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duite. Ce décret exige seulement que l'auteur étranger remplisse les formalités prescrites par la loi au Français, par exemple celle du dépôt préalable à la poursuite. Le décret de 1852 comporte sur un autre point une interprétation au sujet de laquelle plusieurs opinions se sont manifestées. C'est celui de savoir si la protection accordée à l'étranger en France n'est pas subordonnée à cette condition que, dans le pays d'origine, l'œuvre constitue une propriété, un droit exclusif au profit de son auteur, autrement dit, s'il ne faut pas s'abstenir de reconnaître à l'étranger ne publiant pas son œuvre en France, plus de droits sur notre territoire qu'il n'en posséderait dans son propre pays. En faveur de cette dernière solution il y a lieu de faire remarquer qu'il eût été, de la part du législateur français, d'une générosité vraiment excessive d'assurer en France protection à toutes les œuvres étrangères sans considérer si elles sont protégées dans leur pays d'origine et si, par suite, celles des auteurs français y bénéficieraient d'une protection identique à celle de la loi française. L'interprétation contraire ne reçoit-elle pas un démenti catégorique du fait des conventions qui, postérieurement à 1852, sont intervenues entre la France et divers pays pour améliorer la situation qui y était faite aux auteurs français, conventions qui n'assurent en échange aux étrangers que des avantages moindres que ceux conférés par le décret de 1852 libéralement interprété 1. Il semble donc qu'on doive poser en règle que l'étranger qui, dans son pays, met au jour un dessin ou modèle et qui entend réclamer en France la protection pour cette œuvre en vertu des seules lois de 17931902 ne peut le faire que si, dans le pays même où la création a été effectuée, l'œuvre bénéficie de la protection de la loi locale et dans la mesure seulement où elle en bénéficie 2.

1. V. la liste et le commentaire de ces traités dans Renault, op. cit., Clunet 1878, p. 454 et s.

2. V. Renault, loc. cit., Clunet 1878, p. 138. « Admettre que l'étranger 'est protégé comme le Français sans égard aux dispositions de la loi étrangère ce serait, dit l'éminent professeur, une exagération inqualifiable et les termes du décret ne nous forcent pas de l'admettre. Le but essentiel du législateur a été d'écarter ce qu'on peut appeler l'exception d'extranéité; on ne pourra repousser l'accusation de contrefaçon en se bornant à alléguer qu'il s'agit d'une œuvre publiée à l'étranger; mais le législateur n'a pas pu vouloir faire respecter en France un droit qui n'existerait même pas à l'étranger. Si, dans le pays de publication,

2o Du cas le créateur étranger d'un dessin et modèle s'est placé, avant la loi du 14 juillet 1909, sous l'empire de la loi du 18 mai 1806. Il convient d'écarter tout d'abord le cas des étrangers régulièrement autorisés à fixer leur domicile en France. Jouissant de tous les droits civils accordés aux Français, le bénéfice de la loi de 1806 leur était intégralement reconnu. La situation était pratiquement la même pour ceux qui, sans être autorisés à fixer leur domicile en France, у avaient en fait leur résidence. Fabriquant sur le sol français et y exerçant effectivement leur industrie, la loi de 1806, dont le caractère territorial est manifeste, s'appliquait à eux comme aux Français. Une vive controverse s'était élevée au contraire en ce qui concerne les étrangers n'ayant, en France, ni domicile, ni fabrique: controverse analogue à celle que nous avons rappelée ci-dessus à propos de l'interprétatiou de la loi de 1793 antérieurement au décret de 18521, pour les œuvres littéraires et artistiques. Mais la loi du 26 novembre 1873, relative à l'établissement d'un timbre ou signe spécial destiné à être opposé sur les marques commerciales ou de fabrique, avait mis un terme à cette controverse. Cette loi contient, en effet, une disposition à laquelle ni son titre, ni l'objet pour lequel elle était faite, ne permettaient de s'attendre. Son art. 9 règle les conditions d'application aux étrangers des lois touchant le nom commercial, les marques, dessins et modèles de fabrique2, et proclame le système de la réciprocité légale ou diplomatique.

l'œuvre est dans le domaine public pour une cause quelconque, elle doit y être en France. >>>

V. encore, en ce sens: Calmels, De la propriété et de la contrefaçon des œuvres de l'intelligence, n° 409; Weiss, Traité de droit international privé, IV, p. 460 et s.; Gustave Huard, op. cit., no 171; Darras, op. cit., n° 226; Louis Sarrut, Dissertation au Recueil, Dalloz, 1888.1.5, et LyonCaen, Dissertation au Recueil, Sirey, 1888.1.17; Contra: Pouillet, op. cit., n° 853; de Vareilles-Sommières, De la synthèse du droit international privé, t. I, no 805 et 806.

1. Sur le détail de cette controverse, V. Pouillet, Dessins et modèles, 4° éd., no 123; Weiss, op. cit., II, p. 294; Gustave Huard, op. cit., t. I, n° 396.

2. Loi du 26 novembre 1873, art. 9: « Les dispositions des autres lois en vigueur touchant le nom commercial, les marques, dessins ou modèles de fabrique, seront appliquées au profit des étrangers, si dans leur pays la législation ou des traités internationaux assurent aux Français les mêmes garanties. >>>

La loi de 1873 laisse place à l'interprétation sur le point de savoir si l'étranger auquel elle s'applique, c'est-à-dire celui qui n'a point en France de domicile et n'y exploite pas son industrie, peut avoir en France plus de droits que dans son propre pays. Point de doute s'il a effectué le dépôt en France avant de l'effectuer à l'étranger. En ce cas, il jouit des mêmes droits que le dépôt réserverait au Français. Peu importe que le dessin ou modèle ne soit pas protégé dans son pays. Mais, au contraire, s'il opère d'abord le dépôt à l'étranger, le dépôt effectué par lui postérieurement en France, considéré comme la suite ou l'accessoire du dépôt antérieurement effectué à l'étranger, ne pourra avoir d'effet plus étendu que celui-ci. C'est ce qui ressort clairement du texte de l'art. 9 de la loi de 1873: «... Si dans leur pays la législation ou les traités assurent aux Français les mêmes garanties ». N'est-ce pas bien dire que les étrangers seront protégés en France, en dehors de traités spéciaux, dans la mesure seulement des garanties que leurs lois nationales accordent aux Français ? Si donc leur droit vient à disparaître chez eux (de même qu'en semblable circonstance il y disparaîtrait pour le Français), la protection cessera corrélativement en France et le dessin ou modèle tombera dans le domaine public. C'est l'interprétation que la jurisprudence a donné au décret de 1852 et qui concorde pleinement avec le texte de la loi de 1873 2.

La loi de 1873, établissant, à côté et en dehors de la réciprocité diplomatique, la réciprocité légale, donna ouverture à la question de savoir où les étrangers, appelés à bénéficier de cette loi, en dehors de tout établissement industriel en France, devaient effectuer leurs dépôts. Antérieurement, la question était réglée pour les dépôts des dessins et modèles provenant de pays pour lesquels des Conventions diplomatiques, passées avec la France, établissaient un régime de réciprocité en vue de la protection des dessins et modèles, par le décret

1. En ce sens: Vaunois, Traité des dessins et modèles, no 374; Fauchille, Dessins et modèles, p. 304; Contra: Pouillet, Traité des dessins et modèles, 4o éd., no 124; Gustave Huard, op. cit., no 39; Ducreux, Traité des dessins et modèles, no 133

2. V. aussi l'argument tiré de l'art. 6 de la loi du 23 juin 1857 en matière de marques que la loi de 1873 avait pour but principal de réglementer, Pouillet, Traité des marques de fabrique, édit. Taillefer et Claro, n* 326, 333 bis.

du 5 juin 1861. Le lieu du dépôt était le secrétariat du Conseil des prudhommes, à Paris1. Il était logique de décider, qu'au cas de réciprocité légale, c'est au même endroit que le dépôt devrait s'effectuer. C'est ce qui eut lieu en fait, et, par suite de cette formalité, les étrangers eussent pu se croire assurés d'une protection efficace.

On sait cependant que la jurisprudence récente de la Cour de cassation avait restreint singulièrement la portée de la loi de 1873. Tandis qu'aux termes de cette loi il semblait que les étrangers étaient en droit de considérer comme assurée la protection de leurs dessins et modèles par le seul fait qu'une Convention diplomatique liait leur pays à la France, ou, qu'à défaut, la réciprocité légale existait entre les deux nations, la Cour de cassation, interprétant strictement la loi du 18 mars 1806, avait décidé, à propos d'un dépôt effectué par des ressortissants suisses, que le dépôt d'échantillon, prescrit par l'art. 21 de cette loi, devait avoir lieu au secrétariat du Conseil des prudhommes du lieu de la fabrique du déposant. C'était exclure de la protection le créateur de dessin, même Français, qui n'avait point de fabrique en France et, par conséquent, l'étranger qui, dans la même situation, était assimilé au Français.

Cette décision, qui souleva un émoi véritable, aboutit à l'insertion, dans le traité de commerce franco-suisse du 20 octobre 1906, d'une clause, aux termes de laquelle les ressortissants des deux pays contractants seraient dispensés à l'avenir de l'obligation de posséder une fabrique dans l'autre pays pour y jouir de la protection de leurs dessins et modèles au même titre que les nationaux. Cette Convention fut complétée par un décret du 27 juillet 1908 fixant le lieu de dépôt en France des dessins et modèles de fabrique opérés par les Suisses 3.

1. Cette règle cependant comportait des exceptions. Le traité francosuisse du 23 février 1892 (dénoncé en 1892) stipulait le dépôt au Conseil des prudhommes des tissus à Paris; les traités franco-italiens du 29 juin 1862 et franco-autrichien du 11 décembre 1866 stipulaient, par une anomalie bizarre, le dépôt au greffe du tribunal de commerce de la Seine.

2. Paris, 20 mai 1898, Grauer Frey, Clunet 1898, p. 897, et Cass. crim. Rej., 5 février 1905, Clunet 1905, p. 1000.

3. V. Clunet 1909, p. 332. Aux termes de ce décret le dépôt doit avoir lieu au secrétariat des sections du Conseil des prudhommes de Paris, suivant la nature des industries.

Il convient de retenir que la jurisprudence française imposait à l'étranger - à moins d'existence d'une Convention diplomatique — l'obligation, pour obtenir la protection en France de ses dessins et modèles, d'y posséder une fabrique. C'est là une exigence, contraire aux termes de la loi du 26 novembre 1873 et que la loi du 14 juillet 1909, comme nous allons le voir, a définitivement abolie.

3o Du cas où l'étranger entend se placer sous le régime de la loi nouvelle du 14 juillet 1909. La loi nouvelle consacre un article unique aux étrangers. C'est l'art. 13 ainsi conçu :

« Le bénéfice de la présente loi s'applique aux dessins et modèles dont les auteurs ou leurs ayants cause sont Français ou domiciliés en France, ou sont, par leur nationalité, leur domicile ou leurs établissements industriels ou commerciaux, ressortissants d'un Etat qui assure la réciprocité, par sa législation intérieure ou ses Conventions diplomatiques, pour les dessins ou modèles français1. >>

La loi du 14 juillet 1909 ne fait que consacrer le régime de la réciprocité, soit légale, soit diplomatique, telle qu'elle est prévue par l'art. 9 de la loi du 26 novembre 1873. Pourront donc invoquer le bénéfice de cette loi: 1o les étrangers domi.

1. Les travaux préparatoires sont pour ainsi dire muets sur la question. Dans le rapport à la Chambre des députés (Annexe au P.-V. de la séance du 3 avril 1908. La loi du 14 juillet 1909. Publication annexe aux Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, p. 101), M. Prache s'exprime ainsi :

« La loi de 1806 n'accordant sa protection qu'aux fabricants et le dépôt devant être fait, d'après ses dispositions, non pas au Conseil de leur domicile, mais à celui du lieu où se trouve leur fabrique, la jurisprudence a décidé qu'un étranger devait avoir une fabrique en France pour pouvoir invoquer le bénéfice des dispositions de la loi de 1806. L'art. 12 tranche toute difficulté possible dans un sens favorable aux étrangers. Elle leur fait application du principe inscrit dans l'art. 9 de la loi du 26 novembre 1873. Pour pouvoir réclamer la protection de la loi en leur faveur en France, il suffira aux étrangers, qui n'y auraient ni leur domicile ni un établissement industrielou commercial, d'appartenir à un Etat qui, par sa législation intérieure ou ses Conventions diplomatiques, assure la réciprocité aux dessins et modèles français. >>

Le rapporteur au Sénat, M. Lemarié (Journ. off., Annexe au P.-V. de la séance du 17 juin 1909. La loi du 14 juillet 1909. Publication annexe. aux Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, p. 134), se borne à reproduire sans commentaire le texte de l'art 13.

V. aussi Exposé des motifs, art. 10 du projet, Travaux préparatoires, p. 27.

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