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tempérées, balancées, retenues l'une par l'autre, et il peut y avoir une autorité spécialement établie pour modérer et conserver les autres, en se conservant elle-même. L'autorité qui prédomine dans ce gouvernement remplit d'ordinaire cette fonction, sans laquelle il y aurait, entre les branches des grands pouvoirs, des luttes et des déchiremens qui troubleraient la paix publique, et finiraient par détruire la constitution sociale et le code constitutionnel : ainsi, en France, le roi seul nomme et destitue ses ministres, augmente la chambre des pairs, et dissout la chambre élective.

18. Jusqu'ici, nous avons supposé le corps social ou national unique et indépendant. Il y a tel gouvernement qui régit plusieurs corps sociaux. unis en un seul, et codépendans sous les rapports de l'union, tandis que, sous d'autres rapports, chacun de ces corps sociaux est séparé, est indépendant, et obéit à un gouvernement particulier : voilà le gouvernement fédératif, plus fort que ne serait chaque état séparé, mais toujours plus faible que le gouvernement unique.

Il se peut aussi qu'un ou plusieurs corps sociaux soient les sujets d'un autre corps social: voilà les gouvernemens subordonnés, parmi lesquels viennent se ranger ordinairement les colonies.

Enfin, plusieurs corps sociaux non subordonnés, mais tout-à-fait indépendans, peuvent exister en corps d'états séparés sous le même gouvernement : c'est un accident remarquable, dangereux pour la

liberté; ce n'est pas une forme spéciale de

nement.

gouver

19. Il ne faut jamais oublier que les constitutions les plus libérales, c'est-à-dire, les plus favorables au maintien des droits de tous et de chacun, ne sont rien sans la pratique de la liberté de la presse, et sans le jugement des délits de la presse et de tous les crimes par un véritable jury de citoyens. Ces deux excellentes institutions bien entières suffiraient, pour ainsi dire, au bonheur public et privé, si elles pouvaient se maintenir sans la garantie d'une constitution qui les consacre, et d'une représentation nationale librement élue qui veille sans cesse pour les conserver.

CHAPITRE II.

De la Constitution française avant 1789.

Ce qu'on a vu s'écrouler en 1789 n'était point l'ancienne constitution, mais la dernière des formes incertaines du despotisme et de l'anarchie substituées à l'ancien gouvernement représentatif.

20. C'EST Sans doute parce que la pratique manque généralement à la théorie, que lé gouvernement. constitutionnel représentatif, voulu par le roi et par l'immense majorité des Français, trouve encore des

opposans.

Les uns n'ont pas honte de dire qu'il exige trop

de soin, trop d'attention, trop de vigilance, et même trop de vertus; qu'enfin, les hommes ne valent pas la peine qu'on s'occupe d'améliorer

l'ordre social '.

De tels adversaires ne valent guère aussi la peine qu'on les réfute sérieusement; c'est assez qu'ils se déclarent contempteurs de la morale et du genre humain nous n'avons rien de plus à leur dire.

21. D'autres blâment tout code constitutionnel, parce que, disent-ils avec un faux air de profondeur, les bonnes constitutions se font d'ellesmémes, sans qu'on y pense; elles sont le fruit du tems, et non l'ouvrage des législateurs.

Cependant, chez l'étranger, plus d'une expérience heureuse vient à l'appui de la doctrine contraire.

pros

Le tems ne supplée point à la science, à l'activité, à la sagesse législative. S'il donne les progrès de l'industrie, de la science et des lumières, il offre des scènes et des périodes continuelles d'abus et d'oppression publique, de guerres étrangères et de guerres civiles, de factions, de criptions, d'exclusions, d'épurations, d'emprisonnemens, d'exils, d'injustes supplices, de massacres, de ruines, provenant tantôt des passions et tantôt des plans mal conçus pour remédier aux désordres; il amène des mesures incohérentes, des institutions partiales, à peine esquissées et toujours versatiles;

› Vie de Fénelon ( par M. de Beausset), tome 1er.

il crée surtout, il exalte la haine invétérée contre les excès du pouvoir arbitraire; il amène ainsi l'opinion publique à sa maturité; donc, il prépare, fournit les élémens; mais, pour les mettre en œuvre, il faut, quoi qu'on en dise, les combinaisons de l'esprit, l'action du pouvoir législatif.

22. Vainement on insiste, on se plaint du renversement de la constitution française de treize ou de quatorze siècles.

Si elle eût existé, si elle eût été convenable, elle serait détruite par l'acceptation des quatre ou cinq autres constitutions qui ont paru dans les trente dernières années. Il n'y aurait pas plus de raison de retourner à l'état de choses de 1788, au mépris du gouvernement qui est, que de retourner à la domination romaine antérieure à la monarchie, ou de rétablir les quatre cents républiques gauloises anéanties par les Romains.

Mais la prétendue constitution de treize ou quatorze siècles n'est qu'une hypothèse la plus chimérique. Jamais, avant 1791, la France n'avait eu de code constitutionnel; et, si l'on appelle constitution une distribution quelconque des pouvoirs publics, il y a eu réellement en France, pendant treize siècles, une multitude de constitutions différentes plus informes, plus absurdes, plus injustes, plus funestes les unes que les autres. Laquelle faudrait-il choisir? laquelle faudrait-il achever ou modifier ? Nulle d'entre elles ne pourrait être aujourd'hui tolérée.

23. Il est démontré par l'histoire, qu'avant 1789, il n'y a jamais eu en France rien de fixe dans le gouvernement qu'une instabilité perpétuelle, universelle, si ce n'est l'existence d'une autorité royale quelconque, toujours fondée sur le consentement commun, toujours proclamée telle que des cérémonies inaugurales, toujours partagée, toujours limitée par les lois, par l'usage, et par les droits de tous et de chacun, mais de fait, tour à tour usurpant ou usurpée, trop faible, ou trop arbitraire, jamais assez bien connue, jamais définie par une loi nationale.

Presque pas un de nos rois n'a régné comme ses prédécesseurs ou comme ses successeurs : leurs circonstances, leur caractère, celui de leurs entours, ont fait leurs destinées politiques, et changé sans cesse leurs rapports avec les classes, les ordres, les corporations et les individus.

24. Une grande partie de la nation a gémi longtems dans l'esclavage domestique; une autre dans l'esclavage de la glèbe, qui se changea dans la suite en servitude féodale et en servitude de mainmorte. Il y avait encore dans le royaume, au seizième siècle, des esclaves domestiques, et c'est de nos jours seulement que la servitude de mainmorte a été complétement abolie.

25. La noblesse, au commencement du royaume, n'était que ce qu'elle doit être, et ce qu'on ne peut empêcher qu'elle soit, un souvenir de certaines fonctions remplies; séparée de l'autorité,

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