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» ressemble à tes triomphes; efface tout-à-coup la » gloire des républiques de la Grèce et de Rome; ›› fais plus en une année, sous le règne de la liberté, >> que tu n'as fait, en quatorze siècles, sous le règne » des rois; que l'étranger ne parle de ta république » qu'avec admiration, et d'un citoyen français qu'a>> vec respect! Pour nous, fermes à notre poste, >> nous promettons de donner l'exemple du civisme, >> du courage et du dévouement; nous imiterons, » s'il le faut, ces sénateurs romains qui attendi>> rent la mort sur leurs chaises curules; on vous >> dit que nous sommes divisés, gardez-vous de le >> croire. Si nos opinions diffèrent, nos sentimens » sont les mêmes; en variant sur les moyens, nous >> tendons tous au même but; nos délibérations » sont bruyantes, et comment ne pas s'animer en >> discutant d'aussi grands intérêts? C'est la passion » du bien qui nous agite à ce point; mais une >> fois le décret rendu, le bruit finit et la loi

>> reste. >>

C'est d'un bout à l'autre le langage entraînant du plus chaud républicain. Eh bien! le croira-t-on ? ce même Isnard, qui a voté la mort du roi et sa prompte exécution sans appel au peuple, a été persécuté, décrété dans la trop fameuse journée du 2 juin, comme royaliste, ou fédéraliste, ou modéré, et cela pour avoir parlé de la commune de Paris, comme on le verra dans l'un des prochains chapitres.

Les montagnards, après avoir pourvu à la dé

fense de la république au dehors, voulurent donner au dedans une sauvegarde aux républicains par l'établissement d'un tribunal qui les délivrât de quiconque, n'étant pas des leurs, pourrait leur nuire. Robespierre, déjà plus fort avant le jugement du roi, le fut après de manière à écarter, comme à la baguette, tous les obstacles. Ses partisans étaient dignes de lui; leur audace s'était accrue par leurs avantages sur les Girondins. Ils ne répondaient que par des quolibets, ou par de grossières injures aux observations les plus justes, les plus raisonnables. On en trouve la preuve dans les débats sur l'établissement du nouveau tribunal, d'abord appelé extraordinaire, mais, dès le lendemain, qualifié de révolutionnaire dans la Convention, tant cette dernière épithète avait d'attraits pour ces hommes qu'effrayait le calme de l'ordre et le cours ordinaire de la justice. Quand on leur disait : « Ce tribunal, établi pour juger d'une manière vague tous les conspirateurs et tous les contre-révolutionnairés, n'a rien que d'affreux ;» (l'événement ne l'a que trop prouvé) ils répondaient : « Ce sont vos déclamations contre lui qui sont affreuses. » Ils cherchaient par ce moyen à se faire un rempart contre les ennemis de la révolution, dont le nombre ne faisait que s'accroître, parce qu'elle attaquait, sans pudeur comme sans ménagement, la justice et l'humanité. Tous les historiens ont déclamé contre les jugemens par commissions. Eh! qu'étaient ces commissions auprès d'un tribunal dont on vit ces juges,

choisis sur la démission d'autres juges, à qui les nouvelles fonctions répugnèrent bientôt, se plaindre de ce qu'on ne leur donnait pas d'occupation, c'est-à-dire des coupables à juger ou des victimes à frapper. Aussi ne vit-on plus dans la suite que des hommes féroces, tels que Dumas et FouquierTinville, remplir les places. Voici le discours des premiers juges nommés sur une longue liste de candidats pris dans les quatre départemens voisins de Paris:

<< Citoyens représentans,

» Les juges et jurés composant le tribunal ré>>volutionnaire se présentent devant vous, non pas pour témoigner de la reconnaissance à la Con>>vention nationale de la confiance qu'elle a placée >> en eux, mais pour lui annoncer qu'ils sont à leur » poste. Déjà les ennemis de la patrie nous calom»nient de toutes parts: les uns désignent le tri>> bunal comme un tribunal inquisitorial et un tri>>bunal de sang; les autres, profitant de l'inaction » forcée dans laquelle on nous laisse depuis le jour » de notre installation, excitent encore l'impa>> tience qu'a le peuple de voir enfin les conspira>>teurs punis. Pour nous, au-dessus de la calom»> nie, impassibles comme la loi, mais inébranla>> bles dans les fonctions augustes qui nous ont été déléguées, nous attendons le moment de dé>>ployer toute la sévérité des lois contre les ennemis

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T. I.

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» de la chose publique. Représentans, le peuple s'indigne contre les traîtres qui trament sans >> cesse de nouveaux complots; leur audace le fati>> gue. Nous vous le disons avec courage; la patrie >> sera en danger tant que les conspirateurs pour>> ront impunément se livrer à leur rage impie. » Les ennemis de l'intérieur, d'accord avec ceux » de l'extérieur, menacent la patrie d'une subver>>sion totale; des généraux perfides et insolens >>> osent dans leur fureur sacrilége nous proposer » des rois. Périsse avec nous notre propriété, périsse notre mémoire, plutôt que de reconnaî>>tre de nouveaux tyrans!

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» Représentans, il n'y a pas un instant à perdre. >> Ordonnez à votre commission des six de faire » cesser enfin l'inactivité dans laquelle se trouve » le tribunal révolutionnaire depuis son installa» tion. Le peuple, qui connaît les conspirateurs, >> veut leur punition; apprenez au peuple que la >> Convention nationale veut se réunir à lui pour » sauver la république. Représentans, nous vous >> le répétons; nous sommes à notre poste où vous »> nous avez placés, et nous jurons d'y mourir » pour le salut de la patrie.

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Je laisse au lecteur à juger du mérite et de la délicatesse des juges et jurés de ce nouveau tribunal, qui semblaient n'attendre, comme des oiseaux de proie, que de la pâture. Le peuple, disent-ils, connaît les conspirateurs, et s'indigne de leur impunité. Dans tout le cours de la révolution, où l'on

a formé un idiome nouveau adapté à toutes les circonstances nouvelles, soit naturelles, soit factices,

personnifié le peuple pour en faire la partie principale et motrice de tous les actes de ce grand procès national. Ce peuple, ainsi qualifié, n'était, depuis la suppression du marc d'argent, que la partie la plus infime et la plus dépravée de la société. Elle est devenue aussi la plus redoutable, quand l'autorité souveraine a été dans les mains de ceux qui la flattaient pour se servir d'elle dans tout ce qu'il leur plaisait d'entreprendre au-dedans comme au-dehors de la Convention nationale. Les tribunaux révolutionnaires, multipliés progressivement dans la France, y ont fait périr des milliers de victimes toutes plus innocentes les unes que les autres, car je l'ai dit, et je me plais à le répéter : ce que le parti Robespierre regardait comme crime, comme conspiration, n'était au fond qu'une diversité d'opinions que les principes de liberté, que professait la montagne elle-même, devait lui faire respecter, jusqu'à ce que la conspiration prétendue se montrât par une désobéissance formelle à la loi, avec le dessein évident de détruire les législateurs.

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