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tout à se plaindre de Marc Lefebvre, qui avait monté un atelier et travaillé à la porcelaine en contravention à ses engagements. (1)

Les plaintes des associés n'étaient pas moins vives. La société ne pouvait durer plus longtemps dans de pareilles conditions. On était d'accord pour en demander la dissolution; mais là où on ne s'entendait plus du tout, c'était sur les bases de la liquidation. En même temps, dès la fin de 1776, Peterinck demandait en nom personnel au gouvernement, de renouveler pour un nouveau terme de trente années son octroi exclusif pour la fabrication des porcelaines et faïences, (2) et les deux négociations furent poursuivies simultanément, chacun des intéressés s'efforçant de se rendre la ville et le gouvernement favorables.

Peterinck exposait aux Consaux les difficultés qu'il prévoyait devoir se présenter lors de la dissolution de la société, les priant de servir d'intermédiaire entre ses associés et lui. Ils acceptèrent; tour à tour, Peterinck, Caters et Van Schoor leur adressèrent des mémoires dont ils remettaient copie aux intéressés, les engageant à y répondre. On en produisit de part et d'autre un grand nombre, et ces pourparlers duraient depuis près de quatre ans déjà, sans amener de résultat, quand Peterinck pria le magistrat de Tournay d'envoyer deux députés auprès du gouvernement, à » l'effet d'y solliciter la décision des difficultés entre » lui et ses associés en la dite fabrique de porcelaines, et

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(1) Arch. du royaume. Cons. des finances. Farde 2030. (2) Arch. de Tournay. Consaux. Vol. 275, fol. 130.

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»y opérer par une suite de leur intervention un accom» modement par des moyens justes et raisonnables. (1) Sa demande lui fut accordée plus tard et la ville députa auprès du gouvernement, le conseiller CornetDezau. (2)

Quelles étaient ces difficultés? Elles se réduisaient en définitive à une seule question : la somme que Peterinck aurait à payer à ses associés pour les désintéresser. Ceux-ci réclamaient deux cent quatre-vingt trois mille cinq cents florins, et, convaincus qu'ils traiteraient plus facilement avec Peterinck aussi longtemps qu'il n'aurait pas obtenu de nouvel octroi, ils intriguaient auprès du gouvernement pour qu'il imposât la liquidation préalablement à l'obtention de l'octroi.

Peterinck, se basant sur deux inventaires, l'un du 27 mars 1775, l'autre du 31 mars 1778, avait d'abord offert aux associés cent cinquante-sept mille cinq cent florins, y compris les capitaux qu'ils avaient versés, et plus tard cent quatre-vingt mille, au lieu de deux cent mille florins auxquels ils avaient réduit leur prétention. (3)

Cette dernière offre fut enfin acceptée, et Peterinck promit de s'acquitter en huit paiements qui devaient se faire d'année en année à partir de 1783; un comptable désigné de commun accord, devait surveiller la rentrée des deniers et remplir, au profit des associés, les fonc

(1) Arch. de Tournay. Consaux. Vol. 275, fol. 130. 19 oct. 1779. (2) Ibid. 22 août 1780.

(3) Arch. du royaume. Cons. des finances. Farde 2030.

tions de séquestre. Rien ne s'opposait plus à l'obtention de l'octroi, qui fut accordé par décrets des 20 septembre et 14 octobre 1780.

Etat de la

Il était plus que temps de conjurer la ruine de la manufacture. « Elle n'a que des dettes ou de mauvaises fabrique 1780. << créances » dit un rapport relatif à l'octroi de 1780, (1) jamais elle n'a fait de bénéfices sérieux; les associés » sont continuellement en discussion, et la fabrique est aujourd'hui dans un état très périclitant. Les affaires » de Peterinck sont très délabrées; d'énormes quantités de marchandises fabriquées et de matières premières > se trouvent en magasin et la vente est très faible. »

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Peterinck éprouvait les plus cruels embarras d'argent. Il les confia aux Consaux et les supplia de lui faire une nouvelle avance de vingt mille florins, dont quatre ou cinq mille devaient être fournis dans les vingt-quatre heures, à péril de ruine de la manufacture. Il fallait une foi robuste dans l'intelligence et la capacité de l'industriel pour lui avancer une pareille somme dans la situation où il se trouvait.

La ville n'hésita pas cependant, et, ayant stipulé des garanties, elle paya les dettes de la manufacture. (2)

Elle devait, d'ailleurs, soutenir Peterinck; sa ruine eût rendu inutiles les lourds sacrifices qu'elle avait faits jusque-là en sa faveur; elle eût jeté sur le pavé

(1) Arch. du royaume. Cons. des finances. Farde 2029,

(2) Arch. de Tournay. Consaux, Vol. 276, fol. 2, 8, 10, 11; janvier et février 1780. Voir Documents.

Subsides.

Octroi de 1780.

une foule d'ouvriers que faisait vivre l'usine, et causé grand tort au commerce local.

Tel était l'intérêt porté par la ville à la manufacture, qu'elle demanda l'insertion dans le nouvel octroi, d'une clause déclarant reversibles à son profit les faveurs accordées à Peterinck dans le cas où celui-ci cesserait de fabriquer. Il n'y fut pas fait droit; « cette disposi» tion n'étant pas d'usage, » porte l'avis du Conseil des finances.

L'octroi de 1780 fut accordé à Peterinck en nom personnel; il renouvelle en général les faveurs accordées par l'octroi de 1751, mais restreint le privilège de fabriquer les porcelaines et faïences à l'exclusion de tous autres, à la ville de Tournay, et de là jusqu'à Quiévrain, Saint-Ghislain, Cambron, Ellezelles, jusqu'à l'Escaut, au-dessus de la banlieue de la ville d'Audenarde, et le Tournaisis. » Ce rayon fut étendu par un nouveau décret du 14 octobre 1780, « depuis » la ville d'Audenarde jusqu'à Menin, et les terres de » France du côté de cette dernière ville. » (1)

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Il n'était plus possible d'accorder la fabrication exclusive, de nouvelles fabriques et en particulier celle de Cyfflé, (2) à Bruges, s'étant établies dans les Pays-Bas, et ayant également obtenu des privilèges

(1) Archives de Tournay. Registre aux tailles. Vol. 32, fol. 6-16. Voir pièces justificatives.

(2) Peterinck faillit s'associer avec Cyfflé lorsqu'il vint dans les PaysBas. Mais on ne tomba pas d'accord, et Cyfflé alla se fixer à Bruges. (Arch. du royaume. Cons. des finances. Farde 2030.)

pour
leur fabrication. Ce nouvel octroi était accordé
pour un terme de vingt-cinq ans ; il stipulait que Pete-
rinck devrait régler dans un bref délai avec ses asso-
ciés, et disposait qu'en cas de décès, le privilège
passerait à sa veuve.

Enfin la fabrique conservait le titre de manufacture impériale et royale, et Peterinck était autorisé à choisir une marque pour ses produits. (1)

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Nouvelle asso

ciation.

Une association nouvelle fut constituée pour l'exploi- 4 Période. tation de la fabrique de porcelaines. Elle se composait de Peterinck, G. Macau, Degouy d'Anserœul et J. Josson-Caters.

Josson tenait les livres et la correspondance, achetait et vendait; Macau surveillait tout à la fois la fabrication et la comptabilité; Peterinck avait la direction de tout ce qui concernait la fabrication. C'était l'inventeur, l'homme de génie, débarrassé des soins de l'administration pour laquelle d'ailleurs il avait fort peu d'aptitudes. Le contrat lui interdisait tout négoce ou trafic, << tout son temps et ses soins étant nécessaires à la fabrique disposition qu'il observa bien peu. Messieurs les chefs et conseil de la ville étaient constitués arbitres de toutes les difficultés entre associés, et leur sentence était sans appel.

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Peterinck prélevait, pour sa direction, un sixième des bénéfices il avait en outre quelques légers avanta

(1) Voir aux pièces justificatives.

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