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et les débats de la cause. Le caractère propre de l'action en revendication disparait donc ici. Dans la décision des questions de droit, les juges prendront pour guides les lois du pays sur la matière, en première ligne celles qui concernent les affaires de prises; à défaut de dispositions semblables ayant force de loi, les principes en vigueur dans le droit des gens, et avant tout les traités conclus avec les états neutres intéressés et, selon les circonstances, avec le belligérant. Le règlement prussien autorise formellement les conseils de prises à appliquer, dans les cas qui s'y prêteraient, la rétorsion.

La doctrine a critiqué souvent le principe en vertu duquel les tribunaux de prises doivent appliquer avant tout et en toute circonstance les règles formulées en cette matière par le gouvernement qui les institués et au nom duquel ils exercent leurs fonctions. On a essayé de faire prévaloir une maxime toute contraire, c'est-à-dire le principe de la liberté, pour les tribunaux de prises, de s'écarter de la législation intérieure lorsqu'elle est en désaccord avec le droit des gens. Cette opinion se justifie difficilement, parce que la contradiction entre les lois et règlements intérieurs d'une part et le droit des gens général de l'autre sera très souvent douteuse et peu évidente. L'interprétation que préfère chaque juge des prises ne peut, s'il y a contradiction apparente, l'emporter sur celle qui ressort clairement de la législation nationale. Si l'on maintient la force obligatoire de cette législation, les justiciables y trouveront une garantie de stabilité qui ne se rencontre pas dans le pouvoir arbitraire que l'on prétend attribuer au juge.

Gessner admet en principe, comme seule vraie, l'opinion que nous critiquons; mais il arrive finalement à conclure qu'à défaut de tribunaux internationaux de prises qui ne sont pas encore organisés, le juge des prises doit appliquer les lois nationales qui contiennent des dispositions sur les droits et les devoirs des neutres; mais que, dans les cas douteux, cette législation doit être interprétée et appliquée

Loc. cit., p. 398 et suiv.

en proportion de sa conformité avec le droit international '. Les questions souvent difficiles concernant la nationalité des objets saisis et le transfert de la propriété à des neutres, doivent être décidées d'après les principes fondamentaux du droit civil, du droit international privé et du droit commercial. IV. Le jugement peut prononcer :

a) L'acquittement pur et simple;

b) L'acquittement avec allocation de dommages-intérêts; c) La condamnation complète; d) La condamnation partielle.

Il y a lieu d'allouer des dommages-intérêts en cas d'acquittement du navire et si la saisie s'est faite sans motifs suffisants. En Angleterre, toutefois, on s'est montré très rarement disposé à tenir compte de cette circonstance 3. Mais il faut qu'on établisse la faute de la part du capteur et qu'on ne puisse rien

↑ Loc. cit., p. 400 et p. 93. Bluntschli s'exprime dans le même sens (art. 847) et il ajoute: «Nous con-tatons ici de nouveau combien la situation est fausse. Les conseils des prises doivent statuer d'après les règles du droit international. Et cependant ils sont soumis à l'autorité souveraine de l'état qui les nomme et dont ils dépendent. S'ils jugent selon les principes du droit international, sans tenir aucun compte des ordonnances spéciales de leur pays, ils risquent d'être pris à partie par leur gouvernement. S'ils appliquent ces ordonnances spéciales sans tenir compte du droit international, ils sont en faute aussi. Ils ont, dans ces circonstances difficiles, la tâche presque impossible d'éviter tout conflit. Cela se peut lorsque le droit spécial d'un pays est interprété par les tribunaux avec le désir sincère de respecter le droit international. Lorsque le tribunal se trouve en présence d'une contradiction flagrante entre le droit national et le droit international, il est obligé de se soumettre aux lois de son pays. Mais alors l'état qui, par ses lois, a violé les principes du droit international sera responsable vis-à-vis des états neutres dont les ressortissants auront été lésés, car l'état neutre a évidemment le droit de demander réparation du dommage causé en violation des principes universels du droit international. Il pourra exiger que, malgré le jugement du conseil des prises, le navire neutre et sa cargaison soient restitués. Comme le droit international est obligatoire pour toutes les nations, aucun état n'a le droit de s'y sou-traire en faisant des lois qui en violent les principes ». — Voir, en outre, Wheaton, El. II, p. 56; Heffter, 8 173. On trouve de courts aperçus critiques sur des décisions rendues par les conseils des prises dans l'Annuaire de l'Institut de droit international, 1879-80, I, p. 102; également dans Wollheim de Fonseca, loc. cit.

2 Phillimore, II, § 452.

3 Ibid., § 501.

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reprocher au navire saisi. C'est en ce sens que nous faisons nôtres les considérations ainsi développées par Gessner: Le point de vue auquel on doit se placer, le seul qui soit correct, « consiste à faire dépendre l'obligation pour le capteur à dé« dommager le neutre du fait que le capteur a commis une faute en opérant la saisie. Si le neutre ne pouvait pas prouver << sa neutralité au moment de la capture, s'il n'était pas en état « de réfuter un soupçon fondé de délit international, le capteur « était autorisé à la saisie; il serait injuste de l'obliger, en cas « d'absolution du neutre, à des dommages-intérêts ou au << remboursement des frais. Il est naturel que ceux-ci soient mis à la charge du neutre, qui se trouvait par sa faute hors « d'état de prouver la régularité de sa position. Mais si, au « contraire, la saisie a été faite par suite d'une faute du capteur << sans qu'il y ait eu lieu de soupçonner le neutre, le capteur « doit porter les conséquences de sa faute, rembourser les frais << et dédommager le réclamant. » Il n'y a pas de principe bien arrêté sur le point de savoir si le capteur seul est tenu au payement des dommages-intérêts que le tribunal des prises aurait accordés au réclamant, ou si ce dernier a un recours contre l'état auquel appartient le capteur. D'après la jurisprudence anglaise, lorsqu'il s'agit d'un navire de guerre, la responsabilité incombe au capteur ou bien à son supérieur hiérarchique, s'il a agi d'après les ordres que celui-ci lui a donnés; sila capture a été opérée par un corsaire, l'armateur est responsable en même temps que le capitaine, même au delà du montant de la caution 2. D'après le droit français moderne, l'armateur n'est tenu que jusqu'à concurrence de la caution 3. Hautefeuille et Gessner sont d'avis qu'en sus de cette responsabilité du capteur ou du corsaire, l'état dont ils relèvent est tenu de fournir la réparation au réclamant qui a obtenu un jugement favo

Loc. cit., p. 424, 425.

2 Phillimore, III, 8 457, 458.

3 Code de commerce, art. 217.

Droits et devoirs des neutres, IV, p. 375 et suiv.

5 Loc. cit., p. 426 et suiv.

rable si la fortune du capteur ou des armateurs n'y suffit point. En principe, un état n'est responsable des faits et gestes. de ses agents que pour autant que ceux-ci aient commis une faute dans la gestion des affaires fiscales; mais Gessner remarque avec raison qu'on ne saurait introduire une semblable restriction dans les rapports internationaux, où l'état doit répondre des conséquences de tous les actes de ceux qui le représentent. De fait, en sortant de la sphère des procès devant les tribunaux de prises, nous trouvons qu'en cas d'avaries, par exemple, causées par la faute d'un bâtiment de guerre, l'état est, en toute hypothèse, tenu de réparer le dommage quand même les principes du droit civil ne permettraient de prendre à partie que l'auteur de la faute. La pratique est d'accord sur ce point aussi bien en Angleterre qu'en France et en Allemagne.

L'allocation des dommages-intérêts appartient au tribunal de prises, à moins que la législation du pays ne dispose autrement à cet égard 2. Le règlement des prises de la Prusse dit, dans son article 27, que les commandants et officiers des navires de guerre qui agissent contrairement à ses prescriptions peuvent être condamnés à la réparation du dommage causé par leur fait et au payement des frais. Dans les articles qui traitent de la procédure en matière de prises, le règlement déclare (art. 32) que les autorités constituées (le conseil et le conseil supérieur des prises) ne sont pas compétentes pour décider ce qui concerne les frais et la réparation du dommage, particulièrement dans le cas de l'article 17. La décision de ce point exigerait donc, le cas échéant, une procédure séparée. V. La décision est définitive lorsqu'elle n'est plus susceptible d'aucun recours régulier, soit parce que toutes les instances sont épuisées, soit parce qu'il n'en existe pas d'autre, soit parce que le recours n'a pas été fait dans le délai fixé. Le recours en appel ou en cassation, de quelque nature qu'il soit, n'a pas généralement d'effet suspensil.

Loc. cit., p. 427, 428. 2 Phillimore, III, & 452.

VI. La conclusion de la paix arrête la procédure; avec elle prennent fin, en vertu du jus postliminii, tous les droits qui découlent de l'état de guerre. Bluntschli' déclare cependant que, selon les usages du droit des gens, les conseils de prises. peuvent, à moins de dispositions contraires dans le traité de paix, continuer l'instruction des procès pendants devant eux au moment de la conclusion de la paix, mais il ajoute que cette manière de procéder donne lieu à des objections très sérieuses2.

§ 60. - Exécution du jugement.

I. L'exécution d'un jugement de condamnation s'opère au moyen de la vente publique de la prise, ou du versement définitif du prix, si la vente a eu lieu avant la décision judiciaire.

Lorsque, d'après les prescriptions du droit national, le jugement rendu en première instance est immédiatement exécu toire, bien qu'il ne soit pas définitif, cette exécution peut être suspendue si le réclamant donne des garanties suffisantes3.

II. En ce qui concerne la question de savoir si la vente des prises est licite dans les ports neutres, il faut s'en tenir aux principes suivants, abstraction faite, toutefois, du cas prévu au § 57, I, 7, et pour autant que des dispositions conventionnelles spéciales ne règlent point la matière.

1) Les prises qui ont été condamnées par un jugement devenu définitif peuvent être vendues dans un port neutre. Car le

4 Article 862.

2 L'article 13 du traité de paix entre l'empire d'Allemagne et la France, du 10 mai 1871, dit : « Les navires allemands qui ont été condamnés devant les conseils de prises avant le 2 mars 1871 (jour de l'échange des ratifications sur les préliminaires de paix du 26 février) seront considérés comme condamnés définitivement; ceux qui n'auront pas été condamnés audit jour devront être restitués avec la cargaison si elle existe encore. Si la restitution des navires et des cargaisons n'est plus possible, les propriétaires ont droit à une compensation égale à la valeur du prix de vente. » Il avait été déjà stipulé dans l'article 1er de la convention d'armistice du 28 janvier que les prises faites après la conclusion et avant la notification de l'armistice devraient être restituées.

3 Règlement prussien, 8 36 et 37.

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