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elle n'avait point de priviléges; un homme libre, et même un fils d'esclave, arrivait aux emplois les plus élevés.

26. Alors le roi, plutôt général que gouvernant, avait moins des sujets que des soldats, et bien moins des soldats que des compagnons d'armes; il se battait comme eux pour sa quote-part du butin, et il devait, comme tous les autres, la tirer au sort.

27. Il présidait au suprême tribunal de justice, ou il y renvoyait les parties, comme font les rois tout aussi long-tems que la civilisation demeure dans l'enfance; mais il n'avait que sa voix au milieu de ses capitaines et des autres juges, comtes ou ducs, ou autres leudes ou antrustions, francs ou gaulois d'origine. On était jugé par ses pairs; et les trois âges de la pairie de France antérieure à 1789, ne furent que diverses phases des jugemens criminels surtout, par les égaux des plaideurs, jugemens rétablis en 1791, sous le nom de jugemens par jurés.

28. La loi salique fut rédigée par des députés, des représentans de la nation, et acceptée en assemblée nationale; elle s'appelle non pas édit, ni ordonnance, ni charte, mais pacte, c'est-à-dire, contrat national, pactus legis salicæ. Les autres lois et les décrets d'administration générale, sous la première et sous la seconde race, étaient des chapitres ou des articles ajoutés à la loi salique par la volonté nationale et royale dans les assem

blées du champ-de-mai, d'où est venu le nom de capitulaires. Dans ces mêmes assemblées, on délibérait sur la guerre ou sur la paix, sur la police et le gouvernement, sur les domaines publics, etc. ' 29. Le trône, sous les deux premières races, était électif et sujet à déchéance, par décision des comtes et des ducs, ou des ducs, des comtes et des barons. Les évêques et les abbés, devenus trop puissans par la faculté illimitée de recevoir des dons, et par la préséance qui leur fut imprudemment attribuée dans l'ordre temporel, comme elle l'avait été aux druides par les Gaulois, prenaient grande part à ces révolutions, tristes avant-coureurs des destitutions prononcées ensuite par les papes contre la plupart des princes de l'Europe.

30. Le territoire du royaume, sous les deux premières races, et au commencement de la troisième, était partagé en plusieurs souverainetés, ou possédé en indivis par les enfans des rois, comme un domaine privé; donné, ou distribué en fiefs à des généraux, à des ecclésiastiques, à des évêques ou à des monastères.

31. A côté des rois, et réellement au-dessus d'eux, sous la première race, on voyait dominer des maires du palais, espèce de ministres, élus maires, destitués et quelquefois nommés rois dans les assemblées des grands. Ce fut ainsi que Pépinle-Bref et ses enfans remplacèrent la race de Clovis,

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en faisant déposer, raser et enfermer dans un monastère le roi Childeric.

32. Assez long-tems, les comtes et les ducs, les centeniers, les ratchinbourgs, etc., ne furent que des magistrats élus à tems, comme le maire du palais, et destituables comme le roi et le maire du palais.

33. Ainsi, rien n'est plus vrai que ce mot d'une française, non moins illustre par la gloire de son père que par son propre génie, ses rares talens son généreux patriotisme : C'est la liberté qui est ancienne, et le despotisme qui est moderne '.

34. Les derniers rois de la seconde race avaient laissé en oubli les assemblées nationales qui seules auraient pu les soutenir, les empêcher de tomber du côté vers lequel ils penchaient, abandonnés en entier à leur maire, ou grand ministre, et à leurs courtisans, à leurs officiers domestiques: ce fut ainsi qu'ils perdirent la couronne.

Charlemagne, grand roi, cruel vainqueur, convertisseur atroce, avait rétabli avec éclat ces mêmes assemblées, ou plutôt il en donna le spectacle; car, sous les rois guerriers et conquérans, et dans un âge d'ignorance, il ne peut y avoir de liberté qu'en image sous les rois sages et pacifiques, on n'est pas encore à l'abri de ce malheur; il n'a de remède

'Considérations sur la Révolution française, par Mme de Staël, tome I, chap. 11.

que dans un code constitutionnel, soutenu, défendu sans cesse par l'opinion publique, avec le secours des lumières et des talens, avec l'énergie et le calme d'un vertueux civisme, avec l'exercice d'une entière liberté de la presse.

35. Sous les faibles successeurs de Charlemagne, on vit dominer l'ignorance, la superstition, les intrigues des courtisans et celles des chefs du clergé : de la vint que Louis-le-Débonnaire perdit plusieurs fois sa couronne, et que sa race fut détrônée.

Les magistratures, données auparavant en bénéfices à tems ou à vie, furent concédées en fiefs héréditaires le régime féodal devint général; bientôt il fut l'unique lien du gouvernement; les grands vassaux formèrent seuls le corps politique; la nation devint la proie des seigneurs de fiefs, et les rois, privés du pouvoir immédiat, furent peu de chose; le royaume ne consista que dans quelques domaines avec la foi et l'hommage sur de proches vassaux qui, maîtres de leurs comtés, de leurs duchés, et se dotant des grands biens des églises, s'arrogeaient tous les droits de la souveraineté. La seconde dynastie fut renversée et remplacée par possesseur du principal fief relevant du trône, par le détenteur des plus riches biens nationaux enlevés aux plus opulentes abbayes du royaume, ce fut dans la possession de l'abbaye de Saint-Martin de Tours et de la chape révérée de cet ancien prélat, que Hugues-le-Grand tira son nom de Capet,

le

Cappatus, depuis écrit et prononcé Capetus, et qui devint le nom de la race illustre des Capétiens.

36. Du sein de l'anarchie féodale et des plus épaisses ténèbres, dans le neuvième et le dixième siècle, on vit s'élever la noblesse privilégiée qui s'éteignit en très-grande partie dans les croisades et dans les autres guerres publiques ou privées, et par le commerce qu'elle appelait dérogeance, mais, elle se renouvela, elle se multiplia par la simple possession des fiefs ou des offices, par les mères, par la bâtardise jusqu'à Henri IV, et constamment par des généalogies supposées, par des anoblissemens usurpés, octroyés, payés argent comptant; elle devint une nation dans la nation, et l'un des trois ordres aux états généraux particuliers. Outre les exemptions d'impôts, elle s'attribua exclusivement les hauts emplois ecclésiastiques et civils; et, au dix-septième, au dix-huitième siècles, toutes les places de juges, dans les cours dites souveraines; enfin, en 1781, tous les grades militaires, à commencer par celui de sous-lieutenant. Sans doute, des institutions si absurdes et si oppressives ont dû s'anéantir au réveil de la raison, ou se changer en des qualifications nominales, sans priviléges et sans action perturbatrice.

37. La monarchie resta long-tems éclipsée par le régime féodal: les seigneurs grands et petits se

'Histoire litt. de la France, tom. XIII, pag. 335; et Mémoires de l'Institut, classe d'histoire, etc. tom. III, pag. 77.

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