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13. Je ne reconnais point la république pour une forme particulière de gouvernement; c'est un nom qui convient à tous les gouvernemens simples ou mixtes que nous avons appelés nationaux ou de droit commun, ainsi que nous l'avons expliqué, parce que, dans ces gouvernemens, l'autorité supérieure est actuellement ou habituellement la chose du public, la chose de la société, de la nation; en un mot, qu'elle n'existe que par la nation ou pour la nation. La qualification de république convient donc à tout gouvernement constitutionnel et représentatif, et même à tout gouvernement de droit commun. Sous nos rois, on disait la république pour la France.

Le despotisme, ou le gouvernement à titre de maître ou de propriétaire du peuple et du pays, est destructif du but social; il ne peut exister que de fait. De même que l'anarchie, le despotisme, en un mot le gouvernement sans garantie des droits, n'est qu'une série d'abus, une maladie aiguë ou chronique des nations et des gouvernemens. Le gouvernement féodal n'était qu'un chaos d'anarchie et de despotisme.

14. On a beaucoup parlé du gouvernement légitime, sans distinguer les divers sens de cette locution: ainsi, confondant les idées, on a souvent abusé de cette dénomination équivoque dont les développemens formeraient seuls une théorie importante.

Nous dirons, avec Bossuet, que le gouverne

ment légitime est opposé, de sa nature, au gouvernement arbitraire qui est barbare et odieux. Nous ajouterons que le gouvernement qui fut le mieux qualifié en droit gouvernement légitime, lorsqu'il a cessé de fait, et qu'il n'existe plus visiblement dans le territoire de l'état, n'est qu'une prétention soit légitime, soit illégitime, à laquelle chacun des citoyens peut ou doit être plus ou moins affectionné. Mais personne n'est coupable, personne ne peut être puni précisément pour avoir servi ou obéi sous un gouvernement de fait. La raison naturelle et la religion chrétienne, la prudence et l'humanité, sont unanimes sur ce point. Les Anglais ont très-sagement prescrit l'obéissance au gouvernement de fait par une loi positive la plus formelle.

15. Au commencement de la civilisation, c'est tantôt la monarchie pure et tantôt la vraie démocratie qui s'établit ; elles ne durent guère l'une et l'autre que dans l'enfance de l'état social, elles ne recommencent que par une marche rétrograde.

La raison, l'expérience, les lumières, la richesse et le courage changent les gouvernemens purs en gouvernemens mixtes: ceux-ci constituent d'ordinaire le second degré de civilisation; alors cesse la réunion des pouvoirs politiques dans la même personne, ou dans le même corps. Le pouvoir exécutif est séparé du pouvoir législatif : celui-ci se partage en plusieurs branches; quelquefois le pouvoir administratif général, surtout relative

ment aux finances, est surveillé par une ou plusieurs branches directives particulières. Le pouvoir judiciaire devient proprement un pouvoir séparé; il y a plusieurs tribunaux et plusieurs ordres de tribunaux; le pouvoir d'administration locale ou municipale s'établit; enfin, l'aristocratie héréditaire se montre avec des attributions spéciales.

En troisième ordre, selon la marche ordinaire de l'esprit humain, sont venus les gouvernemens représentatifs, et à leur suite, dans les derniers tems, les gouvernemens représentatifs et constitutionnels, qui ne sont que des gouvernemens mixtes perfectionnés.

Le gouvernement est représentatif, lorsqu'il est composé, en partie ou en entier, d'élus ou de députés temporaires choisis librement par la nation, et renouvelés périodiquement. Il suffit qu'une assemblée de tels élus soit une branche intégrante et nécessaire de l'autorité législative, pour que le gouvernement ait le caractère représentatif.

16. Le gouvernement, même constitué par le consentement national, n'est constitutionnel que lorsqu'il est plus ou moins développé, fixé, limité par une ou plusieurs lois constitutionnelles, c'està-dire, lorsqu'une ou plusieurs lois faites ou consenties par les représentans de la nation, ou par elle-même, déterminent la nature, l'étendue, les limites des pouvoirs publics, en sorte que ce code soit vraiment la règle suprême, et qu'il ait un caractère particulier de stabilité qui le distingue des

lois ordinaires. Alors, on a de tous les gouvernemens connus celui qui est au-dehors le plus indépendant, et au-dedans le plus juste, autrement le plus favorable à la liberté publique et à la liberté civile ou individuelle, à la stabilité, et conséquemment au bonheur général. Mais si, par violence ou par artifice, la loi constitutionnelle est habituellement violée ou éludée, c'est le faux gouvernement représentatif constitutionnel : celui-ci, par là même qu'il est plus réellement puissant, et d'ordinaire le plus coûteux de tous, est plus ruineux et plus oppressif que la plupart des gouvernemens sans représentation nationale. Optimi corruptio pessima.

Il est de la nature des vrais gouvernemens représentatifs et des gouvernemens constitutionnels, qu'ils tiennent en vigueur la liberté de la presse et les jugemens criminels par jurés véritables. Ainsi, l'opinion publique devient le plus grand ressort de l'état; la publicité prévient les abus; l'ignorance fait place aux lumières; la superstition, le fanatisme, à la religion; les préjugés, les intérêts de caste et de corporation à l'intérêt et aux droits de tous; ainsi, les priviléges s'éteignent, la nation devient presque homogène. Les lois mieux connues, plus douces, plus équitables, sont mieux obéies, planent librement au-dessus de toutes les têtes, et les juges ne sont que ce qu'ils doivent être, les instrumens des bonnes lois; la raison est plus cultivée ; la frivolité, la mode, la licence, ne tiennent

plus lieu de mérite; les bonnes moeurs sont plus respectées; une véritable responsabilité des ministres garantit l'inviolabilité des monarques, et la stabilité des institutions. Il est vrai que les ministres responsables ont besoin de plus de mérites et de vertus, mais aussi l'hérédité des princes et leur prédominance n'ont plus les grands inconvéniens qui amènent les révolutions. Plus affermis, les rois sont plus puissans, plus modérés, plus justes; le trésor public est mieux rempli; les citoyens, sans doute, paient davantage, mais les représentans peuvent aussi modérer les dépenses en réglant le budget, et, selon les tems et les besoins, limiter les sacrifices communs; la liberté, la sûreté, la propriété mobilière, foncière, industrielle, sont mieux garanties.

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Tels sont les heureux effets du gouvernement représentatif et constitutionnel, pourvu toujours qu'il soit véritable, c'est-à-dire, pourvu que constitution soit conforme au but social, et fidèlement, franchement exécutée; pourvu surtout que les députés soient élus sans intrigue ministérielle, et presque tous hors la classe des agens révocables par les ministres c'est à ces conditions que ce gouvernement sera le plus puissant au-dehors, et au-dedans le plus heureux.

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17. Dans les gouvernemens simples, l'autorité est absolue; par là même, elle se tourne aisément en despotisme. Dans les gouvernemens mixtes, les autorités sont nécessairement éclairées, surveillées,

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