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solliciter ces mesures provisoires du juge régulier qui eut été compétent en l'absence de clause compromissoire. C'est ce qu'a décidé la Cour de Douai d'abord, et sur pourvoi la Cour de cassation 1.

Cette solution sera surtout utile en matière commerciale, où l'on n'admet généralement pas la compétence du juge des référés 2. En matière civile elle le sera moins fréquemment, puisque en cas d'urgence les intéressés pourraient toujours saisir la juridiction des référés, dont la compétence toute spéciale n'est pas atteinte par la clause compromissoire.

5) L'incompétence des tribunaux réguliers qui résulte de la clause compromissoire n'est pas d'ordre public, puisqu'elle est conventionnelle. Elle serait donc couverte par la renonciation même tacite des plaideurs, et doit être invoquée par conséquent in limine litis 3; postérieurement il serait trop tard.

Observons en terminant que ces restrictions apportées aux conséquences de la clause compromissoire constituent comme le revers de la médaille en regard de la facilité avec laquelle nos juges admettent sa validité. Ceiles-là comme celle-ci résultent de son caractère conventionnel. S'il est permis aux parties de se procurer, par le libre effet de leur volonté, les avantages d'une juridiction de leur choix, il leur appartient d'étendre sa compétence autant qu'il leur est utile, et de se prévaloir en temps opportun des droits nés de leurs stipulations.

E. H. PERREAU,

Professeur à la Faculté de droit de Montpellier.

Les étrangers et la nouvelle loi française du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles 1.

I.

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APPLICATION DE LA LÉGISLATION INTERNE DE LA FRANCE QUANT A LA PROTECTION EN CE PAYS DES DESSINS ET MODÈLES CRÉÉS A L'ÉTRANGER.

La législation française sur les dessins et modèles de fabrique était uniquement constituée, jusqu'à ces dernières

1. Douai, 7 avril 1902, et Cass., 21 juin 1904, Clunet 1904, p. 888. 2. Garsonnet et Cézar-Bru, op. cit., VIII, § 2989, p. 290 s.

3. Paris, 8 nov. 1865, S., 66.2.117 (1 espèce).

4. Sur la loi du 14 juillet 1909, V. Pouillet, Traité des dessins et modèles, éd. Taillefer et Claro, Paris, Marchal et Godde (annoncé en

années, par une loi de circonstance, celle du 18 mars 1806, qui, édictée en vue des dessins de soierie de l'industrie lyonnaise, avait reçu, au cours du XIXe siècle, une extension considérable. A l'imitation du Conseil des prudhommes de Lyon, d'autres Conseils avaient été créés dans un grand nombre de villes, investis des mêmes attributions, et une Ordonnance royale du 17 août 1825 avait prescrit, pour les fabriques qui n'étaient pas situées dans le ressort d'un Conseil des prud'hommes, un dépôt à effectuer au greffe du tribunal du commerce ou du tribunal civil de première instance. D'autre part, la jurisprudence s'était ingéniée à délimiter le champ d'application de la loi du 18 mars 1806 (étendue par elle, des dessins industriels proprement dits, aux modèles en relief), d'avec celui de la loi des 19-24 juillet 1793 édictée pour la protection de « toutes les productions de l'esprit et du génie. appartenant aux Beaux-Arts ». La nécessité de cette délimitation devint absolument impérieuse à partir du moment où la Cour de cassation consacra définitivement, relativement au dépôt et à ses effets, en matière de dessins et modèles de fabrique, une jurisprudence diametralement opposée à celle qui régissait les œuvres d'art proprement dites. Pour ces dernières, en effet, le dépôt avait un caractère nettement déclaratif; son absence n'influait en rien sur l'existence du droit, lequel dérivait de la création seule et il n'était indispensable de l'effectuer qu'en vue de la validité des poursuites en contrefaçon. Pour les dessins et modèles, au contraire, la Cour de cassation décida, depuis 1850 (et cette jurisprudence, bien que critiquée en doctrine, s'établit de façon inébranlable), que, pour donner droit au bénéfice de la loi de 1806, le dépôt

librairie). V. aussi Marquis (Maurice), La législation protectrice des dessins et modèles, Paris, Giard et Brière, 1909 (thèse); Fournier (Achille), Des transformations de la législation sur les dessins et modèles industriels, Paris, Durand et Auzias, 1908; Chabaud (Georges), Le droit des auteurs, des artistes, et des fabricants, Paris, Marcel Rivière, 1908. Ces deux derniers ouvrages ont paru avant le vote de la loi du 14 juillet 1909, mais postérieurement au vote du projet par la Chambre et ils en contiennent l'examen et la critique.

V. encore, Travaux préparatoires de la loi du 14 juillet 1909, publica tion Annexe des Annales de la Propriété industielle, artistique et littéraire, Paris, Phily, 1909.

Comp. Clunet, Tables générales, III, v Dessins et modèles de fabrique, p. 577, et 1909, 332.

au Conseil des prudhommes devait avoir été effectué avant toute exploitation, d'où, pour la plupart des dessins et modèles, des cas de déchéance très fréquents. La très grande difficulté, on peut même dire l'impossibilité, de différencier l'œuvre d'art protégée par la loi de 1793, du dessin et modèle de la loi de 1806, s'affirma par la multiplicité des systèmes, dont aucun ne satisfaisait l'esprit et entre lesquels les tribunaux hésitèrent toujours à faire un choix. Elle conduisit à une véritable anarchie des plus préjudiciables aux intérêts industriels que lésaient également la perpétuité du droit et l'incertitude sur le point de savoir si la loi de 1806 s'appliquait à tout créateur de dessins ou modèles ou exclusivement au fabricant.

La loi du 11 mars 1902, due à l'initiative et à l'action persévérante de M. Soleau, président de la Réunion des fabricants de bronze, avait apporté une première amélioration à cette situation et donné un commencement de satisfaction à l'art appliqué à l'industrie, en décidant, par interprétation de la loi des 19-24 juillet 1793, que celle-ci protégeait toutes les œuvres appartenant au domaine des Beaux-Arts, « quels qu'en soient le mérite et la destination ». Cependant cette loi n'abrogeait pas expressément celle du 18 mars 1806, d'où la question de savoir si celle-ci subsistait et dans quelles limites. L'incertitude à cet égard devait amener à brève échéance l'intervention législative. Elle se produisit en effet et aboutit à la loi du 14 juillet 1909 qui, entrée en vigueur six mois après sa promulgation, régit en France les dessins et modèles depuis le 19 janvier 1910. Avant de rechercher quelle est, au regard des étrangers, la situation qui résulte de cette loi nouvelle, il est indispensable d'en faire connaître très brièvement les caractères généraux.

Tout d'abord, contrairement à ce que préconisaient certains esprits, elle ne consacre pas encore d'une façon définitive la suppression d'un régime spécial applicable aux dessins et modèles proprement dits et elle n'assimile pas d'une façon complète, nécessairement et dans tous les cas, ces dessins aux œuvres des Beaux-Arts protégés en dehors de tout dépôt. Elle organise, au contraire, un dépôt facultatif auquel pourront recourir les intéressés qui craindraient de ne pas voir leurs productions bénéficier de la protection de la loi de 1793, ou qui seraient désireux de faire constater la date de la

création de leurs dessins ou modèles. Mais la loi de 1909 innove de façon très heureuse, pour ces mêmes dessins et modèles placés par la volonté de leurs auteurs en dehors du droit commun de la loi de 1793-1902, notamment sur les points suivants: 1o elle déclare expressément que c'est la création qui est la base du droit exclusif reconnu à l'auteur du dessin ou modèle, quelle que soit d'ailleurs sa qualité, qu'il soit ou non fabricant; 2o contrairement à la jurisprudence antérieure, elle proclame que le dépôt a un caractère exclusivement déclaratif; qu'il n'est par conséquent utile que pour la poursuite en justice, sans que l'exploitation antérieure ou la divulgation puisse nuire au droit du créateur; 3° elle limite la durée de la protection qui pourra être de 5, 20 ou 50 ans, moyennant des formalités à remplir par l'intéressé, sans pouvoir dépasser cinquante ans et elle organise, dans des conditions qu'elle précise, la publicité des dessins et modèles déposés, publicité facultative pendant les deux premières périodes (5 ans et les 20 années qui suivent) et obligatoire pendant la troisième (de 25 à 50 ans).

1

De cet exposé il résulte, qu'à l'heure actuelle, en France, les productions de l'art appliqué aux dessins et modèles sont protégeables soit par la loi de 1793-1902, soit par celle du 14 juillet 1909. D'un autre côté, la loi de 1806, bien qu'abrogée, produit encore ses effets, d'une part pour les dépôts de cinq ans effectués sous son empire et non expirés, et, d'autre part, pour les dépôts perpétuels dont la validité se trouve réduite à cinquante ans. Il résulte de là que, pour apprécier les droits des étrangers en matière de dessins et modèles, il faut envisager la situation au regard de chacune de ces diverses lois :

1o Du cas où le créateur étranger d'un dessin ou modèle ne se prévaut pas de la loi de 1806 ou de celle de 1909 et se réclame

1. Il y a lieu de remarquer que le législateur de 1909 s'est volontairement abstenu d'employer l'expression antérieurement employée de dessins ou modèles de fabrique. Des amendements présentés par M. Vallé devant le Sénat en vue de rétablir cette dénomination dans les art. 1, 3, 7, 28 1er et 13, ont été retirés par leur auteur, qui a compris que ce serait réduire la portée de la loi nouvelle et ouvrir la porte à une appréciation des tribunaux sur le point de savoir si les dessins ou modèles étaient ou non de fabrique. V. Travaux préparatoires, p. 135.

seulement de la loi de 1793-1902 '. La loi de 1793 ne parle pas des étrangers. Après avoir dit que « les auteurs d'écrits en tous genres, les compositeurs de musique jouiront du droit exclusif de vendre, faire vendre leurs ouvrages » elle ajoute que « tout citoyen qui mettra au jour un ouvrage de littérature ou de gravure... sera obligé de déposer, etc... ». La question se posait de savoir si, par interprétation de ce texte, les étrangers avaient droit à la protection. Elle était diversement résolue. Pour les uns, le droit de l'auteur sur son œuvre était un droit purement civil, réservé, aux termes de l'art. 11 du Code civil, à l'étranger admis à domicile ou dont le pays reconnaissait ce droit à nos nationaux. Pour d'autres, l'expression de citoyens était générale et englobait les étrangers au même titre que les Français. On admettait généralement que la protection de la loi ne s'appliquait cependant qu'aux œuvres publiées pour la première fois en France, la publication à l'étranger faisant tomber l'œuvre dans le domaine public. Mais certains auteurs allaient plus loin et enseignaient que la propriété litléraire et artistique était au dehors et au-dessus des lois civiles, et qu'à moins d'une disposition formelle excluant les étrangers. ceux-ci devaient bénéficier de toutes les dispositions légales qui en assuraient en France la protection 2.

Le décret du 28 mars 1852 3, mettant fin à ces controverses, a accordé sans conteste aux auteurs étrangers, littérateurs ou artistes, la protection de la loi, même au cas de publication effectuée hors du territoire français. Le seul point considéré c'est la création, en quelque lieu d'ailleurs qu'elle se soit pro

1. V. Louis Renault, De la propriété littéraire et artistique au point de vue international, Clunet 1878, p. 117 à 138 et 454 à 477; Fliniaux, Essai sur le droit des auteurs français et étrangers en France et des auteurs français en pays étrangers, Paris, Thorin, 1879, et Clunet 1878.328; Dumas, Droit des auteurs et des artistes dans les rapports internationaux, 1887; Chavegrin, Notes et renseignements relatifs à la propriété littéraire et artistique : ch. VII, le Droit d'auteur dans les relations internationales, Clunet 1907, p. 294 à 301.

2. V. Renault, loc. cit., p. 119 et s., sur les divers systèmes en présence; V. Pouillet, Traité de la propriété littéraire et artistique, édit. G. Maillard et Claro, no 839 et s.; Gustave Huard, Traité de la propriété intellectuelle, t. I, no 169.

3. « La contrefaçon sur le territoire français d'ouvrages publiés à l'étranger et mentionnés en l'art. 425 Code pén., constitue un délit, »

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