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pouvoirs du Roi. Mais, à la différence de ce qui avait été proposé au Congrès de 1831, ce n'est plus l'assentiment des Chambres qu'il faudrait, mais le consentement du Roi, en sa double qualité de chef de la famille royale et de chef de l'Etat.

Le mariage contracté sans le consentement requis ne peut produire d'effets de droit public; toutefois, le prince qui aurait contrevenu à la disposition pourrait être relevé de sa déchéance de ses droits à la couronne (Constitution, art. 60, §§ 2 et 3o).

Quelles ont été les raisons de cette disposition nouvelle ? Elles sont expliquées dans l'exposé des motifs :

« Le mariage des princes intéresse la nation »; semblable mariage pourrait être imprudent, impolitique, inconsidéré, il faut pouvoir empêcher les conséquences fâcheuses qui pourraient s'en suivre pour le pays.

:

On explique la restriction apportée au droit des princes de se marier selon leur volonté par le privilège de leur situation des droits spéciaux entraînent des devoirs spéciaux ; on distingue donc entre les effets de droit civil et de droit public que pourrait produire le mariage: ce changement ne visait personne, particulièrement.

Il résulte des débats à la Chambre, que l'on s'est placé au point de vue de l'intérêt national dans un sens restreint : la sécurité de l'indépendance du pays : « La Constitution ne devant garantir que les intérêts de la nation qui pourraient être compromis par une alliance impolitique. »

Mais la question de l'intérêt national est, à notre sens, plus large elle comporte également des sentiments de confiance dans ceux qui sont destinés à régner. A cet égard, une femme peut avoir une grande influence, bonne ou mauvaise, sur le Roi et sur l'éducation de ses enfants.

Le pays, jusqu'à présent, n'a jamais connu de mariage royal, dans le sens réel du terme, impolitique ou scandaleux, mais en droit, rien ne peut empêcher le Roi d'agir à sa guise.

Dans l'état actuel de notre législation, un prince, héritier présomptif du trône, qui ne descendrait pas directement du Roi régnant, qui se verrait soumis à des devoirs spéciaux, exposé à des restrictions à sa liberté de citoyen, qui aurait conquis la sympathie et la confiance du peuple, pourrait être éliminé par un enfant mâle issu d'un mariage tardif et peut être inconsidéré du Roi.

La paix intérieure de la Belgique pourrait alors être troublée par des compétitions au trône.

La lacune qui existe dans la Constitution ne devrait-elle pas être comblée ? Une solution qui concilierait les intérêts de la monarchie et du pays ne s'impose-t-elle pas ?

Toutes les Constitutions des Etats monarchiques d'Europe consacrent les règles de l'hérédité au trône seuls les PaysBas et l'Espagne soumettent, par une disposition constitutionnelle, le mariage du souverain lui-même au contrôle du pouvoir législatif.

Les usages relatifs aux demandes en mariage, à la signature des contrats, aux mariages par procuration, etc., diffèrent d'après les Cours et d'après les circonstances.

Il est enseigné théoriquement que, même entre princes régnants, le choix des époux ne dépend que du libre vœu des fiancés, et qu'en exceptant les cas rares de traités, ou ceux d'une promesse de mariage déjà faite, les Puissances tierces n'ont pas le droit de gêner ce choix; mais en fait les considérations politiques font parfois surgir des complications.

Enfin, quoiqu'il soit rare que des rois épousent des bergères on enseigne généralement que le cas d'une mésalliance n'offre point aux Cours étrangères le droit de se refuser à reconnaître les époux ou les héritiers qui en sont issus.

A cet égard encore, le chef monarchique d'un Etat puissant aura plus d'indépendance qu'un roitelet.

Le principe constitutionnel, général, de l'égalité des citoyens devant la loi n'empêche pas les inégalités sociales; mais un souverain se doit à son pays, et à sa dynastie : le danger, à notre avis, est qu'il puisse recourir aux règles du droit privé.

Il appartient à chaque pays de déterminer le statut politique des membres de familles souveraines.

Jacques CHAPEL,

Avocat du Barreau de Bruxelles.

1. Pradier-Fodéré, Dr. intern. public, t. III, éd. 1887, p. 479, n° 1553.

QUESTIONS ET SOLUTIONS PRATIQUES

Inondation.

Assurance. Société étrangère. Statuts. Engagement de l'agent de la société « ultra vires » des statuts.

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QUESTION 182. En cas d'inondation, l'assuré a une Compagnie étrangère dont les statuts ne prévoient pas ce risque spécial, mais dont l'agent a affirmé que ladite société couvrait un pareil dommage, est-il fondé à en réclamer le montant à son assureur?

A la fin de janvier 1910, les inondations ont ravagé le bassin de la Seine et Paris en particulier2. Par suite de la persistance des pluies, la crue du fleuve principal et de ses affluents, la Marne, l'Yonne, le Loing, etc., a, presque subitement, dépassé les prévisions les plus pessimistes.

Le fléau a pris des proportions que la France n'avait pas connues depuis trois siècles 3. Au Pont-Royal, la cote de la Seine a marqué 9 m. 10; depuis 1658, cette hauteur n'avait pas été atteinte.

1. V. Clunet, Tables générales, III, v° Assurance, p. 161; — et IV, v Société d'assurance, p. 718.

2. V. Paris dans l'eau, les inondations pendant les journées des 2631 janvier 1910, 50 vues photographiques. Paris, Allin Michel, éd. 0 fr. 75. La Seine dans Paris, 64 vues. Paris, la Carte nouvelle, 1910.

3. Maurice Champion, Les inondations en France depuis le vi siècle jusqu'en 1864, Paris, Dunod, 6 vol. in-8; prix 45 fr. M. C. Le Chalas, vo Inondation, Grande Encyclopédie, t. 20, p. 816.

1

Adde: G. Dupont-Ferrier, Paris inondé et ses quais, Journ. des Débats, 29 janvier 1910. · Paul Dupuy, Paris et son fleuve, Revue de Paris, mars 1910. G. Bood, Crues de la Seine, Correspondant, 10 mars 1900. A. Paulowski, Les Crues de Paris (vie au xx siècle). Paris, Berger-Levrault, in-12, 1910, 2 fr. 50.

4. En février 1658, sous Louis XIV, se produisit une des crues les plus terribles qu'enregistre l'histoire de la Seine. Les eaux atteignirent la hauteur de 9 m. 81 cent., calculée à l'échelle actuelle du Pont-Royal. Si une pareille crue s'était produite en janvier 1910, elle aurait couvert, en tenant compte des surélévations progressives du sol, tout le quartier des Champs-Elysées et le quartier Saint-Lazare.

En 1195, le roi de France (Philippe-Auguste) qui habitait alors, sur l'emplacement de notre Palais de justice actuel, fut contraint de fuir la Cité devant la crue de la Seine et de se réfugier, dans le royaume des Etudiants, sur la montagne Sainte-Geneviève.

Il s'en est fallu de peu, le 28 janvier 1910, que le Président de la Répu

La moitié de Paris a été submergée. Grâce aux travaux souterrains de toute sorte (égouts, chemins de fer, métropolitains, canalisations variées), les eaux du fleuve débordé se sont frayé un chemin jusqu'au centre de la Capitale. L'infiltration des eaux dans les usines, dans les caves des édifices ont paralysé la plupart des services publics; les moyens de transport, l'éclairage électrique ou au gaz, le chauffage, le ravitaillement même de l'immense Cité se sont trouvés, un instant, compromis.

Des ruines sans nombre se sont accumulées dans la Ville et dans sa banlieue usines dévastées, immeubles effondrés, mobiliers détériorés ou enlevés par les eaux, etc. Le commerce a été un instant ralenti,!; plusieurs théâtres ont dû fermer; des voies publiques sont devenues impraticables; c'est à l'aide de bateaux que dans plusieurs quartiers les habitants ont pratiqué l'entrée et la sortie de leurs demeures ; des blocs de maisons, cernés par le débordement, sont devenus de véritables îles, etc. En Province, des inondations ont ravagé les vallées du Rhône, de la Loire, etc.

La France a été frappée d'un deuil national 2. Cependant il ne faut rien exagérer; la Martinique en 1902, San Francisco en 1907, Messine en 1908 ont subi de plus terribles aventures. D'ailleurs, le propre des Français est de réagir contre le malheur. Leur caractère laborieux, leur entrain, leur élan ont toujours raison des épreuves qu'ils traversent. Ils croient au prompt retour des jours meilleurs; et l'avenir a souvent récompensé leur foi.

De toutes parts, on travaille avec une bonne volonté inlassable et un zèle industrieux à réparer les maux que les élé

blique (M. Armand Fallières) ne fut obligé d'abandonner le Palais de l'Elysée, devant l'invasion de la Seine, qui recouvrait déjà une partie des Champs-Elysées. Le président Fallières aurait eu pour excuse, on le voit, l'exemple d'un grand Roi:

Regis ad exemplar totus componitur orbis.

1. Un décret du 5 février 1910 a, dans les départements atteints par les inondations, prorogé de 20 jours les délais des protèts et des actes destinés à conserver les recours en matière de valeurs négociables (Journ. officiel, 6 février 1910).

2. L'Economiste français (février 1910) évalue à un demi-milliard de francs les pertes entrainées par les inondations de 1910.

ments ont infligés aux hommes et aux choses'. Une loi du 11 février 1910 porte ouverture au Ministre de l'Intérieur et des Cultes sur l'exercice 1910 de crédits provisoires de 20 millions pour secours aux victimes des inondations de 1910 (Journ. offic., 12 février 19102). Le Parlement a voté la constitution d'une Caisse de prêts de 100 millions ayant le même objet (V. texte, Sénat, J. off., 18 mars 1910, p. 670). Du train dont on applique le remède, il n'y aura plus trace du mal, à bref délai.

Les eaux se sont retirées; les fleuves rentrent dans leur lit, mais ce qui demeure, ce sont les nombreuses questions de droit issues de ce bouleversement 3. On énumère déjà les difficultés qui surgiront à raison des immeubles envahis par les eaux, entre propriétaires et locataires, et entre ceux-ci et l'Administration. Un grand quotidien de Paris a organisé une agence d'affaires spéciale qu'il recommande à ses lecteurs de la façon suivante: « Comme il est à prévoir que le désastre engendrera de nombreux procès, le [ici, le nom du journal], met à la disposition des personnes lésées en cette circonstance les services de son contentieux. >>

La Chambre syndicale des propriétés immobilières de la Ville de Paris adresse à ses adhérents une Circulaire en date du 7 février 1910, signée des noms honorables des membres de son Conseil d'administration; elle donne des conseils sous une rubrique intitulée « Mesures en vue d'une action judiciaire », qui débute comme suit : « Un certain nombre de propriétaires dont les immeubles sont dégradés ou menacés de dégradations auront à se demander si, en dehors des cas fortuits, il n'y a pas des responsabilités encourues. La cons

1. Par décret du 5 février 1910, il a été instituée, auprès du Ministre de l'Intérieur, une Commission chargée de rechercher les causes des inondations récentes et de leur soudaineté, d'étudier et de proposer les moyens propres à empêcher le retour de pareille calamité ou tout au moins à en diminuer l'intensité, ainsi que toutes les mesures susceptibles d'assurer, en cas d'inondation, le fonctionnement normal des services publics (Journ. officiel, 10 février 1910).

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2. Il y a des précédents : Ordonn. des 25-26 oct., 1er, 21 nov. 1846, D. P., 46, 3, 6 et 7.

3. V., sur les responsabilités encourues par les grandes administrations, E. Drumont, Les premières visites, la Libre Parole, 7 février 1910, et les nombreux articles des Quotidiens du mois de février 1910. 4. H. Lenoble, De l'influence des inondations sur les rapports des propriétaires et des locataires, entre eux et avec l'administration, la Loi, 4 février 1910.

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