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sons, était d'ailleurs irritée d'être soumise au joug d'une majorité qu'elle avait jusque-là tant méprisée. Elle essaya de se relever de sa chute et de reprendre le pouvoir. Elle ne put pas y parvenir le 12 germinal, jour où la fermeté du président Boissy-d'Anglas déconcerta cette minorité turbulente; mais elle vit le 1er prairial avec une fureur et des forces extraordinaires. Les factieux envahirent un moment la Convention, et l'un de nos collègues, Féraud, eut la tête coupée par eux. Ils portèrent cette tête sanglante sur une pique dans la salle même de notre assemblée. Huit ou dix députés, qui avaient fomenté cette insurrection armée, se regardant déjà comme vainqueurs, s'érigèrent en représentation totale de la nation. Ils avaient déjà fait des décrets lorsqu'une force supérieure les terrassa. On saisit le plus grand nombre d'entre eux, et les plus coupables furent jugés militairement, parce qu'on les prit pour ainsi dire les armes à la main. La plupart n'attendirent pas leur condamnation, et ils se donnèrent eux-mêmes lá mort; déplorable destinée pour des députés qui n'avaient pas été envoyés pour faire la guerre, mais pour procurer la paix et le bonheur à leurs

commettans.

Il y eut à Toulon une insurrection pareille secondée par des troupes; mais les montagnards furent également vaincus. Les aristocrates abusèrent de cette victoire par de nouvelles persécutions et de nouveaux massacres.

CHAPITRE XIII.

Mission de Durand-Maillane dans le Var et les Bouches-duRhône. Massacres de Tarascon. Evénemens de ven

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démiaire. Mise en activité de la constitution de l'an III. Fin de la Convention nationale.

PERSONNE dans la Convention n'était moins porté que moi pour les niissions dans les départemens, et cependant il me fallut céder au besoin qu'on eut de mes secours, pour faire cesser, dans mon district de Tarascon, les massacres qui s'y commettaient dans un pur esprit de vengeance sur ceux qu'on appela patriotes ou jacobins. J'ai déjà eu lieu de dire que l'exemple de cette barbarie fut donné à Lyon le 16 floréal de l'an III, et qu'on le suivit ailleurs. Mais ces assassinats ne furent nulle part aussi horribles qu'à Tarascon. On jetait les victimes du haut de la tour du château bâti sur le roc au bord du Rhône. Pendant l'été ce fleuve laisse le rocher à découvert, et c'était sur ses pointes aiguës que tombaient tout vivans les corps de ces infortunés. Comme député de ce district, je reçus les procèsverbaux des officiers municipaux d'Aix et de Marseille qui faisaient connaître ces massacres, et qui se justifiaient d'y avoir pris part. Ne recevant rien des officiers municipaux de Tarascon, je leur écrivis pour me plaindre de leur silence et leur reprocher

le tort bien plus grand d'avoir laissé massacrer les prisonniers dont la loi leur confiait la garde. Point de réponse, ou bien la réponse fut un nouveau massacre de trente ou quarante autres prisonniers jetés comme les autres du haut de la tour sur le rocher.

Le comité de sûreté générale, ayant eu connaissance de toutes ces horreurs, allait sévir contre cette commune et contre l'administration du district, lorsqu'un député fit observer que, peut-être dans un pareil temps, son autorité serait compromise s'il ordonnait des arrestations ou des mandats à la barre. Il dit qu'il valait mieux m'envoyer sur les lieux pour y faire cesser ces violences et pour y ramener le calme, si la chose était possible. Cette mission m'ayant été proposée, je l'acceptai toute fàcheuse qu'elle était, dans l'espoir de m'aider à rétablir dans mon propre district l'ordre et la paix, en mettant un terme aux assassinats qui le déshonoraient: ne pouvant être envoyé dans mon propre département, on me donna une mission dans le Var, et je fis nommer, pour les Bouches-du-Rhône, Guérin du Loiret. Il était urgent de se rendre sur les lieux; il me fallut néanmoins attendre, comme membre de la commission des onze, que le projet de la constitution fût terminé, ce qui ne tarda pas beaucoup. Je partis pour mon district sur la fin de messidor an III, avec mon collègue Guérin. Nous trouvâmes le pays entièrement subjugué par les adversaires des patriotes qu'on avait mis en fuite ou en prison. Ceux qui dominaient à Tarascon, non

contens d'avoir déjà fait périr à deux reprises trente ou quarante prisonniers par le martyre dont j'ai parlé, résolurent de les achever à l'époque du 9 thermidor. Un décret de la Convention avait ordonné de célébrer ce jour-là dans toute la France l'anniversaire de la mort de Robespierre. Cette cérémonie n'était pas du goût de nos cruels réacteurs, parce qu'elle avait lieu en l'honneur et pour la consolidation de la république dont ils ne voulaient sous aucune forme.

En conséquence, dans la nuit du 8 au 9 thermidor, les réacteurs se présentèrent à la tour, pour enlever le reste des prisonniers au nombre de plus de cent. Mais ceux-ci, prévenus de l'assaut, se barricadèrent dans leur prison, de manière à se défendre comme des désespérés. Ils tinrent jusqu'au jour. Alors on les fit rançonner en assignats, sous la promesse de n'y plus revenir; tandis que les réacteurs, irrités de l'inutilité de leurs efforts, jurèrent de s'y rendre la nuit suivante avec de tels moyens qu'aucun d'eux ne pût échapper. Les prisonniers ayant eu connaissance de ce projet, instruits en même temps de notre arrivée, m'écrivirent le 9, pour me donner avis que si nous ne les allions pas défendre avant la nuit suivante, c'en était fait d'eux tous. Cela me fut confirmé par les cris et les larmes des parens qui m'apportèrent leur lettre. Guérin était parti pour Arles, et je n'avais que cinq dragons pour escorte. Mais voyant tout le danger que couraient ces malheureux, et engagé comme je l'étais par ma mis

par

sion à réprimer des assassinats qui faisaient horreur, je ne balançai pas. Je me rendis à Tarascon avec deux dragons, après avoir pris pour moi le cheval d'un troisième. Nous arrivons à la nuit close à la maison de ville: la procession civique était encore les rues. Dès qu'elle fut de retour, je m'adressai aux officiers municipaux et je leur fis part du sujet de mon voyage et de ma mission. Je ne me doutais pas des périls auxquels je m'étais exposé. Je me vis tout-à-coup assailli de propos injurieux et menacans de la part des sicaires qui m'entouraient ; ils disaient tout haut et en colère : Quoi! celui-ci vient protéger les scélérats de terroristes, il vaut aussi peu qu'eux tous, il faut s'en défaire. Heureusement pour moi, les gens en place et d'autres là présens, se trouvèrent être des prévenus d'émigration que j'avais fait rayer de la liste. Ils se déclarèrent ouvertement pour moi et contre les vociférateurs. Après m'avoir entendu, ils me promirent de faire transférer, comme je le demandais, les prisonniers dans d'autres prisons hors de Tarascon, et m'assurèrent qu'en attendant ils veilleraient si bien pour eux qu'aucun mal ne leur serait fait. Je leur avais dit avec courage que le sort de cette ville en dépendait, et que la Convention en ferait un exemple, si elle continuait d'égorger des hommes sans défense, privés de leur liberté et placés sous la protection des lois. Enfin cette ville qui avait si mal commencé, finit assez bien. On tint fidèlement les promesses qu'on me fit, on ne maltraita plus les

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