalisation. dans le pays même d'où il est originaire et dont son père a abandonné la nationalité. L'enfant, en effet, ne peut abdiquer la nationalité française que s'il a conservé la nationalité étrangère (art. 8-4°); et s'il l'a conservée, comment pourrait-il l'obtenir par la naturalisation? Lorsque les parents auront, au nom de l'enfant, renoncé au droit d'option, il aura bien pu garder leur nationalité primitive; probablement même la plupart des lois étrangères ne tiendront aucun compte de cette renonciation; mais il n'aura aucun moyen de perdre la nationalité française, à moins cependant de se faire naturaliser dans un pays autre que celui de ses parents, ce qui n'a plus, évidemment, aucun rapport avec le droit d'option.

Il y avait, cependant, un moyen de concilier les intérêts en

1. Rapport au Sénat, par M. Vidal de Saint-Urbain.

présence et de permettre à l'enfant de renoncer, par avance, au droit d'option, sans lui enlever la liberté de son choix : c'était de décider, comme autrefois la loi des 16-23 décembre 1874, que l'enfant ferait lui-même cette renonciation, avec l'assistance de ses représentants légaux. La proposition en avait été faite devant la commission du Sénat; elle fut repoussée parce qu'il était difficile de « fixer à quel âge et dans quelle forme pourrait intervenir le mineur' ». Raison peu décisive. Le mineur aurait fait en personne la déclaration requise dans la même forme qu'un majeur, sauf que le consentement du père, de la mère ou du tuteur y aurait été mentionné. Il aurait suffi, d'ailleurs, d'autoriser cette renonciation à 18 ans, âge de l'engagement dans l'armée ou de l'admission dans les Ecoles, ou, si l'on veut, à 16 ans, âge de l'entrée à l'Ecole navale. Le mineur est alors à même de comprendre la portée de ses actes, et auparavant il n'a pas grand intérêt à être définitivement investi de la nationalité française. Il est permis de regretter que ce système n'ait pas prévalu. A la vérité, l'art. 9, dont les principes régissent désormais la renonciation au droit d'option, admet que le mineur est représenté dans les déclarations de nationalité et ne les fait pas lui-même; mais on aurait pu modifier une fois de plus cet article, ou bien adopter une règle spéciale pour la renonciation au droit d'option.

En autorisant, dans l'avenir, les parents du mineur à renoncer pour lui au droit de décliner la nationalité française, la loi du 5 avril 1909 n'a cependant pas fait disparaître toutes les difficultés.

Dans les cas prévus par les art. 8-3°, 12 et 18 du C. civ., la situation est simple. L'enfant né en France d'un étranger qui y est né, celui d'un étranger naturalisé ou d'un ex-Français réintégré, est Français dès sa minorité. La renonciation au droit d'option fait défaillir la condition résolutoire dont sa nationalité était affectée; ils se trouve donc, dès l'instant où elle a été faite, irrévocablement Français. Il n'en est pas de même dans l'hypothèse de l'art. 8-4°. L'enfant né en France d'un étranger qui n'y est pas né ne devient Français que s'il est domicilié en France à sa majorité. Jusque là il est étran

1. Rapport précité de M. Vidal de Saint-Urbain.

ger' et il ne peut devenir Français que si ses parents réclament en son nom cette nationalité. Quelle serait donc sa condition, si ses parents avaient réclamé pour lui la qualité de Français, sans renoncer au droit d'option, ou si, au contraire, ils avaient renoncé au droit d'option, sans réclamer la qualité de Français ? En pratique, sans doute, cela arrivera rarement, puisque la formule dont la Chancellerie a adopté le modèle réunit la réclamation de la nationalité et la renonciation au droit d'option. La loi, cependant, n'oblige nullement le père ou le tuteur à faire les deux à la fois. S'il ne souscrivait qu'une partie de la formule, en en supprimant la clause de renonciation, cette déclaration serait parfaitement légale, et la Chancellerie ne serait pas fondée à en refuser l'enregistrement. Le mineur deviendrait alors Français; pourrait-il décliner cette nationalité après sa majorité ? J'ai déjà dit que, à mon avis, la loi de 1889 ne lui laissait pas cette faculté; mais, on le verra plus loin, la loi nouvelle est manifestement favorable à l'interprétation contraire. Si donc on l'admet, il faudra décider que, malgré la réclamation faite en son nom, le mineur, en l'absence d'une renonciation formelle, n'aura pas perdu le bénéfice du droit d'option.

Il peut arriver aussi que la renonciation au droit d'option se soit produite, bien qu'il n'y ait pas eu une réclamation valable de la nationalité française. Les deux déclarations, en effet, sont réunies dans la même formule, mais elles n'auront pas nécessairement le même sort. Le Gouvernement peut refuser, pour cause d'indignité, d'enregistrer la réclamation de la nationalité française, mais ce refus ne s'appliquera pas à la renonciation au droit d'option; bien que concomitante, elle est cependant logiquement distincte de cette réclamation, et la loi ne prévoit nulle part qu'elle puisse être paralysée par le veto du Gouvernement. Le mineur ne sera donc pas devenu Français; la renonciation faite en son nom n'aura aucune conséquence immédiate, elle sera purement éventuelle; son effet ne se produira que si, à sa majorité, le mineur est domicilié en France. A cette époque, au lieu de devenir Fran

1. Le rapport présenté au Sénat paraît croire et même dit formellement que, dans cette hypothèse, comme dans les trois autres où s'exerce le droit d'option, « le mineur est Français, jusqu'à sa majorité, provisoirement ». C'est là, pour le cas de l'art. 8-4°, une erreur certaine.

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