Page images
PDF
EPUB

de capture ou d'arrêt, n'est ouvert, comme en France, qu'après l'expiration de certains délais ', tandis qu'en Angleterre il l'est, en principe (et moyennant certaines conditions de forme que nous n'avons pas le loisir d'examiner ici), du jour même où l'assuré a été dépossédé de sa chose par la capture ou l'arrêt. Ainsi que l'explique M. Douglas Owen dans sa «Declaration of War » 2: « La capture est, prima facie, un cas de perte totale par assimilation (constructive total loss) et donne à l'assuré le droit de faire délaissement (abandonment) aux assureurs dès la réception de la nouvelle de la capture. »

Une application toute récente de ce principe a été faite par les tribunaux anglais dans l'affaire du Doelwyk. En 1896, alors que l'Italie était en guerre avec l'Abyssinie, ce vapeur, chargé d'armes destinées aux Abyssins, fut capturé en Mer Rouge par les Italiens. Il était assuré en Angleterre, et la police couvrait le risque de capture. L'armateur notifia aussitôt le délaissement aux assureurs, et, sur leur refus d'accepter ce délaissement, les assigna devant la Cour d'Amirauté. Bien que, au cours même de cette instance, le Doelwyk eût été relâché par les Italiens, la Cour d'Amirauté n'en prononça pas moins la validité du délaissement par le motif que, lorsqu'il avait été notifié aux assureurs, la chose assurée était totalement perdue pour l'armateur, et que ce qui s'était produit par la suite ne pouvait être pris en considération 3.

Bien entendu, les règles qui précèdent ne sont pas applicables au cas où des marchandises seraient capturées comme contrebande de guerre, et où les assureurs n'auraient pas agréé expressément ce risque dans le contrat.

Ceci nous amène à faire remarquer, en terminant, que la Déclaration de Paris du 16 avril 1856 a eu pour effet d'atténuer dans une large mesure l'importance de ce risque de capture pour les assureurs, en disposant que, exception faite de la

1 Suivant les Conditions Générales de 1867, de Hambourg, ces délais sont de six mois, neuf mois, ou un an, suivant la région où a eu lieu la capture ou la saisie; mais ils ont été réduits uniformément à deux mois par la Kriegsclausel von 1899 ; ils sont de six mois ou d'un an aux termes du Code de commerce belge (art. 229), ainsi que du Code espagnol (art. 793); de six, douze, ou dix-huit mois, d'après les Conditions Hollandaises (C. de com., art. 667 et suiv.).

2. p. 69,

3. Aff. Buys and others c. The Royal Exchange Assurance, Corporation, 31 mai 1897.

contrebande de guerre, la marchandise neutre n'est pas saisissable sous pavillon ennemi, non plus que la marchandise ennemie sous pavillon neutre ; de sorte qu'à moins qu'il ne s'agisse de marchandises ennemies embarquées à bord d'un navire ennemi, la capture n'existe plus en droit, et on peut ajouter en fait, que de la part des Puissances qui n'ont pas adhéré à la Déclaration de Paris.

Émile AUDOUIN,

Docteur en droit, Secrétaire du Comité des
Assureurs maritimes de Paris.

QUESTIONS ET SOLUTIONS PRATIQUES

Etrangers.

Q. 139.

[ocr errors][merged small]

L'étranger a-t-il droit au bénéfice de l'art. 1382 Code civil lorsqu'il a été en France victime d'un quasi-délit '. Aux termes bien connus de l'art. 1382 Code civil, « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Les étrangers, victimes de quasi-délits, commis en France à leur préjudice, peuvent invoquer le bénéfice de cette disposition. Quel que soit le parti que l'on prenne sur l'interprétation de l'art. 11 Code civil, on aboutit fatalement à cette conséquence pratique qui, d'ailleurs, ne semble pas avoir été contestée. Si, en effet, on part de l'idée que le législateur de 1804 a entendu désigner sous le nom de « droits civils » les droits privés entendus lato sensu, on ne doit pas oublier que ce système, rigoureux en apparence tout au moins, se trouve considérablement atténué, puisqu'on reconnaît aux étrangers la jouissance de ceux de ces droits pour lesquels le législateur leur a accordé une concession purement implicite. La généralité des termes de l'art. 1382 permet, d'ailleurs, de considérer les étrangers comme ayant été placés au bénéfice de cette disposition; la même solution s'impose, à raison du silence observé à cet égard par cette disposition, si l'on admet, avec un second système, qu'en principe les étrangers jouissent, en France, de tous les droits qui ne leur ont pas été expressément refusés.

1. V. Clunet, T. G., Vo Quasi-délit, IV, p. 551.

Reste le troisième système, consacré par la jurisprudence qui, reprenant une distinction de notre ancien droit entre les facultés de droit civil et les facultés du droit des gens, accorde sans aucune condition aux étrangers la jouissance de ces dernières; le caractère essentiellement moral des dispositions de l'art. 1382 et le caractère d'ordre public qu'on est d'accord pour leur attribuer ne saurait laisser de doute sur leur nature de facultés du droit des gens dont, par suite, le bénéfice doit être assuré aux étrangers comme aux natio naux. V. P. Fiore, De la loi qui, d'après les principes du droit international, doit régir les engagements qui se forment sans convention, Clunet 1900, p. 717 et s.; Despagnet. n. 322; Laurent, Droit civil international, t. 7, n. 10; Brocher, t. 2, n. 182; Surville et Arthuys, n. 262.

Au surplus, la jurisprudence a, dans de nombreux cas pratiques, reconnu aux étrangers le droit d'invoquer le bénéfice de l'art. 1382 Code civ. sans que la question semble même avoir été débattue c'est ainsi, par exemple, qu'en matière d'abordage le droit à réparation du préjudice subi n'a jamais été dénié aux armateurs étrangers, tout au moins lorsque l'événement s'est produit dans un port français ou dans les eaux territoriales françaises; de même, en matière d'accidents de personnes, un étranger blessé dans un accident de chemin de fer a toujours pu actionner la Compagnie responsable des lésions dont il a été victime.

Il existe toutefois deux séries d'hypothèses dans lesquelles les tribunaux français ont refusé de faire aux étrangers l'application de l'art. 1382 Code civil. La première série d'hypothèses concerne les accidents dont les ouvriers étrangers sont victimes au cours de leurs travaux ; on sait que la loi du 9 avril 1898, tout en assimilant en principe les ouvriers étrangers aux ouvriers nationaux, refuse cependant tout droit à indemnité aux représentants étrangers des ouvriers morts victimes d'accidents, lorsque ces parents ne résidaient pas en France lors de l'accident. Il semble qu'à défaut des droits découlant de la loi spéciale de 1898, les intéressés devraient pouvoir réclamer le bénéfice de la disposition générale de l'art. 1382 Code civ. La Cour de cassation (16 novembre 1903, Clunet 1904, p. 353) s'est refusée à cette interprétation libérale et humanitaire. V. aussi, dans le même sens, Trib. Seine, 7 novembre 1900, Clunet 1900, p. 111; Paris, 16 mars

1901, ibid. 1901, p. 520; Trib. Chambéry, 23 février 1901, ibid. 1902, p. 97; V. aussi Trib. civ. Valenciennes, 24 octobre 1901, ibid. 1902, p. 310. Ces décisions de la jurisprudence ont soulevé dans la doctrine des protestations assez vives. V. note sous Trib. Seine, 7 nov. 1900, Clunet, loc. cit.; F. de Saint-Charles, Le risque professionnel de l'ouvrier étranger, questions pratiques de législation ouvrière et d'économie sociale, 1901, p. 54; P. Pic, Tr. élémentaire de législation industrielle, Les lois ouvrières, n. 115, p. 817, note 5; B. Raynaud, Les accidents du travail des ouvriers étrangers, p. 90 et s.

La question de la concurrence déloyale a donné naissance à des décisions analogues de la part des Cours et tribunaux français; on a prétendu que les commerçants et industriels étrangers ne pouvaient se plaindre des faits de concurrence déloyale dont ils étaient victimes que si le pays étranger où ils sont établis usait en çes matières de réciprocité légale ou diplomatique à l'égard des commerçants et industriels français. On invoque, à l'appui de ce système, cette considération que le législateur français subordonne à une condition de réciprocité légale ou diplomatique la protection des lois françaises spéciales en matière de nom commercial et de marques de fabrique ou de commerce (Lois de 1824, de 1857 et de 1873), et que cette exigence légitime des lois françaises se trouverait atténuée, sinon supprimée, si, sans aucune condition, on reconnaissait aux étrangers le droit de réclamer des dommages-intérêts à raison des faits de concurrence déloyale dont ils croiraient avoir à se plaindre. V. Cass., 12 avr. 1854 (S. 55.1.827); Huard, Propr. industr., n. 146; Ruben de Couder, Vo Concurrence déloyale, n. 171. On a répondu à cette objection en faisant remarquer qu'il y a une grande différence entre l'application des lois spéciales de 1824 et de 1857, dont la sanction est d'ordre civil et pénal, et l'application de l'art. 1382 Code civ. d'ordre purement civil, qu'il y a des faits de concurrence déloyale qui ne se rattachent en aucune manière à une usurpation de nom commercial ou de marque de fabrique ou de commerce, et que l'application de l'art. 1382 à la matière de la concurrence déloyale s'impose tout particulièrement si l'on songe que l'action en concurrence déloyale découle du droit pour tout homme de se livrer en tous lieux au commerce de son choix. V. Pataille,

Ann. propr. ind., 1857, p. 362; Rendu, n. 121; Dufourmantelle, p. 142; Darras, Tr. de la concurrence déloyale, n. 794 et s.; Pouillet, Marques de fabrique, n. 694; Allart, Concurrence déloyale, n. 53, n. 311; Bert, Concurrence déloyale, p. 139.

Quoi qu'il en soit, la jurisprudence s'est refusée à admettre l'opinion généralement suivie en doctrine; pour nos tribunaux, les étrangers ne sont garantis contre la concurrence déloyale dont ils sont les victimes en France que si les Français jouissent dans leur pays de la protection légale. V. Clunet, T. G., III, Vo Concurrence déloyale, n. 22

Navires de commerce étrangers. Eaux territoriales. Soumission à la législation locale destinée à prévenir les abordages.

Q. 140. Les navires de commerce étrangers sont-ils soumis, dans les eaux territoriales françaises, à l'application des règles destinées à prévenir les abordages ?1.

« A l'occasion d'une collision survenue récemment à l'embouchure de la Seine, j'ai été consulté sur le point de savoir si les règles destinées à prévenir les abordages étaient applicables aux navires de commerce étrangers dans les eaux territoriales françaises.

« L'affirmative ne peut faire sur ce point aucun doute, car les lois de police et de sûreté obligent toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui se trouve sur le territoire français (art. 3 du Code civil), et ce territoire comprend incontestablement les eaux soumises à notre influence en raison de leur proximité des côtes, aussi bien que les eaux nationales, c'està-dire celles des ports et fleuves. La compétence des tribunaux maritimes commerciaux résultant de la loi du 10 mars 1891, laquelle est précisément une loi de police maritime, existe donc à l'égard des capitaines étrangers aussi bien. qu'en ce qui concerne nos nationaux. Il est vrai que certaines dispositions de ce texte sont alors en fait inexécutables, comme le retrait de la faculté de commandement; mais on ne saurait tirer aucun argument de cette circonstance qui se

1. Circulaire du ministère de la marine du 14 mai 1898, Bulletin officiel de la marine, 1898.1.701.

Consult. Clunet, T. G., III, V° Abordage et IV, Vo Navire, n. 81 et s.

« PreviousContinue »