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Elle approchait, cette révolution, et Durand de Maillane qui croyait qu'elle serait toute de principes, de discussions et de raison, s'y préparait en silence dans les travaux du cabinet (1). Les états-généraux furent convoqués; Durand de Maillane fut avec M. Servan, son compatriote, un des principaux rédacteurs des cahiers de l'assemblée d'Arles. Nommé par ce bailliage député du tiers-état, îl siégea dans l'Assemblée constituante avec tant d'hommes célèbres par leurs talens, leurs lumières, leurs erreurs, leurs fautes et leur mort si souvent tragique. Durand de Maillane n'était point appelé à prendre place aux premiers rangs près d'eux, mais son instruction, un grand sens, beaucoup de zèle rendirent ses travaux utiles dans plusieurs comités. Il prit part à la constitution civile du clergé, et ne tarda point à s'en repentir, comme on le verra dans ses Mémoires.

Ils sont consacrés à l'histoire de la Convention nationale. Durand de Maillane conserva dans cette assemblée fameuse la place que lui désignaient ses idées de justice et ses sentimens.

(1) On a de lui un petit écrit sur la taille réelle et la taille personnelle, sur les pays d'état et les assemblées provinciales; il y déplore la résistance aveugle que le privilége opposait alors aux vues bienfaisantes de Louis XVI.

d'humanité. Au milieu des hommes dont les cris menaçans demandaient la mort de Louis XVI, il vota pour la détention et pour le bannissement à la paix : c'était assurer son salut. Quand il reconnut plus tard que les girondins se flattaient de vaincre avec des discours ceux qui les attaquaient par des insurrections, désespérant malgré lui du succès de leur cause, il garda il garda le silence. On le vit parmi ces hommes de la plaine, qu'insultait, que méprisait la montagne, mais que ménagea constamment Robespierre après le 31 mai. Ces hommes immobiles et silencieux sur leurs siéges, ces hommes qui semblaient étrangers à ce qui se passait autour d'eux, sourds aux menaces, insensibles au bien comme au mal, devaient, lorsque le joug du tyran épouvanterait même ses plus ardens complices, décider et précipiter sa chute. Nous seconderez-vous? leur disaient Legendre et Tallien, la veille du 8 thermidor.

- Oui, si vous êtes les plus forts; non, si vous êtes les plus faibles. Ces mots qui ressemblent aux calculs de la peur, décelaient le secret d'une indifférence étudiée. Ceux qui les prononçaient savaient bien qu'ils pourraient seuls, au moment du combat, ôter ou donner la victoire. Ces paroles plaçaient les ennemis

de Robespierre dans la nécessité de vaincre. L'événement prouva d'ailleurs que les hommes de la plaine s'étaient vantés d'une impassibilité au-dessus de leurs forces.

Quand Robespierre, haletant, épuisé de fatigues, attaqué par Tallien, repoussé par les anciens amis de Danton, s'avança vers les bancs des députés échappés au massacre du 31 mai, et leur dit : « Hommes vertueux, c'est main» tenant à vous que je m'adresse; je vous ai » tous arrachés aux fureurs de ceux qui m'ac» cusent: sauvez-moi donc, ou vous périrez » avec moi; » le côté droit garda d'abord son ordinaire immobilité. Mais tout-à-coup, rompant ce long' silence, une voix fit entendre ces mots: Scélérat! la vertu dont tu profanes le nom doit te traîner à l'échafaud. A l'instant, d'un mouvement spontané, le côté droit se leva tout entier, et le décret d'accusation fut rendu. A l'accent lent et sombre de la voix qui prononça ces paroles, on avait reconnu Durand de Maillane (1).

Enfin brilla le 9 thermidor. Si long-temps chargée de chaînes et baignée de sang, la France respira. Les cachots s'ouvrirent. Ceux

(1) Biographic de Bruxelles. - Article Robespierre.

qui avaient le plus souffert des excès de la terreur se trouvèrent en présence des hommes auxquels ils avaient à redemander un père, un fils, une épouse, des amis immolés; et, comme la justice ne pouvait satisfaire tant de ressentimens, et qu'en France on se précipite presque toujours d'un excès dans un autre, la réaction se livra trop souvent à de cruelles représailles le Midi servit de théâtre aux scènes les plus sanglantes.

Durand de Maillane, né dans la Provence, et qui devait mieux qu'aucun autre connaître le caractère de ses habitans, y fut envoyé pour rétablir l'ordre, et rendre à la justice son cours ordinaire. Il ne paraît pas que les résultats de sa mission aient été ni bien prompts ni bien efficaces. Fréron, qui fut commissaire de la Convention dans la Provence, après Durand de Maillane, prétend qu'il ne sévit point contre les réacteurs; qu'il favorisa le retour des émigrés; que, sous la république, il plaça des royalistes dans toutes les administrations. Il assure, comme on l'a vu dans ses Mémoires sur les réactions du Midi, que Durand de Maillane alla jusqu'à dire, dans un cercle, à quelques personnes: Il vous faut un roi. J'en doute.

Pour expliquer la conduite de Durand de

Maillane, il faut considérer son âge, sa position, son caractère. Il venait au milieu de compatriotes qui tous avaient cruellement souffert. A 65 ans, ayant passé l'époque de la force et de l'activité, il arrivait à l'âge où l'on sent le besoin du repos, où l'on ne veut plus agir sur les hommes que par la sagesse et la persuasion. L'expérience apprend alors que les passions s'usent d'elles-mêmes dans leur action. En déplorant, en condamnant les excès qui s'étaient commis, peut-être mit-il plus de soins à prévenir leur retour qu'à les punir, comme dans un violent incendie on abandonne au feu ce qu'on ne peut plus lui disputer, pour sauver du moins ce qui

reste.

Quant aux reproches de modérantisme et de royalisme, qu'en faut-il croire? Durand de Maillane n'avait jamais été fougueux républicain. Il voulait sincèrement et fermement, en 1789, la réforme des abus; mais il eût dit volontiers, avec l'éloquent M. de Lally, dans sa tragédie de Strafford :

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