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No III.

MÉMOIRE

OU L'ON

OU L'ON EXPLIQUE Les dispositions de l'aRTICLE 6 DU CAPITULAIRE DE
CHARLES-LE CHAUVE, DONNÉ A PISTES, EN L'AN 864, ET
RÉFUTE L'INTERPRÉTATION NOUVELLE DE CET ARTICLE, PUBLIÉ DANS
LE MONITEUR AU MOIS D'AVRIL 18161.

L'article 6 de ce capitulaire (ou de cet édit qui renferme en effet plusieurs capitulaires) énonce, pour en motiver les dispositions, la célèbre maxime, lex fit consensu populi et constitutione regis. Les savans ont regardé jusqu'ici cette maxime et cet article comme une des preuves directes les plus convaincantes de la nature mixte de notre gouvernement au neuvième siècle, ou de l'ancienne participation des Français à l'autorité législative. Sur ce point, l'abbé de Mably n'était pas invenil ne faisait que répéter et fortifier ce que l'on

teur;

(1) Ce mémoire a été écrit pour être lu à l'académie des inscriptions et belles-lettres. L'auteur en avait fait de sa main une copie très-soignée, qui a été dérobée chez lui avec d'autres papiers pendant sa dernière maladie. C'est à grand peine qu'on a pu rétablir le texte sur un brouillon très-informe. (Note de l'éditeur.)

avait observé, ce que l'on admettait sans controverse, avant qu'il eût mis au jour ses Observations sur l'Histoire de France.

par

Mais, en 1826, époque remarquable sous plus d'un rapport, une société anonyme qui est annoncée comme travaillant dans un esprit particulier, a cru découvrir que cet axiôme n'est point relatif à la formation des lois; se mettant en contrariété avec la lettre de notre maxime, avec le contexte de notre article et des autres lois françaises du même tems, elle devine, elle affirme d'après une conjecture toute gratuite, qu'il ne s'agit ici que de la formation des procédures et des jugemens l'accord et le concours du peuple; elle déclare que la doctrine contraire et commune est une grave méprise, une infidélité; un travestissement frauduleux. Ainsi on a entrepris, en 1826, de refaire en partie notre histoire, d'altérer un des monumens les plus remarquables de nos antiques libertés, pour l'accommoder à des préjugés, à des opinions, à des intérêts, à des passions. C'est là ce que je me propose de faire voir sans autre but que de maintenir la vérité des faits, et sans y attacher trop d'importance politique, bien instruit que pour la France constitutionnelle parvenue au dix-neuvième siècle, il faut aller chercher la mesure des garanties sociales et des règles de droit public, bien ailleurs que dans cette époque d'ignorance et de confusion, de guerres étrangères, de guerres civiles continues, d'usurpation papale, de gouver

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nement hiérocratique, enfin d'anarchie féodale en `pleine marche.

On voit assez par mon titre et par cet exposé, que le sujet de ce mémoire n'excède point nos attributions telles que l'autorité les a dernièrement définies. Je n'entends point vous occuper de théories ni morales ni politiques, mais seulement d'histoire et d'antiquités, des règles et des usages français du neuvième siècle. Il ne faut pour les éclaircir qu'un peu de grammaire et de critique appliquées à la basse latinité. Je resterai, avec scrupule, renfermé dans ces limites; je ne dirai rien de relatif à notre époque, si ce n'est un mot pour faire mieux connaître l'occasion et la convenance du travail que j'ai l'honneur de soumettre au jugement de l'académie. J'ai cru naturel de commencer par transcrire le texte de notre article 6, et par ana→ lyser la nouvelle explication qui en a paru. Sirmond, en 1623, a le premier publié le capitulaire de l'an 864, sous le nom d'édit de Pistes, Baluze et Chiniac l'ont inséré au tome 2o de leurs éditions des capitulaires, il se trouve aussi dans la collection des Rerum Gallicarum Scriptores, et en d'autres collections, mais sans aucune variante qui mérite l'attention.

Après une phrase dévotieuse où, selon l'usage - d'alors, il parle de la malice du démon, et de l'aveugle fragilité du genre humain, on lit dans notre article 6 sicut ad nos perventum est quod quidam leves homines de istis comitatibus qui devas

:

tati sunt a Normannis, in quibus res et mancipia et domos non habent, quasi licenter malum faciunt; quia, sicut dicunt, non habent unde ad justitiam faciendam adducantur: et quia non habent domos ad quas secundum legem mannire et banniri possint, dicunt quod de mannitione vel bannitione, legibus comprobari, et legaliter judicari non possunt. Contra quorum malas insidias, consensu et consilio fidelium nostrorum; statuimus ut comes missum suum ad illam terram in quá domos quis habuit mittat, et eum bannire et mannire jubeat. Et quoniam lex consensu populi fit et constitutione regis, Franci jurare debeant quia secundum mandatum nostrum, ad justitiam reddendam vel faciendam legibus bannitus vel mannitus fuit; et sic ipsæ res illi judicio scabiniorum in bannum mittantur, et si necesse fuerit, ipse in forbannum mittatur qui ad justitiam reddendam venire noluerit. Et mandet comes qui hoc executus fuit, alteri comiti in cujus comitatu res et mancipia habet quid inde factum habeat, et ex nostro verbo illi mandat ut per illa quæ in suo comitatu habet, illum distringat quatenus ad justitiam reddendam vel faciendam in suum comitatum redeat.

L'écrivain qui s'est rendu l'organe de la société anonyme que j'ai désignée, prétend qu'il n'y a point là de règle ou de coutume énoncée relativement au concours du peuple à nos anciennes lois. Dans ce texte, il n'est question, dit-il, que de

procédure et de jugement; c'est à son avis par un étrange abus, par un artificieux subterfuge, que Mably a trouvé dans cette phrase lex consensu populi fit et constitutione regis, le concours actif de l'assemblée politique, au lieu de son accord silencieux. A la bonne heure, que cette phrase soit exactement transcrite par Mably; elle n'en sert pas moins de reproche à sa sincérité. Il aurait dû se rappeler que leges agere signifiait en bon latin, poursuivre en justice, et qu'il est prouvé par Ducange, en son Glossaire de la Basse Latinité, que lex dans legem facere a signifié en bas latin, action judiciaire exercée, jugement, amende ordonnée; qu'ainsi lex fit, etc, dans notre art. 6, doit se traduire : justice est rendue, par le consentement du peuple et l'ordonnance du roi. On peut aussi trouver dans cet axiôme (en se fondant apparemment sur les mots qui suivent Franci jurare debeant), un acheminement à nos jugemens par jurés, mais nul concours du peuple à la formation des lois.

Cet article raconte que des sujets de cantons ravagés par des Normands, se livraient au brigandage, et se fiaient pour le continuer impunément sur ce qu'ils n'avaient plus de domicile, ou de lieu où on pût les faire ajourner à comparaître devant le comte du lieu du délit. En conséquence, le roi ordonne, du consentement et de l'avis de ses fidèles, qu'ils soient cités aux lieux où ils avaient leurs biens, et comme justice, instruction judiciaire et

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