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102. On écrivait sur l'oubli des opinions et des votes, et, en même tems, on imprimait de nouveau, on réimprimait encore, on redistribuait les opinions, on insultait, on menaçait les votans; on est allé jusqu'à observer, qu'à la différence du roi, le monde n'avait pas promis d'oublier, et jusqu'à prévoir que le monde pourrait bien rompre le silence'. On se résignait à faire grâce aux intérêts de la révolution, mais c'était en prononçant, contre ses fondateurs et ses défenseurs, l'anathême qui retombait sur la nation presque entière; en revendiquant tous les emplois pour un petit nombre d'hommes qu'on affectait de nommer les hommes légitimes et les Francs régénérés, et qui n'étaient que les implacables ennemis de la Charte.

103. Les jésuites, fidèles à leurs anciens systèmes de despotisme ecclésiastique et politique, commençaient à reparaître dans le royaume sous des noms déguisés. Déjà ils y formaient des établissemens illégaux, dont le nombre s'est accru et s'accroît encore. Dès le mois de mai 1814, ils avaient fait demander, à Nîmes, leur rétablissement par pétition notariée. Au lieu de faire jouir la nation des libertés constitutionnelles; au lieu de s'appliquer à élever la jeunesse dans la connaissance et l'amour des idées libérales consacrées par la Charte, on semblait avoir entrepris de convertir les Français

'On ne pouvait pas mieux dire que la Charte du roi, la loi des lois. n'oblige point le monde.

à des doctrines contraires; on stipendiait des journaux ouvertement anti-constitutionnels, et l'on autorisait ces missions politico-religieuses, devenues trop célèbres par leur zèle perturbateur; on s'occupait à exclure de l'Institut, contre la loi et sans la loi, ceux qui en furent depuis retranchés sans loi et contre la loi, comme s'il n'y avait pas aussi des légitimités littéraires.

104. Le ministre de la guerre provoquait un monument à la gloire des huit cents Français morts à Quiberon, les armes à la main contre leur patrie. Un ancien officier de chouannerie, fait lieutenantgénéral, était envoyé en mission, paraissait à Rennes avec éclat, pour y annoncer par affiches imprimées, pour y décerner des récompenses honorifiques et pécuniaires à ses anciens compagnons, auteurs de tant de meurtres à domicile, etc.; et il était forcé de quitter cette ville par un mouvement d'indignation publique. L'état-major de la Vendée continuait de subsister; il distribuait au dehors et au dedans ses diplômes de l'ordre du lis, dans lesquels il déclarait cet ordre, qu'on faisait prendre alors aux membres de la chambre des pairs et à presque tous les Français, institué précisément pour récompenser les Vendéens. Les cadres des insurgés de la Vendée et de la chouannerie étaient maintenus avec soin'; on en passait les troupes en revue pu

1 Ces cadres ont-ils cessé tout-à-fait de subsister et d'être entretenus? Sans eux aurait-on formé, en 1818, le complot révélé et poursuivi cri

bliquement. On distribuait à tous les pairs un mémoire pour la maison hospitalière de Sainte-Périne, dans lequel, blàmant avec amertume les concessions de la Charte et ses institutions, l'on prophétisait que le roi pourrait un jour établir un ordre plus vrai, en faisant cesser l'ordre actuel. On leur distribuait la note imprimée sous le nom fameux de Sabatier de Castres, qui poussait à une SaintBarthélemí nouvelle. Ces pièces et une partie de ces faits furent dénoncés positivement à la chambre des pairs, par un de ses membres, le 1" décembre 1814, et il y eut à ce sujet une discussion sans résultat. Des bruits sinistres étaient répandus en janvier 1815; et, le 21 de ce mois, les constitutionnels se préparaient à défendre leur vie.

er

CHAPITRE IX.

Interrègne en 1815. Efforts de la nation française pour assurer son indépendance au dehors, et sa liberté au dedans, sous une monarchie constitutionnelle et représentative.

105. TANT de violations, d'injustices et d'imprudences, tant d'autres fautes de détail, auxquelles il serait inutile de s'arrêter, excitaient par

minellement à Vannes, d'ériger l'ancienne province de Bretagne en souveraineté indépendante, sous la protection de l'Angleterre ?

Voy. la note page 76.

tout l'inquiétude et l'irritation la plus vive; elles décidèrent apparemment Napoléon à quitter son île d'Elbe, trop voisine, pour notre repos, des côtes méridionales de France; à essayer de ressaisir les rênes du gouvernement, durant le congrès des puissances à Vienne, et malgré le voisinage de leurs armées.

Les navires d'Angleterre, qui devaient empêcher son évasion, semblaient conniver à l'entreprise. Tout-à-coup le commissaire anglais surveillant l'île d'Elbe, la quitte pour donner un bal à Livourne : c'était vers la fin de février. Aussitôt Napoléon s'embarque avec quelques centaines d'hommes; sans nul obstacle, il traverse la mer; il aborde paisiblement sur les côtes de Provence; et, s'annonçant pour un libérateur, il se dirige sur Paris, soutenu par une troupe de militaires, applaudi ou souffert par les citoyens. Grenoble lui ouvre ses murailles; on s'incline à l'aspect des couleurs nationales, merveilleux talisman dont il abusait, parce qu'on n'avait pas eu la prévoyance de se l'approprier, ne fût-ce qu'afin de l'en priver. Le peuple écoute avec avidité la mensongère promesse du retour prochain de Marie-Louise et de l'entière abolition de toute noblesse féodale, selon les décrets de 1791. L'espoir d'être secouru par l'Autriche, de recouvrer la Belgique et la frontière du Rhin, anime les Français. Tout cède à l'annonce d'une constitution plus libérale que celle de Louis XVIII, qui serait discutée, acceptée,

développée, et, ce qu'il y avait de plus désirable, vraiment exécutée.

Bientôt, avec le titre d'empereur des Français, il est reçu dans Lyon, cette seconde capitale, cette ville martyre du royalisme, où l'héritier du trône est froidement accueilli par les citoyens et par les légions. Les troupes envoyées contre Napoléon, marchent pour lui et le proclament; il déploie l'autorité d'un dictateur, et son cortége redoutable grossit à mesure qu'il avance. Il est arrivé à Fontainebleau, on l'attend à Paris pour le lendemain, et il y entrera sans qu'une amorce ait été brûlée pour maintenir sur le trône la race de saint Louis, que les ex-privilégiés, les flatteurs de cour ont mise encore dans le dernier péril, et qu'une seconde fois ils ne peuvent défendre.

106. Louis XVIII et sa famille sont réduits à quitter le royaume, après avoir trop tard, en présence des deux chambres extraordinairement convoquées, juré fidélité à la Charte, après l'avoir inutilement recommandée, par une loi, à l'affection et au courage des guerriers, des fonctionnaires civils et de tous les citoyens. Ils éprouvent que si un édifice a été, pendant la belle saison, laissé à découvert et sans défense contre les mal intentionnés, c'est en vain que l'on croit y trouver un abri pendant le trouble et les orages.

107. Déjà Bonaparte a prononcé la dissolution des deux chambres royales; mais il ne proscrit point ceux qui l'ont abandonné, ceux qui ont ac

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