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1589. gresse répandu sur tout ce beau sol de France!

que de chants depuis la joyeuse Provence jusqu'à la fertile Alsace! Si l'on conservait encore quelques formules despotiques, il n'y avait plus de despote; car Louis XVI régnait. La misère était sans doute plus répandue dans les campagnes qu'elle ne l'est aujourd'hui; mais, du moins, elle s'alliait encore avec l'innocence des mœurs, avec les espérances de la religion, et recevait les secours abondans de la charité. Jusques dans les villes, jusques dans la Capitale, les mœurs n'étaient point aussi dépravées qu'avaient. dû le faire craindre les longs scandales de la Gour sous le Régent et sous Louis XV, et une école de matérialisme ouverte depuis un demi-siècle par une fausse sagesse, au profit des faux plaisirs. Nulle corruption n'était encore complète; les esprits n'avaient pas cessé tout-à-fait d'être religieux, puisque les cœurs étaient humains. Les Français, et surtout les Parisiens, hospitaliers avec naïveté, avec enthousiasme, payaient aux étrangers, et surtout aux Anglais, tous les tributs d'admiration qu'on voulait leur imposer. Chez des magistrats ambitieux et contradicteurs opiniâtres de l'autorité royale, il y avait encore rigide équité et souvent

mœurs austères. Des courtisans, moins avi- 1789. des que leurs pères, mais plus futiles, plus inquiets, se faisaient aimer par une séduisante politesse, par les grâces de l'esprit et une bonté facile. L'église de France pouvait citer avec orgueil un grand nombre de prélats charitables, instruits, tolérans et modestes. Le gouvernement, par des fautes multipliées que j'ai retracées dans les volumes précédens de cette histoire; les grands, par leurs intrigues, par leur irréflexion; les parlemens, par une résistance ambitieuse, souvent mal dirigée, toujours mal combattue; enfin toutes les classes lettrées de la nation, par un esprit novateur et présomptueux, avaient compromis tous ces avantages dont quelques-uns ont disparu sans retour. Ce n'est pas que la France n'ait fait, depuis son bouleversement et dans le cours de ses agitations périodiques, des progrès très-marqués dans son agriculture, dans son industrie, dans les beaux-arts, dans les sciences; ce n'est pas que la littérature, tant de fois menacée et même atteinte par la barbarie, ait succombé à ses coups: ne la voyons-nous pas donner plusieurs signes de vigueur et de grâce, et paraître surtout avec les dons brillans de l'imagination? On dira encore moins

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1789. que la gloire militaire nous ait, manqué,

nous qui avons été écrasés de son formidable luxe. On peut aussi convenir que les mœurs des hautes et des moyennes classes se sont épurées; que la religion a repris beaucoup plus d'empire sur les âmes tendres et sur les esprits éclairés; que le matérialisme, attaqué de toute part avec vigueur, avec talent, ne conserve plus quelque force que par sa vieille alliance avec tous les vices qu'il flatte et fomente, et surtout avec l'esprit révolutionnaire. Mais si on eût laissé régner Louis XVI suivant le cours de son âge, et suivant les vœux de l'âme la plus vraiment libérale qui fut jamais; qu'on eût appuyé sa faiblesse, au lieu de l'accabler, tous ces biens ne nous étaient-ils pas naturellement acquis ? N'étaient-ils pas plus assurés, plus constans? Nous en jouirions avec plus d'innocence, avec moins d'alarmes et plus de gaîté. Notre sol n'eût pas été souillé et dévasté par la longue présence du crime , par l'horrible variété de ses combinaisons, par ses triomphes, par les hommages qu'il sut arracher à la faiblesse, et par les honteux vertiges de la peur. L'élite d'une génération n'aurait pas disparu; l'Europe n'eût pas vu périr violemment cinq ou six millions d'individus ; toutes

les capitales des grands états, et surtout la nôtre, auraient conservé intact l'honneur de leur vieille indépendance. Nous ne tremblerions pas à chaque heure de voir le retour de ces jours désastreux. C'est par ce que ce retour annoncé par celui de doctrines funestes excite nos alarmes ; c'est parce que l'assemblée constituante semble en plusieurs points servir de modèle à des peuples voisins, que j'entreprends d'écrire son histoire avec la sévérité que nos dangers demandent, avec l'équité qui seule donne quelque prix au témoignagé de l'historien.

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Les députés aux états-généraux s'approchaient de Versailles, comme les soldats de deux armées ennemies se hâtent de rejoindre leurs corps et leurs généraux pour engager une bataille décisive. Les embarras de finance, cause unique de cette convocation, ne semblaient plus que d'un intérêt mesquin. Les âpres et tranchantes brochures de l'abbé Sièyes avaient fait oublier les longs combats de chiffres de Necker et de Calonne. Les idées s'agrandissaient ou plutôt se perdaient dans une étendue indéfinie. Les uns voulaient élever une constitution sur des ruines immenses; les autres, raffermir sur de vieux fondemens une consti

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Dispositions états-géné

des députés aux

saux,

1789.

tution dont l'existence et l'assiette étaient un problème historique. Pour les esprits même les plus calmes et les plus réfléchis, il devenait évident que nos constitutions an ciennes avaient à la fois besoin d'un correctif et d'un supplément énergique. Le temps avait changé les conditions respectives du tiers-état, du clergé, de la noblesse, du parlement et de l'autorité royale; il fallait obéir au temps, mais il fallait aussi le respecter. Malheureusement on squriait au mot de révolution; on prétendait qu'à l'aide de certaines formules philosophiques, il était facile de faire d'une révolution le plus beau, łe plus gai et le plus innocent des spectacles, de l'établir pour tous les siècles, de l'étendre à tous les peuples; c'était là le genre de crédulité d'un siècle incrédule. M. Necker, qui paraissait présider à ce mouvement, craignait le fracas d'une révolution. Mais comme ses études politiques étaient alors peu vastes, peu mûries, ses plans manquaient de vigueur et de netteté. Il s'était fait d'ailleurs deux articles de foi fort dangereux pour un homme d'état : l'un, que l'opinion publique s'accordait toujours avec les vœux de la sagesse et de la morale ; l'autre, qu'il pouvait tout commander à l'opi

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