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encore la glorification des souvenirs et des espérances de la pensée républicaine. Plusieurs fois avertie depuis deux ans, puis suspendue, elle ne pouvait désormais qu'être supprimée.

Quant au Spectateur (ancienne Assemblée nationale), il avait, au milieu des paroles d'horreur que lui inspirait l'attentat du 14 janvier, trouvé l'occasion de protester de nouveau en faveur des principes qu'il défendait, et sans tenir compte de l'histoire, oubliant l'assassinat d'Henri III, d'Henri IV et du duc de Berry, il ajoutait : « qu'autrefois ces détestables passions trouvaient un frein dans cette loi salutaire de la monarchie qui, en plaçant au-dessus de tous les changements et de toutes les ambitions le principe d'hérédité, rendait ces crimes inutiles, et leur ôtait en quelque sorte toute raison de se produire... » C'est par trop oublier, reprenait le Ministre, que l'hérédité de la couronne, dans la Famille impériale, est le principe fondamental écrit par huit millions de suffrages dans notre constitution. « Cinq fois averti, deux fois suspendu, ce journal ne pouvait plus encourir qu'une peine, la suppression. « Ces mesures de sévérité sont légitimes. Le Gouvernement d'une grande nation ne doit pas plus se laisser miner sourdement par les habiletés de la plume, qu'attaquer violemment par les brutalités sauvages des conspirations. » Ainsi concluait M. Billault.

C'est parmi ces graves préoccupations du moment que, le 18 janvier, la Session législative fut ouverte par l'Empereur. On comprend que le discours impérial devait s'en ressentir à certains degrés. Rarement, cependant, la parole de Napoléon III avait été plus ferme et plus imposante.

Après avoir constaté que depuis l'année dernière, le Gouvernement avait suivi sa marche progressive et régulière, « exempte de toute vaine ostentation, » l'Empereur faisait une observation d'une haute portée : « On a souvent prétendu, disait S. M., que, pour gouverner la France, il fallait sans cesse donner comme aliment à l'esprit public quelque grand incident théâtral; je crois, au contraire, qu'il suffit de chercher exclusivement à faire le bien pour mériter la confiance du pays. » Venait l'examen de l'action du Gouvernement, dans les branches diverses de l'administration:

Agriculture. L'exportation et la distillation des grains autorisées de nouveau dans son intérêt, et le Crédit foncier devenu plus fort par l'appui de la Banque. Les landes commençaient à se défricher.

Travaux publics : 1,330 kilomètres de chemins de fer livrés, en 1857, à la circulation; concession de 2,600 autres kilomètres ; création de routes nouvelles; ouverture à la navigation, du bassin à flot de Saint-Nazaire et du canal de Caen à la mer; achèvement des études en vue de prévenir les inondations; amélioration des ports, entre autres, du Havre, de Marseille, de Toulon, de Bayonne; exploitation de nouvelles richesses houillères; à Paris, inauguration du Louvre et de l'Asile de Vincennes; enfin, à Paris encore, comme à Lyon : « des quartiers ouverts, pour la première fois depuis des siècles, à l'air et à la lumière; et sur toute la France, les édifices religieux se construisant à nouveau ou se relevant de leurs ruines. >>

Instruction publique. - Développement de celle que donne l'Etat à côté de l'enseignement libre, loyalement protégé. Accroissement du nombre des élèves des lycées. « L'enseignement, redevenu plus religieux et plus moral, se relève avec une tendance vers les saines humanités et les sciences utiles. >> Réorganisation du collège de France; extension de l'instruction primaire. CULTES. La volonté du Gouvernement, continuait le chef de l'Etat, est que le principe de la liberté des cultes soit sincèrement appliqué, sans oublier que la religion catholique est celle de la grande majorité des Français. » Constatation que cette religion n'avait jamais été ni plus respectée, ni plus libre; que les conciles provinciaux s'assemblaient sans entraves, et que les évêques jouissaient en toute plénitude de l'exercice de leur saint ministère. Luthériens et réformés, ainsi que les israélites, participaient dans une juste proportion aux subventions de l'Etat, et en étaient également protégés.

Fonctionnaires publics.-Augmentation des appointements des moins rétribués; de même, quant aux traitements des desservants, des professeurs, des instituteurs; amélioration de l'ordinaire du soldat et augmentation de solde en faveur des officiers de grade inférieur.

Mesures d'assistance. Propagation des secours mutuels ; institution de médecins cantonaux ; établissement de fourneaux économiques dans les villes. Enfin, distribution d'un million pour venir en aide aux populations le plus gravement atteintes par l'interruption accidentelle du travail.

Budget et ressources financières.- Le budget de 1859 se solderait par un excédant de recettes; l'action de l'amortissement pourrait être rétablie, le grand-livre fermé, la réduction de la dette flottante assurée.

« Le commerce, disait S. M., a éprouvé en dernier lieu des souffrances et un temps d'arrêt; mais la fermeté de son attitude au milieu d'une crise pour ainsi dire universelle, est, aux yeux de tous, un honneur pour la France, et justifie les principes économiques conseillés par le Gouvernement en matière de commerce, de finances et de crédit. »

Revenus directs et indirects. - Accroissement de 30 millions pendant l'année qui venait de finir.

Projets d'intérêt général, nouveaux.-Une loi sur les patentes, en vue de dégrèvement des petits contribuables; un nouveau code militaire de la marine, et l'affectation de vingt millions restant sur les emprunts, à l'achèvement des travaux destinés à mettre les villes à l'abri des inondations. Telles seraient les propositions qui seraient soumises aux chambres.

Algérie. « Reliée à la France par le fil électrique, elle a vu, c'est l'Empereur qui le rappelait, nos troupes » se couvrir d'une nouvelle gloire par la soumission de la Kabylie. Cette expédition, habilement conduite et vigoureusement exécutée, a complété notre domination. N'ayant plus d'ennemis à combattre, l'armée aurait, difficultés nouvelles, des voies ferrées à ouvrir. En France, elle trouverait, dans le camp de Châlons, une grande école qui maintiendrait à leur hauteur actuelle l'esprit et l'instruction militaire.

Anciens soldats; la médaille de Sainte-Hélène. « Plus de trois cent mille hommes, en France et à l'étranger, ont demandé cette médaille, souvenir de l'Epopée impériale, et en la recevant, ils ont pu se dire avec fierté : « Et moi aussi je faisais partie de la grande armée, » paroles, ajoutait Napoléon III, que l'Empe

reur, à Austerlitz, avait raison de leur montrer dans l'avenir comme un titre de noblesse.

Marine. Maintien par elle, sur toutes les mers, de l'honneur du drapeau français. En Chine, elle luttait de concert avec la flotte anglaise pour l'obtention du redressement de griefs communs, et pour venger le sang des missionnaires « cruellement massacrés. »

Relations avec les puissances étrangères. Jamais elles n'avaient été meilleures; même confiance de la part des anciens alliés, « fidèles aux sentiments d'une cause commune, » et les nouveaux, « par leurs bons procédés, par leur concours loyal dans toutes les grandes questions, nous feraient presque regretter de les avoir combattus. »> « J'ai pu me convaincre, à Osborne, comme à Stuttgard, remarquait l'Empereur, que mon désir de conserver l'intimité des anciens liens, comme celui d'en former de nouveaux, était partagé également par les chefs de deux grands empires. »

Pourquoi la politique de la France était-elle appréciée comme elle le méritait en Europe? « Parce que, répondait Napoléon III, nous avons le bon esprit de ne nous mêler que des questions qui nous intéressent directement, soit comme nation, soit comme grande puissance européenne. » Aussi bien le Gouvernement impérial s'était-il gardé de s'immiscer dans la question des Duchés, et s'il s'était occupé de l'affaire de Neuchâtel, c'est que le roi de Prusse avait réclamé ses bons offices, et l'Empereur avait été heureux, dans cette occasion, de contribuer à la conclusion définitive d'un différend qui aurait pu devenir dangereux pour le repos de l'Europe. » Quant aux Principautés, si la France avait été en désaccord avec plusieurs de ses alliés, c'est que, dans sa politique désintéressée, elle avait toujours protégé, autant que les traités le permettaient, les vœux des populations qui avaient tourné les regards vers elle. Néanmoins, S. M. annonçait que dans les Conférences qui allaient s'ouvrir à Paris, son Gouvernement apporterait un esprit de conciliation « de nature à atténuer les difficultés inséparables de la divergence des opinions. D

L'Empereur eût pu, il le faisait observer, terminer à cet en

droit ce discours qui résumait la situation; «< mais, disait il, je prois utile, au commencement d'une nouvelle législature, d'examiner avec vous ce que nous sommes et ce que nous voulons. Il n'y a que les causes bien définies, nettement formulées, qui créent des convictions profondes; il n'y a que les drapeaux hautement déployés qui inspirent des dévouements sincères. >>

« Qu'est-ce que l'Empire? continuait Sa Majesté. Est-ce un gouvernement rétrograde, ennemi des lumières, désireux de comprimer les élans généreux et d'empêcher dans le monde le rayonnement pacifique de tout ce que les grands principes de 89 ont de bon et de civilisateur?

Nou, l'Empire a inscrit ces principes en tête de sa Constitution; il adopte franchement tout ce qui peut ennoblir les cœurs et exalter les esprits pour le bien; mais aussi, ennemi de toute théorie abstraite, il veut un Pouvoir fort, capable de vaincre les obstacles qui arrêteraient sa marche; car, ne l'oublions pas, la marche de tout Pouvoir nouveau est longtemps une lutte. » Et l'Empereur, s'appuyant sur l'histoire de l'Angleterre et de la France, rappelait, comme une vérité, qu'une liberté sans entraves était impossible tant qu'il existait dans un pays une fraction obstinée à méconnaître les bases fondamentales du Gouvernement. « Car alors la liberté, au lieu d'éclairer, de contrôler, d'améliorer, n'est plus dans la main des partis qu'une arme pour renverser. »

Ces hautes considérations, Napoléon III les faisait suivre de cette conclusion bien significative, surtout dans les circonstances actuelles: « Comme je n'ai pas accepté le pouvoir de la nation dans le but d'acquérir cette popularité éphémère, prix trompeur de concessions arrachées à la faiblesse, mais afin de mériter un jour l'approbation de la postérité en fondant, en France, quelque chose de durable, je ne crains pas de vous le déclarer aujourd'hui, le danger, quoi qu'on dise, n'est pas dans les prérogatives excessives du Pouvoir, mais plutôt dans l'absence de lois répressives. »

Le chef de l'État rappelait comme preuve l'affligeant spectacle qu'avaient offert, malgré leur résultat satisfaisant, « les dernières élections. » Les partis hostiles en avaient profité pour agiter

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