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tisans les plus jaloux et les plus aveugles de l'égalité absolue et des lois agraires. Mais, on ne peut pas leur nier, que la propriété, si elle était immuable dans une ligne ou dans plusieurs lignes d'une ou de plusieurs familles, et surtout d'une caste privilégiée nobiliaire, ne serait qu'une grande iniquité, une insupportable calamité publique, un ferment perpétuel de troubles et de révolutions. Ce serait un sophisme affreux de prétendre, avec des substitutions à l'infini, organiser quelques familles, pour exhéréder toutes les autres familles. Si, de fait ou légalement, de tels priviléges, de tels abus existent, il faut se hâter de les détruire pour l'avenir, sans redouter l'imputation hypocrite d'effet rétroactif. La Charte française réprouve toute institution semblable, etc., articles 1, 2, 62, 68, 69 et 71.

206. La royauté, c'est la monarchie; la qualité de prince royal ou de prince du sang, est la voca tion graduelle au trône; la royauté et la pairie sont des noms de première magistrature, des premières fonctions politiques. Elles sont de la nature du gouvernement que veut la nation française, de celui qui convient surtout aux vieilles civilisations, aux peuples qui ont eu pendant une longue durée de siècles, des rois s'arrogeant le pouvoir absolu, et des castes privilégiées. Il ne peut y avoir de parfaite égalité politique dans aucune cité : c'est un point assez démontré par les publicistes, et sur lequel il serait superflu d'insister davantage.

Il ne reste donc que la légalité et l'hérédité de la noblesse titulaire qui soient difficiles à justifier.

CHAPITRE X.

Noblesse nominale considérée comme légale et béréditaire. (Articles 1, 2, 3, 71 et 72 de la Charte.)

...... Nobilitas sola est atque unica virtus.
(Juv. Sat. vii.)

Les mortels sont égaux ; ce n'est point la naissance,
Mais la seule vertu qui fait leur différence.
(VOLT.)

207. Vous le voyez, la raison ancienne et nouvelle ne reconnaît de noblesse que l'éclat personnel de la vertu, c'est-à-dire, des talens, des services, du mérite moral avant tout, et puis du mérite politique, militaire, civil. Le monde juge de même, à voix haute, ou dans le secret de la pensée, haïssant, méprisant les préjugés faux et dangereux, alors même qu'il s'en montre esclave, et que de mauvaises lois le forcent à les respecter. Les légis lateurs sont obligés souvent, par les circonstances, de transiger avec certains abus, et de leur conserver un nom légal en même tems qu'ils en détruisent la réalité. Il y a de ces abus dont le nom seul est un mauvais levain, qui sans cesse pousse au rétablissement de la chose abusive; mais l'ins

truction, l'expérience, l'opinion, les mœurs procurent enfin la guérison radicale.

208. La noblesse, en France, fut d'abord attachée aux fonctions, et simplement personnelle. Sous des rois faibles et imprudens, elle devint héréditaire; ensuite elle se partagea la puissance et les revenus publics, ne reconnaissant que la suzeraineté royale; d'usurpations en usurpations, elle fut, au dernier degré, oppressive et anarchique. Abattue par la; ruse et le despotisme des rois et de leurs ministres, toujours restée onéreuse à l'état, quoique devenue, inutile d'après le changement des mœurs, le progrès, des lumières, du commerce et de l'industrie, elle se montra de plus en plus entreprenante, méprisante, exclusive, dissolue, avide et tracassière, en sorte qu'elle fut totalement abolie en juin 1790.

Depuis cette époque, sauf d'honorables exceptions, la noblesse ancienne a continué de tourmenter la patrie par des complots, des troubles intestins, des guerres étrangères, des guerres civiles; la noblesse nouvelle, sauf encore les exceptions, a rivalisé l'ancienne par divers abus '. Sous Napoléon, les deux noblesses furent astucieusement établies, mais constituées en une seule, faite pour abaisser, effacer toute grandeur nationale. La

1 Honneur, actions de grâces aux hommes de cette minorité de la noblesse ancienne ou nouvelle qui, toujours en garde contre les inspirations de l'orgueil, ont constamment défendu l'égalité devant la loi ! Ceux-là seront toujours les nobles de la seule vraie noblesse, de celle de la vertu, au jugement de leurs contemporains et à celui de la postérité.

Charte les a dédoublées, et leur a garanti des titres féodaux, attribué des honneurs secondaires. L'une et l'autre ont été seules appelées dans la chambre des pairs, et, en nombre illimité, dans la seconde chambre. Cependant, la généralité des nobles an térieurs à 1789, a toujours fait à la Charte une guerre ouverte ou secrète. Profitant des circonstances, ils se sont de nouveau emparés pour un tems, eux et leurs affidés, de presque tous les emplois qui donnent de la puissance ou des profits, des honneurs ou de l'influence. On a vu dans quel esprit et avec quelle capacité, quelle impartialité ils ont exercé tous ces emplois. De plus longs détails ne sont pas nécessaires pour faire comprendre avec quelle raisonnable inquiétude les citoyens considèrent l'article 71 de la Charte, qu'ils trouvent répugnant à la lettre et à l'esprit des deuxième et troisième articles de cette constitution.

des

209. Qu'est-ce que l'égalité devant la loi, si par la loi fondamentale nous avons encore l'héréditaire inégalité de castes, anciennes ou modernes, ou toutes nouvelles, privilégiées par des titres, rangs, des honneurs, si nous avons, hors la pairie, des titres féodaux, égaux, o supérieurs à ceux même de la pairie '; et s'il arrive que ces castes, ennemies de la Charte, accaparent, sans proportion, les places et l'argent de l'état, et par les majorats réduisent en main-morte, au profit de leurs

1 Ordonnance des 25 et 30 août 1817.

aînés, une grande partie du sol français ? Partout on a élevé cette question, ce n'est pas à nous de la résoudre. Sur le point de fait, qui est le plus embarrassant, nous croyons que les lois du recrutement et des élections franchement exécutées, une chambre des députés librement élue sans influence ministérielle, et une bonne loi sur la responsabilité des ministres, en faisant disparaître les abus principaux, feraient cesser les plaintes. Quant à la difficulté sur le droit, nous pensons qu'elle ne serait pleinement résolue dans le système de la Charte, que par l'entière abolition des majorats, sauf les dotations égales des pairies, et par l'ennoblissement égal des Français, que le roi peut ennoblir tous à volonté. On ne peut législativement opérer la suppression des titres nobiliaires que dans une révision de la Charte; mais déjà l'on peut s'abstenir de toute loi secondaire, et de toutes ordonnances générales sur cet objet.

210. Ces titres, dans la pairie, seraient à quelque degré supportables, comme servant à exclure l'usage et les abus des titres nobiliaires sans fonctions, et comme simple variation ou bigarrure nominale dans les pairs, ou égaux, tous membres de la première autorité après celle du roi.

Mais cette vaine bigarrure, si elle se changeait en véritable gradation et subordination de rangs et d'honneurs, grâces de cour à solliciter du roi ou de ses ministres, serait inconstitutionnelle et anti-sociale, comme contraire à la substance et à

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