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Grâce à ces précautions, grâce aussi au désir d'entente qui n'a cessé d'animer les Gouvernements et leurs délégués, le but poursuivi a été atteint.

D

La plupart des problèmes examinés ont été résolus. Et leur solution est d'une portée exceptionnelle. Au début, on n'était pas d'accord sur le caractère des règles qu'on allait s'efforcer d'arrêter devaient-elle être des stipulations conventionnelles applicables dans les seuls rapports des parties contractantes ou bien des formules interprétatives de la coutume, ayant, comme elle, une portée générale? On avait suggéré d'inscrire dans une Déclaration les règles conformes au droit existant et de faire rentrer dans une Convention additionnelle les règles qui viendraient modifier ou compléter la coutume. Mais lorsque la Conférence eut terminé ses travaux, son embarras fut grand. Si l'on voulait tenir compte de toutes les nouveautés de détail, la plupart des règles pratiques auraient dû rentrer dans la Convention complémentaire et il ne serait resté pour la Déclaration que l'énonciation vague de certains principes généraux. Il parut préférable d'insérer toutes les règles dans une Déclaration, en constatant qu'elles «< répondent en substance, aux principes généralement reconnus du droit international (disposition préliminaire), et en s'engageant à s'y conformer dans le cas d'une guerre où les belligérants seraient tous parties à la Déclaration (art. 66). Cecil est d'un avantage considérable. Dans les rapports des signataires, les règles posées seront obligatoires et s'imposeront à la Cour des prises, au double titre d'expression de la coutume et de stipulations conventionnelles. La Déclaration a une durée indéfinie et ne peut être dénoncée qu'à la fin d'une première période de douze ans ou à la fin de périodes succes. sives de six ans (art. 69). Mais sa dénonciation n'atteindrait que le caractère conventionnel de ses règles, qui n'en continueraient pas moins d'avoir une valeur coutumière. Enfin en cette dernière qualité, elles pourront être développées, le cas échéant, par la Cour des prises. A l'égard des Puissances non représentées à la Conférence, la Déclaration produira également des effets étendus. Elle est ouverte à leur adhésion que le Gouvernement britannique est chargé de provoquer (art. 70). Il y a tout lieu d'espérer qu'elle aura la même fortune que la Déclaration de Paris, qui a fini par être universellement acceptée. Les tiers reconnaîtront l'avantage

que présente le remplacement d'usages mal définis par des dispositions précises arrêtées d'un commun accord par les principales Puissances maritimes. Ils seront d'autant plus portés à adhérer à la Déclaration qu'ils ne pourront pas échapper complètement à ses effets en n'y adhérant pas. Jusqu'à leur adhésion, il leur sera sans doute théoriquement possible de soutenir que telle règle n'est pas une expression fidèle de la coutume. Mais si leur prétention triomphe, il en résultera que la Cour des prises aura à statuer d'après les principes généraux du droit et de l'équité. Et il est vraisemblable que ses juges, représentant en majorité des Etats signataires de la Déclaration, reconnaîtront que la règle, écartée comme expression de la coutume, s'impose à eux comme principe d'équité. Grâce à la Cour, la Déclaration aura donc, en fait, une portée générale. Ainsi, par un curieux enchaînement d'efforts, après avoir provoqué la réunion de la Conférence et contribué à son succès, la Cour assurera l'application pratique et la propagation universelle de son

œuvre.

En dépit des lacunes qu'elle laisse subsister dans le droit maritime, la Déclaration de Londres réalise une grande et belle réforme. Les Puissances maritimes se sont élevées audessus des préoccupations particulières pour essayer de concilier, sur la base de l'intérêt commun, de manière équitable et pratique, les droits des belligérants et ceux du commerce neutre. Pour y parvenir, il leur a fallu, sur bien des points, compléter la coutume et se faire des concessions mutuelles. En comparant les règles adoptées aux pratiques nationales, on peut constater que les concessions de chacun ont été rachetées par les concessions équivalentes d'autrui. Si bien que les règles établies ne sauraient être appréciées ni acceptées isolément. Solidaires les unes des autres, elles forment un ensemble indivisible qui garantit l'uniformité du droit (art. 65). Par là, sont rendues vaines les critiques de détail que paraîtrait mériter telle règle prise à part.

Pour l'Angleterre, promotrice de la Conférence, la question dont le règlement offrait un intérêt vital était celle de la contrebande des vivres. Depuis le premier Empire, l'idée que l'ennemi pourrait tenter de l'affamer a toujours hanté le peuple anglais. Tributaire de l'étranger pour les quatre cinquièmes de son blé et pour près de la moitié de sa nourriture

en viandes, beurre, etc., ne pouvant avoir, au début d'une guerre, des disponibilités en vivres pour plus de dix-sept semaines, l'Angleterre serait infailliblement réduite par la famine si ses ravitaillements étaient entravés. Depuis qu'elle est moins assurée de conserver la maîtrise des mers, elle se préoccupe vivement de ce danger et demande au droit la garantie dont la force défaillante de ses flottes pourrait la priver. Faute de pouvoir obtenir la suppression totale de la contrebande, elle se contente d'une règle qui, en reléguant les vivres dans la contrebande conditionnelle, n'en permettrait la saisie que lorsqu'ils sont manifestement destinés aux usages de la guerre. Ainsi, les ravitaillements de la population civile demeureraient libres. C'est en substance la solution que consacre la Déclaration de Londres. Mais aussitôt que ses termes ont été connus, des voix se sont élevées dans la presse et au Parlement pour en critiquer la fragilité. La Déclaration ne présume-t-elle pas que les vivres ont la destination hostile qui les rend saisissables, lorsqu'ils sont adressés à une « place servant de base aux forces armées ennemies » ? Le rapport général n'explique-t-il pas que par « base» on doit entendre aussi bien la base de ravitaillement que la base d'opérations. La formule n'est-elle pas assez large pour que l'ennemi puisse considérer les ports anglais les moins militaires, Liverpool, Southampton, Hull ou Newcastle, comme bases de ravitaillements des forces britanniques? Sir Edward Grey a répondu aux Communes, le 7 avril dernier, que la Déclaration a le grand avantage de mettre désormais hors de doute que les vivres ne pourront jamais être considérés comme contrebande absolue. En rendant leur saisie plus difficile, elle réalise un progrès dont l'efficacité pratique sera assurée par le contrôle de la Cour des prises, tribunal essentiellement neutre.

Sans doute, cette garantie ne vaudra jamais celle de la suprématie militaire. La prudence conseille aux Etats de maintenir leurs forces intactes, malgré la confiance qu'ils doivent avoir au droit, parce que le droit peut être violé par un adversaire peu scrupuleux. Néanmoins la garantie juridique n'est pas à dédaigner. Elle corrobore utilement la garantie militaire en doublant les dangers que l'ennemi aura à vaincre pour entraver les ravitaillements non interdits.

On peut donc considérer que la Déclaration de Londres répond suffisamment aux désirs du Gouvernement britannique,

comme à ceux des autres Puissances maritimes. En diminuant dans une grande mesure l'incertitude du droit, elle fait tomber la principale objection qu'avait rencontrée l'établissement de la Cour des prises. C'est ce qu'a reconnu la GrandeBretagne, qui, le 1er mai dernier, a fini par signer la Convention de La Haye '.

Une autre objection a été soulevée au cours de la Conférence. On a fait valoir les difficultés d'ordre constitutionnel qui, dans certains pays, s'opposent à la ratification, sous sa forme actuelle, de la Convention relative à la Cour des prises. Tribunal d'appel, statuant sur la validité des captures, la Cour peut mettre à néant les décisions rendues par la juridiction du capteur. Or aux Etats-Unis, par exemple, la Cour suprême juge en dernier ressort le Gouvernement américain ne saurait, sans déroger à la lettre de la Constitution, admettre par traité la possibilité d'un appel international pouvant aboutir à l'annulation de ses arrêts. Pour tourner la difficulté, on proposait de dire que lorsqu'on aura à se plaindre des décisions rendues dans des pays dont la Constitution est analogue à celle des Etats-Unis, on formerait devant la Cour internationale, au lieu d'un appel contre la décision, une demande en indemnité à raison de l'illégalité de la capture; la Cour statuerait de novo, et si elle jugeait la prise illégale, elle allouerait une indemnité à la partie lésée; de cette manière, tout en respectant les décisions nationales, on atteindrait le but essentiel de l'établissement de la Cour des prises, en permettant à l'intéressé d'être protégé contre les décisions injustes des tribunaux nationaux. La Conférence a cru devoir signaler, dans son procès-verbal de clôture, l'avantage qu'il y aurait à arriver à cet égard à une entente. Pour atteindre ce résultat, il faudra modifier la Convention de La Haye de manière à permettre aux Gouvernements de faire, en ratifiant, une réserve portant que le droit de recourir à la Cour des prises contre les décisions de leurs tribunaux se présentera comme une action directe en indemnité. Une entente entre tous les Etats signataires de la Convention de La Haye sera nécessaire pour réaliser cette réforme. C'est sans doute pour permettre aux Puissances d'arrêter cet accord que le dépôt

1. V. la déclaration de sir Ed. Grey aux Communes, le 24 juin 1909, Times du 25 juin.

des ratifications de la Convention de La Haye, primitivement fixe au 30 juin 1909, a été ajourné en juin 1910 '. Mais il y a lieu d'espérer que l'entente finira par s'établir et que rien ne s'opposera plus à l'établissement définitif du premier organe permanent de justice internationale.

N. POLITIS,

Professeur à la Faculté de droit de Poitiers.

Les Sociétés étrangères en Roumanie 2.

La condition juridique des Sociétés étrangères en Roumanie est réglementée par les art. 237 à 251 du Code de commerce de 1887, modifiés par la nouvelle loi du 6 avril 1900. Antérieurement à la promulgation de cette dernière loi, les Sociétés étrangères étaient soumises à des conditions très rigoureuses. Elles devaient déposer une caution qui variait de 250.000 à 300.000 francs et leurs opérations pouvaient être contrôlées par le Gouvernement. Celui-ci pouvait encore imposer la création d'un comité composé au moins de deux membres domiciliés dans le pays, adjoint au représentant de la Société. Le Gouvernement pouvait même retirer l'autorisation.

Cet état de choses dura jusqu'au printemps de l'année 1900. En 1899 éclata la crise financière. L'opinion publique crut et avec juste raison que le danger qui menaçait le pays était dù, au moins en partie, aux vices et aux lacunes de la législation commerciale existante qui avaient empêché l'entrée dans le pays de capitaux considérables nécessaires aux différentes entreprises industrielles. Le savant jurisconsulte M. Dissesco, ministre de la Justice, présenta en 1900 le projet de loi voté par le Corps législatif et qui modifia le régime sévère auquel étaient soumises les sociétés étrangères.

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Sociétés légalement constituées à l'étranger qui veulent établir en Roumanie une succursale. La première catégorie des sociétés étrangères comprend celles qui, légalement cons

1. V. la déclaration précitée de sir Ed. Grey.

2. Par décret du 17 décembre 1908 (texte, Clunet 1909, p. 594), les socié tés roumaines sont admises à exercer tous leurs droits et à ester en justice en France.

Une réciprocité de traitement est assurée aux Sociétés françaises en Roumanie. V. Clunet 1909, p. 888. N. DE LA RÉD.

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