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été rendus avec justice, ils y trouvent plus de travail et de subsistances, et l'État plus de ressources et de population.

Cette restitution n'a rien coûté aux habitans des fiefs. Mais quant aux cens et aux redevances pécuniaires, l'Assemblée constituante ayant pour règle autant qu'il était en elle, dans toutes ses réformes, de ne blesser ni la justice, ni les droits de propriété, n'avait pu -accorder que le rachat de ces revenus du seigneur qui faisaient sa propriété. Cependant les seigneurs, exaspérés, ont préféré l'émigration à ce rachat; ils ont pensé que la guerre leur fournirait le moyen de les reconquérir. Pour réponse à ces hostilités, l'Assemblée législative, par la loi du 25 août 1792, abolit tous les droits seigneuriaux quelconques sans indemnités, à moins qu'ils ne fussent établis par la concession primitive d'un fonds; cette restriction en exceptait un très-grand nombre pris la plupart sur les biens communaux. La Convention nationale confirma cette exception par sa loi du 17 juillet 1793.

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CHAPITRE II.

Élections pour la Convention nationale." Division entre le parti Pétion et le parti Robespierre. Griefs et combats des deux partis.

L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE, après avoir établi les droits de l'homme en société, en réalisa l'exercice par le vote de chaque citoyen dans les assemblées primaires. Mais il fallait former un collége électoral pour mettre plus d'ordre et de sagesse dans le choix des représentans et des premiers fonctionnaires. Aussi cette assemblée, qui semblait prévoir les désordres qu'amènent les choix populaires, exigea que les électeurs possédassent quelque propriété qui les fit tenir à la patrie par leur propre intérêt. Cette propriété fut fixée au revenu du prix du marc d'argent, ce qui certes n'était pas une fortune bien considérable. Malgré les sages motifs d'une pareille mesure et le peu de gêne qu'elle imposait, elle essuya la critique des esprits portés à la démagogie. Ils firent abolir, après le 10 août, le marc d'argent contre lequel ils n'avaient cessé de déclamer comme contraire aux droits et à la liberté des citoyens. L'Assemblée constituante avait excepté ou exclu du premier vote dans les assemblées primaires, les domestiques ou serviteurs à gages; cette exception leur déplut aussi et on la supprima, ce qui fit de tous les prolétaires de la France, qui

n'avaient ni biens ni consistance, la partie dominante dans les assemblées électorales; ils envahirent aussi les clubs où ils servirent à tyranniser impunément et cruellement toute la France. Mais il semble que depuis les ravages causés par les indigens, on soit tombé dans un excès contraire en ne faisant cas que des riches et de la richesse ; comme si la cupidité avait besoin de nouveaux aiguillons, de celui surtout qui lui met devant les yeux toutes les places et tous les honneurs, à l'exclusion du talent et de la vertu à qui toute préférence est due et à qui elle est aussi accordée dans tout bon gou

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Telle était du reste la composition des clubs et des assemblées primaires après le 10 août. Cet événement avait en outre rompu tous les liens de l'autorité publique. La puissance du corps législatif était devenue très-faible auprès de la puissance que se donna soudain la commune de Paris. Rōbespierre s'y jeta pour diriger principalement le corps électoral dans les choix des députés pour la Convention nationale. Quel autre que lui aurait pu faire élire Marat et la plupart des autres membres de cette députation, lorsqu'à l'ouverture des premières séances de la Convention il se forma entre les députés de Paris et les Girondins, hommes distingués par leurs talens et leurs connaissances, une rivalité qui, dégénérant en guerre ouverte, a fait employer par les vainqueurs les moyens les plus odieux et les plus atroces?

Dans les autres départemens, les élections se firent à l'avenant des circonstances qui en rendirent maîtres les divers clubs alors établis dans toute la France. Cette influence des clubs, indépendamment de l'abolition des ordres qui avait mis partout le troisième à son aise, pour le choix de ses mandataires, a fourni à cette Assemblée nombre de députés dignes des vues et de l'esprit de Robespierre.

Notre département des Bouches-du-Rhône fut alors opprimé par les Marseillais. Fiers du succès de leurs frères à l'assaut du château des Tuileries, ils maîtrisèrent despotiquement notre assemblée électorale, où quatre cents électeurs de Marseille, dont le dixième n'avait pas le revenu du marc d'argent, ne permettaient à personne d'élever la voix contre la léur. Barbaroux était leur idole, il revenait de Paris où il avait pris part à la victoire des siens le 10 août, avec des députés que nous verrons s'en faire honneur dans leurs débats contre Robespierre et son parti. Nos Marseillais ne juraient donc que par Barbaroux, et il eut l'imprudence de prendre au sujet du roi des engagemens prématurés, dont ses ennemis se sont ensuite prévalus pour sa perte. On n'élut que ceux qu'il désigna, et je fus du nombre, parce qu'il me dit lui-même que Pétion et Fauchet lui avaient recommandé ma députation. Le journal de la Sentinelle m'avait aussi désigné comme un des constituans qui méritaient une place dans la nouvelle Convention. Je me prêtai au choix

qu'on fit de moi, et d'autant plus volontiers que, quelque temps avant le 10 août, n'ayant pas voulu souscrire à la réclamation qui se fit contre l'invasion du peuple au château, le 20 juin, j'éprouvai certaines saillies très-importunes et même dangereuses pour mon attachement à la constitution de 1791. Je ne pouvais prévoir qu'on fût partout moins en sûreté que dans le sein même de la Convention nationale, convoquée pour le bien et la tranquillité publique dans le royaume. Mais quoi qu'il en soit, de toutes ces élections où il entra une soixantaine de constituans, la réunion des députés à Paris se fit le 22 septembre 1792. Les ennemis étaient alors en Champagne; ils avaient remporté beaucoup d'avantages dans leur marche sur la capitale. Ce fut donc un nouveau péril qu'il nous fallut braver en partant de nos pays pour nous rendre à notre poste à Paris. Le roi étant alors prisonnier et déchu provisoirement de toute autorité, chaque assemblée électorale s'estimait souveraine dans son ressort. Plusieurs en abusèrent ; ce qui fut le présage des troubles que causa la Convention elle-même. Dans notre assemblée électorale, tenue à Avignon dans l'église des Carmes, après que les députés eurent été choisis, un des électeurs prit la parole et dit : « Mes collègues, nous voici réunis, avec tout >> pouvoir dans l'interrègne. Nous sommes ici tous » zélés pour la liberté, tous occupés d'elle, tous » portés à la défendre contre ses ennemis; n'êtes>> vous pas indignés, comme je le suis, contre les

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