Page images
PDF
EPUB

tribunaux apprécieront le fait; voilà quant au sens de ce mot publiquement, et quant à cette expression: d'une manière · quelconque, le Gouvernement entendait les moyens énumérés dans la loi de 1819, et d'autres laissés à l'appréciation du juge. Mais, continuait M. Legrand, à quoi faut-il avoir provoqué pour être atteint par l'article 1er? L'article 86 du Code pénal s'applique à la fois à des crimes et à des délits. Sera-t-on puni pour avoir provoqué aux uns et aux autres ?

Autre réponse de M. Langlais, et celle-ci était concluante. Elle était tirée de la rédaction même de l'article 1: « Tout individu qui a provoqué publiquement, d'une manière quelconque, aux crimes prévus par les articles 86 et 87,» aux crimes et non aux délits. Un dernier point était ensuite établi par l'orateur du Gouvernement, c'est qu'il s'agissait, dans cet article 1"", de la provocation non suivie d'effet: les lois de septembre 1835 ayant été abrogées, il y avait nécessité de proposer la disposition nouvelle consacrée par l'article en discussion.

L'article 2 était relatif aux manœuvres ou aux intelligences pratiquées à l'intérieur ou à l'étranger. Expressions également jugées trop vagues par le marquis de Talhouet. On cût dû cependant comprendre qu'une loi de ce genre ne pouvait guère préciser. M. Baroche retrouvait ces expressions dans le Code pénal de 1791, et avec le même sens. Lors de la discussion du Code de 1810, on s'en référa à l'appréciation des tribunaux.

M. Ollivier eût voulu savoir la signification exacte de l'article 2. Il y était question d'intelligences à l'intérieur ou à l'étranger. Qu'entendait-on par les premières? Sera-t-il défendu, par exemple, de blâmer les actes du Gouvernement dans une lettre adressée à un ami, habitant en France? Manœuvres et intelligences! expressions vagues que celles-là.

Ces expressions, répond M. Baroche, sont définies par les auteurs et la jurisprudence. Une lettre saisie, renfermant un blâme, une critique, une attaque même contre le Gouvernement, ne constitue pas une manœuvre, dans le sens de la loi. Il faut l'habitude et le but coupable. Les autres articles du projet ne donnèrent lieu à aucun débat important. Sur 251 votants 24 se dé

clarèrent contre la loi proposée; en conséquence elle était adoptée. De son côté le ministre de l'intérieur et de la sûreté générale adressa aux préfets une circulaire destinée à leur faire connaître l'esprit qui présiderait à son administration.

« Le public, disait M. Espinasse, se préoccupera peut-être de l'avénement d'un militaire à des fonctions purement civiles. Assignons sa véritable signification à un fait dont il ne faut ni dénaturer ni atténuer le caractère. » Au rapport du ministre, la France, tranquille, prospère et glorieuse, s'était abandonnée, depuis six ans, à une confiance excessive sur les passions anarchiques; mais un exécrable attentat était venu dessiller tous les ycux, et avait révélé les ressentiments sauvages, les coupables espérances couvant encore au sein du parti révolutionnaire. Son odieuse tentative venait de réveiller les appréhensions du pays. « Nous lui devons, continuait le nouveau ministre, les garanties de sûreté qu'il réclame. Il n'est question ni de mesures discrétionnaires, ni de rigueurs superflues: il est besoin d'une surveillance attentive, incessante, empressée à prévenir, prompte et ferme à réprimer, calme toujours comme il convient à la force et au droit; il faut enfin que nos populations justement alarmées sachent bien qu'aujourd'hui encore, c'est aux bons à se rassurer et aux méchants seuls à trembler. » Ce qui expliquait le choix que l'Empereur avait fait du général qui faisait appel au concours énergique et soutenu des premiers magistrats départementaux.

Le ministre résolu à atteindre le but assigné à ses fonctions avait devancé le vote de la loi de sûreté générale en demandant (13 février) au Corps législatif un crédit supplémentaire de 1,200,000 francs, pour subvenir aux dépenses secrètes. Cette demande était motivée laconiquement, et pour ainsi dire militairement. « Dans les circonstances actuelles, disait M. Espinasse, nous n'avons pas besoin d'insister auprès de vous, Messieurs, sur la nécessité d'augmenter, soit en France, soit à l'étranger, les moyens de surveillance spéciale confiée au ministre de l'intéricur. » Ajoutons, que des arrestations nécessairement causées par les considérations qui se rattachaient aux derniers événements,

eurent lieu à Paris et dans les départements; les individus ainsi arrêtés furent transportés en Algérie.

Il était naturel et louable de la part du Gouvernement de songer à assurer le sort des victimes de l'attentat du 14 janvier. Tel fut l'objet d'un projet de loi présenté le 6 avril au Corps législatif par le ministre d'Etat. On lit dans l'exposé des motifs que l'explosion atteignit cent soixante personnes. Neuf succombèrent ; cinq laissaient une veuve et des enfants ; quatre appartenaient à des familles malheureuses. Enfin treize personnes avaient reçu des blessures entraînant une infirmité permanente. Le projet proposait de concéder aux veuves une pension de 1000 francs; aux pères et mères une pension de 600, réversible au survivant; enfin une pension de 600 francs aux blessés restés infirmes. Une seule de ces dernières pensions était portée à 1000 francs, vu la gravité de la blessure. Une somme de 30,000 francs une fois payée était demandée pour venir en aide à des personnes blessées moins grièvement.

Au tableau des individus appelés à jouir de ces pensions, joint au projet, un décret en date du 24 avril en ajouta un autre complémentaire du premier, et qui fut également communiqué au Corps législatif.

La commission chargée de l'examen de la proposition du Gouvernement distingua avec raison entre les personnes atteintes parce que la curiosité les avait attirées ce soir-là aux abords de l'Opéra, et celles qui avaient été frappées autour du chef de l'Etat dans l'accomplissement de leur devoir, et le Conseil d'Etat se rangea à un amendement formulé dans ce sens, ainsi que cela résulte du rapport de M. de Piré.

Après avoir proposé l'adoption du projet ainsi amendé, l'honorable rapporteur ajoutait ce qui suit : « Nous ne saurions terminer, Messieurs, sans nous faire vos interprètes, non pour rendre hommage à l'attitude de l'Empereur en cette funèbre soirée du 14 janvier, chacun connaît son mépris du danger, mais pour payer un juste tribut d'admiration à la noble fermeté de l'Impératrice. Dans cette intrépidité de la souveraine, dominant la faiblesse de la femme, il y a, nous en avons tous le sentiment,

comme une héroïque consécration de ses droits d'épouse et de mère. On peut désormais le dire avec confiance: tout attentat dirigé contre Napoléon III, proclame dans l'avenir l'avènement de Napoléon IV. »

La loi proposée n'était pas de nature à donner lieu à des débats. Le 18 novembre, elle était promulguée.

[ocr errors]

CHAPITRE II.

Suite des travaux du Corps législatif. Projets relatifs à l'économie sociale et aux finances. - Modifications des dispositions du code de procédure en matière d'ordre hypothécaire. - Amendements de la Commission. - Discussion et adoption. Projet ayant pour objet de substituer le Crédit foncier de France à l'Etat, pour les prêts à faire à l'agriculture en matière de drainage. Observations de la Commission; discussion et adoption. Projet relatif aux travaux de défense contre les inondations. - Rapport de la Commission et discussion. Adoption. Défrichement des bois des particuliers. - Projet relatif à un traité entre le Gouvernement et la ville de Paris pour l'ouverture de nouvelles voies de communication. Amendements de la Commission. Importants débats; adoption.-Les lignes télégraphiques: projet à cet égard. Adop tion. Le transport des dépéches entre Marseille, la Corse et la Sardaigne. Adoption. Double projet relatif aux Warrants et aux ventes publiques de marchandises déposées dans les magasins. Idées du Gouvernement et de la Commission. - Débats et adoption. — Projet relatif aux douanes. -Autre projet relatif aux brevets d'invention.Budget de 1859 Projet du Gouvernement et compte rendu de la Commission. Remarquable rapport de M. Devinck. Amendements adoptés ou refusés par le Conseil d'Etat. Intéressants débats; adoption. — Budget de 1855; règlement définitif. Crédits supplémentaires de certains exercices. Observations de la Commission. Crédits spéciaux : 1° en faveur des instituteurs primaires; 2° en vue d'acquisitions scientifiques. Les péages du Sund; projet à ce sujet. Adoption. L'impôt du recrutement; appel de 100,000 hommes. Projet relatif aux substitutions de numéros. Adoption.

Tout en accordant aux circonstances et à une politique amenée par elles, le concours qui lui était demandé, le Corps législatif donnait une prudente attention aux projets d'intérêt général qui lui étaient présentés par le Gouvernement. C'est surtout au sein des commissions que se faisait cette élaboration, alors sur tout qu'elle ne portait que sur des matières civiles. Dans le mécanisme actuel des attributions respectives du Corps législatif et du Conseil d'Etat, celui-ci est, il est vrai, parfaitement libre d'accueillir ou repousser un amendement; mais il est dans la nature des assemblées délibérantes de faire des efforts pour accroître

« PreviousContinue »