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L'armée avait créé la grandeur et le développement du pays; il ne fallait donc plus la négliger. Elle devait être puissante; mais pour cela (le Prince avait bien raison) il fallait de l'argent: on ne devait pas compter avoir une force imposante à bon marché.

De ces considérations à l'examen de la position de la Prusse vis-à-vis des autres nations, la transition était naturelle : le Régent circonscrivait le rôle du royaume dans des rapports amicaux avec les autres puissances, mais dégagés de toutes influences extérieures et sans engagements prématurés.

Quant à l'Allemagne elle-même, il y fallait saisir tous les éléments d'union, tels que le Zollverein, qui du reste «'avait besoin d'être réformé. » Déclaration importante de la part du chef du Gouvernement qui, dans tout le reste de ce discours, traçait en quelque sorte le programme d'un juste milieu politique assez difficile à réaliser aux époques d'orages.

Les élections de la seconde chambre, qui eurent lieu du 12 au 23 novembre, devaient, au sens du Gouvernement du Régent, être empreintes de cet esprit modéré : « Les organes de l'administration, écrivait aux régences le ministre de l'intérieur, devront s'abstenir complétement, dans les élections, de favoriser les directions politiques extrêmes ou exclusives. >>

Dans un avis adressé au président de police, le ministre insistait sur la nécessité de s'opposer partout « par les voies légales » aux opinions et prétentions erronées, aux espérances qui dépassaient la mesure des besoins et des circonstances.

Ainsi la voie était bien tracée. Les choix des électeurs répondirent en somme à l'attente du Gouvernement du Régent (1).

Le parti libéral modéré l'emporta presque partout, à Berlin en particulier. On devait beaucoup à l'attitude convenable de la presse en cette occasion. Nouvellement arrivé au pouvoir, le Gouvernement du Régent ne craignit pas de tempérer sa politique en cette matière.

Jusqu'ici, comme cela s'était vu dans d'autres pays, l'exis

(1) Un fait à noter au point de vue anecdotique, c'est que dans certains districts des électeurs primaires voulaient absolument porter leurs vœux sur le Prince-Régent lui-même.

tence des journaux et recueils périodiques était assez précaire, attendu qu'en vertu d'une loi du 17 janvier 1845, l'imprimeur pouvait être privé, par jugement ou mesure administrative, de sa concession; par exemple, dans le cas de fausse déclaration des bases de l'entreprise. Des objections graves s'élevaient contre cet état de choses: Existence matérielle incertaine, pression de l'administration sur la presse elle-même. Bien qu'il n'appartienne en réalité qu'au pouvoir législatif de résoudre définitivement la question, cependant le ministre de l'Intérieur crut de son devoir de devancer ce moment. Le 15 décembre, il écrivit aux régences royales de suspendre toutes procédures commencées à l'effet de retirer les concessions mentionnées dans la loi actuelle de la presse. Cet acte administratif ne pouvait qu'accroître la confiance qu'inspirait déjà le Gouvernement du Régent.

Malgré ces précurseurs louables de l'administration, elle n'était peut-être pas encore assez homogène. M. d'Auerswald ne s'accordait pas trop avec M. de Flottwell sur les affaires intérieures, et M. Van der Heydt ne s'entendait pas non plus encore avec M. de Patow sur les mesures financières. En ce qui concernait le dissentiment sur l'administration intérieure, M. de Flottwell prétendait maintenir les hommes du précédent ministre, M. de Westphalen. Ce qui ne convenait pas à M. d'Auerswald. Des différences plus profondes d'opinion séparaient le ministre du commerce, qui inclinait vers le monopole, de M. de Patow qui, par exemple, quant aux banques, était porté à leur donner pleine liberté. Et puisqu'il convient de tenir compte de tout ce qui peut influer sur les événements, il est bon d'ajouter que la partie libérale du Cabinet espérait beaucoup des bons conseils que la Princesse-Régente, plus prononcée, disait-on, que le Prince, donnerait à son époux.

Telle était la situation : au dehors, la politique du Régent n'avait encore rien innové. Comme précédemment, sur la grosse question du moment, celle des duchés allemands dans leurs rapports avec la couronne de Danemark, le cabinet de Berlin ne s'écartait pas, quant à présent, des errements du ministère autrichien. D'accord avec celui-ci, il avait déféré cette inextricable question à la Diète germanique.

Finances, commerce et industrie. Le budget pour cette année se balançait assez bien. Comparées aux dépenses ordinaires (120,200,975 thalers), les recettes de la même nature présentaient groupées en chiffres, un excédant de 6,208,803 thalers. La liste civile du Roi, d'ailleurs considérable eu égard aux ressources du pays, donnait annuellement à la Couronne environ 2 millions et demi de thalers (10 millions de francs), produit des domaines. Elle percevait en outre les intérêts de 30 millions communs à la Maison royale, et laissés par le roi Frédéric-Guillaume; enfin, elle encaissait les fonds assignés dans divers ministères pour eertaines dépenses de la Couronne.

En somme, un revenu de plus de 14 millions; et néanmoins, on disait que le budget de la Cour n'était pas absolument en équilibre.

En raison de l'insuffisance des récoltes, la situation commerciale ne fut pas brillante à la fin de l'année. Demandes minimes de l'étranger (306,180 hectolitres seulement), tel fut (juillet et août) le chiffre de l'exportation du froment au dehors. L'étranger demanda aussi moins de bois qu'habituellement.

Fer. Après la Grande-Bretagne et la France, la Prusse était sur la même ligne que la Belgique pour la production de ce métal. En 1857, on y comptait 256 hauts fourneaux, d'une production approximative de 379,963 tonnes de fonte.

Filatures. D'après les dernières statistiques officielles, il y avait dans le royaume vingt filatures comptant 289,000 broches et employant 22,500 balles d'Amérique et 9,000 de l'Inde.

BAVIÈRE.

Admis avec le Wurtemberg, et sur la proposition du Gouvernement français, à prendre part aux travaux de la Commission chargée de déterminer les conditions de la liberté de la navigation sur le Danube, la Bavière aussi bien que le cabinet de Stuttgard tenta d'arrêter les prétentions de l'Autriche au profit des riverains. Mais ceux-ci donneraient-ils à l'œuvre des commissaires la forme de convention avant la sanction du Congrès de Paris? Stuttgard et Munich soutenaient l'affirmative; tandis

que, et non sans raison, la France, l'Angleterre et la Russie soutenaient le contraire. A leurs représentations, le chef du cabinet bavarois, M. de Pfordten, répondit qu'il serait aisé, au moyen d'articles additionnels au traité entre les puissances riveraines, d'avoir égard aux observations ou critiques qu'il pourrait soulever. Le Gouvernement du roi Maximilien et celui de Stuttgard ne songeaient pas que ce mode de procéder les exposait à voir défaire par des stipulations additionnelles l'œuvre réparatrice, à l'égard des riverains, du Congrès de Paris. Toutefois, les ratifications du traité eurent lieu le 6 janvier, et le Gouvernement bavarois publia en son Bulletin des lois (30 novembre) l'acte de navigation du 7 du même mois en le faisant précéder d'une introduction dans laquelle il était dit, que le traité ratifié par toutes les puissances contractantes était porté à la connaissance de tous, pour être observé par tous. Cette ratification n'excluait sans doute pas l'autorité du Congrès de Paris, et c'est dans ce sens que la Conférence l'entendit. (V. Note du Moniteur, chapitre France.)

Au surplus, la politique du Cabinet bavarois n'avait rien de trop absolu dans les questions qui intéressaient les autres Etats. Au sein de la Diète de Francfort, le représentant de la Bavière pouvait se montrer plus modéré que les envoyés des autres puissances, étant d'ailleurs moins intéressé dans certains débats, celui, par exemple, relatif à la forteresse de Rastadt engagé entre la Prusse, l'Autriche et Bade, et le Conflit prolongé entre les Duchés allemands et la Couronne de Danemark. On a vu (Confédération germanique) que le rôle de rapporteur de cette grave affaire avait été maintenu à l'envoyé de Munich, baron de Schrenck.

A l'intérieur, les passions étaient plus vivement excitées. Gouvernement et Etats, animés sans doute des plus louables intentions, projetaient d'utiles réformes judiciaires et administratives. Durant la dernière session les comités délégués à cet effet par les Chambres, reçurent la mission de travailler à la réforme du Code pénal. Mais bientôt le Gouvernement crut s'apercevoir que les tendances de cette délégation des Etats prenaient une direction plus prononcée qu'il ne lui convenait. Il voyait avec quelque inquiétude les idées d'une époque révolutionnaire (1848)

reproduites en cette occurrence par des hommes qui s'étaient fait remarquer alors par leur fougue. Dans ces circonstances, le ministère conseilla au Roi une mesure extrême, la dissolution des Etats. Elle fut prononcée le 30 septembre en présence des députés réunis dans la salle de leurs séances pour nommer leurs commissions. Le décret de dissolution annonçait en outre que le Roi se réservait de faire procéder aux élections d'une nouvelle chambre des députés dans les délais fixés par la Constitution. Il y fut procédé, en effet, dans le courant de décembre. Restait la question de savoir dans quel esprit elles eurent lieu.

SAXE-ROYALE.

Malgré les divisions ou plutôt les tendances opposées entre l'aristocratie que représentait la première Chambre, et les velléités démocratiques que manifestait la seconde branche de la législature, le ministère dirigé par M. de Beust faisait de son mieux pour introduire d'utiles réformes.

Dans le nombre, se trouvait un projet de banque territoriale ou de Crédit foncier. Le baron de Beust n'était pas éloigné non plus de l'idée d'étendre les attributions communales. En quoi ce ministre était conséquent avec l'ensemble de son système politique imprimer une vie en quelque sorte autonomique aux diverses parties du territoire germanique, puis grouper entre eux les Etats secondaires, de manière à opposer en eux une barrière aux puissances de premier ordre.

En supposant que l'unité germanique ne se réalisât pas quelque jour, par une voie ou par une autre, c'était assurément une conception aussi hardie qu'ingénieuse que le chef du Gouvernement tendait à porter dans la pratique. Au dehors, le cabinet dirigé par M. de Beust continuait de suivre la ligne de modération dans laquelle il se tenait volontiers. C'est ainsi que dans le conflit engagé avec le Danemark, tout en ne s'éloignant pas des vœux de l'Allemagne en général, il refusa de se laisser entraîner au delà dela limite modérée qu'il s'était prescrite, nonobstant les efforts du parti de Gotha, dont un ancien ministre, M. Georgi, se fit l'interprète dans la seconde Chambre, et dont, à son tour, M. de

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