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Fnfin; messiears; si l'école de Fontainebleau s'est émue pour l'avenir, c'est qu'en 1872, il n'y a pas longtemps, comme vous le voyez, dans une même année, l'administration des forêts fit couper 13200 chênes de cent quarante à trois cents ans; c'est que l'administration des forêts, cette même année, fit encore couper 4 800 hêtres de quatre-vingt-dix à deux cents ans, et elle redoute que ce qu'on a appelé, à cette époque, un acte de vandalisme ne se reproduise dans la suite.

M. le directeur général des forêts prétend, quant à lui, qu'il est plein de soins pour l'avenir des beaux-arts, et permettez-moi de vous répéter son dire.

« Les artistes, dit-il, sont de grands enfants; les artistes ne calculent pas, ils ne songent pas qu'à un moment donné ces richesses de la nature vont périr et que rien ne les remplacera si nous, administration, nous ne veillons pas pour les beaux-arts. Aussi, nous nous occupons de l'avenir, nous plaçons là où il le faut des sapins qui viendront amender le sol et permettre à la végétation de se développer. »>

Ainsi parle M. le directeur général des forêts.

L'école de Fontainebleau remercie beaucoup l'administration de ses soins, mais elle n'a pas la même manière de penser sur ce sujet que M. le directeur général des forêts, et c'est à vous, messieurs, de décider entre eux.

Aujourd'hui, ajoute l'école de Fontainebleau, toutes les magnifiques futaies qui ont inspiré Corot, Rousseau et tant d'autres illustrations, ce ne sont pas les prédécesseurs de M. le directeur des forêts qui en assuraient la croissance, c'est la nature qui nous les a données, c'est à la nature seule et non aux hommes que nous deman dons d'assurer l'avenir des beaux-arts.

Pour arriver à ramener le calme entre ces deux puissances de la forêt de Fontainebleau, nous vous demandons de faire la part des beaux-arts et celle de M. le directeur général des forêts.

Le décret d'août 1861 a donné 1100 hectares; nous venons vous demander d'y ajouter 500 hectares que vos prédécesseurs avaient accordés aux tirés de la couronne. Les objections que M. le directeur général des forêts a présentées à la commission du budget se réduisent, si j'ai été bien renseigné, à deux. M. le directeur général des forêts a dit à la commission du budget : « Ne vous préoccupez pas de cette question, c'est ce qu'on a appelé la question des cabaretiers. » Et il a ajouté : « La demande qu'on fait est considérable, et ce que nous avons déjà donné est immense. Donc, je répondrai très-brièvement à ces deux objections.

La question des cabarets! Voici ma réponse : J'ai l'honneur de parler ici au nom du comité de protection artistique de la forêt de Fontainebleau. Elle a pour président M. Daubigny qui, certes, n'est pas un inconnu pour vous. Ce comité de protection compte parmi ses membres MM. Breton, Bonnat, Comte, Cabat, Coignard, Dupré, Lévy, Lefebvre, Viollet-Leduc, Ziem, Allongé, et bien d'autres qui ne sont pas moins célèbres !

Voilà pour la question des cabaretiers.

Quant à la demande si considérable que nous faisons, en quoi consiste-t-elle ? Nous demandons précisément ce qui échappe à l'heure actuelle à l'exploitation régulière de la forêt; nous demandons non pas des taillis, non point, certes, des coupes de vingt-quatre ou de trente ans, telles qu'elles sont aménagées dans la forêt de Fontainebleau; ce que nous recherchons, ce sont des sites pittoresques; des rochers couverts de fougères et certaines futaies où la hache de l'administration des forêts ne saurait avoir la prétention de s'abattre sans commettre de nouveaux actes de vandalisme.

Ce qu'on nous a donné, nous dit-on, est immense. Cela est vrai, car voici le raisonnement de M. le directeur général des forêts: Nous donnons déjà 300000 francs de subvention dans la forêt de Fontainebleau à l'école de Fontainebleau, et on appelle

ainsi écoutez bien ceci, messieurs-on appelle donner 300 000 francs à l'école de Fontainebleau le revenu du vieux matériel de la forêt de Fontainebleau.

Le vieux matériel, ce sont les vieux arbres plusieurs fois séculaires de la forêt. Par imagination, on les a abattus, puis débités en bûches, rangés en stères de bois, et on calcule que si on les vendait on en retirerait 6 millions.

Par conséquent, dit-on, nous donnons 300 000 francs par an à l'école de Fontainebleau.

Est-il permis, messieurs, de raisonner ainsi? Qui de vous, ou de vos successeurs, pas plus que vos prédécesseurs, oserait accorder à l'administration des forêts, de commettre un tel acte? Ne serait-ce pas aussi impossible, aussi coupable, que si vous vouliez fondre les statues de nos musées pour en vendre le bronze? (Très-bien ! très-bien!)

Il est des choses qui, dès qu'elles sont entrées dans le domaine des arts, n'appartiennent plus à la génération vivante, et cette génération est tenue de les respecter. (Marques nombreuses d'assentiment.)

Je ne veux pas, messieurs, vous retenir plus longtemps. L'amendement est d'une simplicité extrême. Il se borne à demander la réduction de 1 000 francs sur l'article 3. Si vous le votez, M. le ministre des finances comprendra que vous avez accordé aux beaux-arts une nouvelle réserve égale à celle que le Corps législatif put accorder sans discussion aux tirés de la couronne. (Très-bien ! trèsbien!)

M. FARE, directeur général des forêts, commissaire du gouvernement. Messieurs, je n'ai que de très-courtes observations à vous présenter sur la question qui divise l'administration des forêts et l'honorable préopinant.

Ce n'est pas une question de principe, c'est une question de mesure. Tout le monde est d'accord pour préserver les massifs qui, par leurs souvenirs historiques ou par d'exceptionnelles beautés artistiques, appellent l'attention et l'admiration du public dans la forêt de Fontainebleau; tout le monde est d'accord sur ce point, et M. le ministre des finances m'a donné à cet égard des ordres que, subordonné trèsdéférent, j'appliquerai scrupuleusement. La question est donc de savoir si nous avons fait une mesure suffisante aux exigences de l'art et si nous avons réservé dans la série artistique tout ce qui devait y être réservé.

Que nous nous soyons préoccupés de l'étendue de ce sacrifice, c'était notre devoir. Et permettez-moi de vous donner sur ce point qui a été traité à la tribune, quelques détails très-topiques.

Les 1097 hectares, sous une autre forme 11 millions de mètres carrés, sur lesquels se trouvent 60 000 arbres de toute beauté, représentent, parce que ce sont des arbres de futaie parvenus à un âge avancé, un capital de plus de 6 millions. Par suite de l'aménagement opéré en 1861, il est interdit de toucher à ce capital; on ne peut enlever que les arbres morts. Par conséquent, dans un temps limité, ces magnifiques massifs n'étant pas régénérés, disparaîtront.

Si nous ne tirons pas de revenu de ce capital, et si ce capital, dans un temps donné, doit disparaître, il est bien certain que nous avons raison de dire que l'école de Fontainebleau coûte 300 000 francs de revenu à l'Etat, plus un capital qui disparaitra. Procédons par comparaison. L'école de Rome nous coûte 100 000 francs; l'école d'Athènes, 100 000 francs; l'école des beaux-arts, 300 000 francs. Par conséquent, l'école de Fontainebleau, dont les productions artistiques ne concourent pas directement aux revenus de l'Etat...

M. HORACE DE CHOISEUL. Je demande la parole.

M. LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT... cette école, dont je ne diminue pas le mérite, reçoit de l'Etat une subvention de 300 000 francs, plus la perte du capital.

(Mouvements divers.) C'est un point de comparaison que j'établis; permettez-moi d'ajouter un mot.

Un membre à gauche. On n'y interdit pas la promenade!

M. LE COMMISSAIRE du gouvernemeENT. On me parle de la promenade.

Est-ce que nous n'avons pas été sensibles aux beautés artistiques de la forêt de Fontainebleau? Est-ce que nous ne faisons pas pour l'entretien des routes, des promenades, des sentiers, des dépenses qui sont hors de toute comparaison avec ce qu'exige habituellement l'entretien d'un massif forestier qui n'aurait pas ce caractère artistique?

Mais qui peut être meilleur juge que les artistes de la superficie qu'il convient de réserver aux études artistiques?

En 1861, l'aménagement qui a été fait avait été précédé d'une étude qui a duré sept ans, pendant laquelle les relations des aménagistes avec les artistes ont été de tous les instants. Ils ont désigné tous les arbres qui devaient être mis dans la série artistique, et s'ils n'en ont pas désigné davantage, c'est qu'ils n'ont pas jugé à propos de le faire. Nous n'avons jamais contesté que si on trouvait dans la forêt de Fontainebleau un massif artistique qui pût être utilement ajouté aux autres, nous ne fussions disposés à l'ajouter. Nous devons nous en tenir à l'aménagement de 1861, qui a été fait d'accord avec les artistes; et vous statueriez — permettez-moi cet ancien souvenir de légiste ultra petita, si vous donniez ce qui ne vous est pas

demandé.

Des circonstances nouvelles ont-elles modifié la situation de 1861 ?

L'honorable orateur qui descend de la tribune a fait allusion à une de ces circonstances sur lesquelles il est nécessaire de vous donner des explications ce sont les ventes de 1872.

Que s'est-il produit en 1872? Les coupes de 1870 n'ayant pas été vendues à l'exercice correspondant, les coupes ordinaires de 1870, 1871, 1872, au lieu d'être réparties en trois exercices, ont été vendues en deux exercices seulement.

Les artistes s'en sont émus. Qu'ont-ils fait? Ils ont été trouver M. le Président de la République. Qu'a fait le Président de la République? Il a ordonné au ministre des finances de faire suspendre toutes les coupes, et elles ont été suspendues.

Donc, par le seul exercice du pouvoir public, il a été satisfait aux intérêts artistiques.

Mais il y a un autre point dont il n'a pas été parlé et qui justifiera l'intervention de l'administration des forêts.

La forêt de Fontainebleau a couru un bien autre danger que celui dont on vous a parlé. Le ministère de la guerre a demandé d'établir à travers la forêt un polygone d'artillerie et vous savez quel est le développement d'un polygone il a de-. mandé, dis-je, l'établissement d'un polygone qui devait traverser tous les massifs de la série artistique.

Par l'intervention de qui ce danger a-t-il été écarté? Par l'intervention de l'administration des forêts, qui, aussi soucieuse des intérêts artistiques que de l'intérêt des forêts de l'Etat, a demandé au ministre de la guerre de concilier l'intérêt supérieur de la défense nationale avec les intérêts de l'art.

Le polygone existe, et la forêt n'a pas été atteinte. Le comité artistique est-il venu nous aider pendant la bataille? (Sourires.)

Je n'ai qu'un mot à dire, quant au choix des massifs qui pourraient être ajoutés un jour à la série artistique. Les massifs que l'on nous a désignés appartiennent à ce que nous appelons en langage forestier la seconde affectation, c'est-à-dire des massifs de quatre-vingt, de quatre-vingt-dix ans, contenant des arbres qui n'ont plus la grâce de l'enfance et qui n'ont pas encore la majesté de la vieillesse. (Sourires.)

C'est avec ces arbres que nous préparons l'avenir. Fuisque ces massifs célèbres du Bas-Bréau, du Gros-Fouteau sont, comme je l'ai dit, appelés à disparaître, nous leur préparons des successeurs.

Nous pensons, avec l'autorisation du ministre des finances, pouvoir donner à M. le comte de Choiseul une satisfaction suffisante en lui disant que si, dans le cours du temps, nous rencontrons soit sur la désignation des artistes, soit sur celle des forestiers, un massif qui puisse mériter l'honneur de faire partie de la série artistique, nous nous empresserons de l'y placer.

Sur cette promesse solennelle, faite avec l'autorisation de M. le ministre des finances, je supplie la Chambre de rejeter l'amendement.. (Très-bien! très-bien! — Applaudissements sur un grand nombre de bancs.)

M. GEORGES PÉRIN. Un vote de la Chambre vaut bien mieux !

M. HORACE DE CHOISEUL. Ainsi que je vous l'avais annoncé, messieurs, vous voyez qu'il y a une querelle sur laquelle nous ne sommes pas près de nous entendre.

M. le directeur général des forêts, qu'il me permette de le lui dire, a trop de bonté pour nous. Tout ce que nous craignons, tout ce que nous redoutons, c'est qu'il prépare l'avenir. (Exclamations et rumeurs à droite.)

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Tout ce que nous désirons, c'est que ce soit la nature elle-même qui se charge du soin de préparer l'avenir. Nous n'avons pas et c'est sans doute notre tort - la même manière de comprendre l'art que M. le directeur général des forêts. Nous ne cherchons pas le baliveau qui file bien, l'allée qui est bien élaguée; nous demandons, au contraire, la nature laissée à elle-même, les endroits, en un mot, et les sites où la main de l'homme n'a pas pénétré.

Et c'est précisément parce que nous ne pouvons pas nous entendre que nous venons vous demander de faire la part à chacun de faire la part de l'administration des forêts et la part de l'école de Fontainebleau.

Est-il besoin, messieurs, de relever certaines paroles de M. le directeur général des forêts? L'école de Fontainebleau, à l'entendre, ne produit pas de tableaux. Messieurs, j'ai oublié de vous faire connaître les noms des fondateurs du comité de protection artistique c'était Millet, c'était Corot, c'était Théodore Rousseau. Et je suis véritablement stupéfait d'entendre dire à cette tribune que la France ne doit pas de toiles, de tableaux admirables, en nombre considérable, à ces grands artistes...

M. LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT. Je n'ai pas dit cela!

M. HORACE DE CHOISEUL. En se plaçant, maintenant, comme on a voulu le faire, au point de vue économique spécial et purement financier, il serait bien difficile d'établir que nos magnifiques futaies coupées en bûches et vendues puissent rapporter davantage que tous les tableaux qui ont été inspirés par ces magnifiques futaies. Au point de vue économique même, la question est jugée, et je vous demande, messieurs, ne voulant pas abuser plus longtemps de vos instants, d'accepter mon amendement afin de mettre un terme au débat entre la direction générale des forêts et l'école de Fontainebleau. (Approbation sur plusieurs bancs.)

M. LE MINISTRE DES FINANCES. Messieurs, il me semble que l'honorable M. de Choiseul devrait avoir une satisfaction complète par les déclarations qui ont été faites tout à l'heure à la tribune par M. le directeur général des forêts.

De quoi s'agit-il, en effet?

Il y a plus de 1 000 hectares comprenant 60 000 arbres auxquels on ne touche jamais. C'est peut-être la plus grande réserve de ce genre qui existe dans aucun pays. Il y a un pays qui a fait une réserve analogue, pour une curiosité de la nature : ce sont les Etats-Unis, dans la vallée de Yosemite, célèbre pour ses arbres gigantesques.

En dehors de la vallée de Yosemite et de la forêt de Fontainebleau, il n'y a pas de réserve de ce genre.

La réserve de la forêt de Fontainebleau est énorme ; on n'y abat aucun arbre, on n'y touche jamais; c'est un vaste espace où l'on trouve de nombreux sujets de tableaux; nous nous en félicitons avec M. de Choiseul, et elle est, à cet égard, particulièrement intéressante pour l'Etat et pour les particuliers.

Mais, messieurs, si cette réserve ne suffit pas aux artistes, nous ne demandons pas mieux que de l'étendre encore s'il y a lieu. Nous connaissons déjà un certain nombre d'hectares qu'on pourra y ajouter.

M. de Choiseul a parlé de roches sur lesquelles on plante des sapins: il ne nous coûtera pas de les abandonner.

Je pense que nous pouvons nous mettre d'accord sans accepter l'amendement de M. de Choiseul, amendement pour lequel, d'ailleurs, je n'entrevois aucune sanction, puisqu'il consisterait simplement à retrancher 1 000 francs sur une recette de 38 millions et il me semble que satisfaction plus complète lui serait donnée par notre affirmation. (Approbation sur un grand nombre de bancs. Aux voix! aux voix !)

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M. HORACE DE CHOISEUL. Je vous en demande pardon, messieurs, et je regrette presque que ces intérêts ne soient pas confiés à un défenseur plus expérimenté que je ne le suis; mais, permettez-moi de vous le dire, ce que vous entendez là, c'est précisément le fond de la question. La querelle qui subsiste depuis longtemps, c'est que le domaine des forêts ne veut donner aux artistes que ce que le domaine des forêts veut donner, tandis que l'école de Fontainebleau veut pouvoir faire son choix. (Réclamations sur divers bancs.)

J'entends réclamer; c'est évidemment parce que je suis mal compris. Ce que nous voulons demander, c'est précisément ce qui n'est pas aujourd'hui en exploitation ce sont des rochers et des terrains couverts de fougères, ce sont quelques massifs de vieilles futaies. Là nous limitons nos prétentions, et nous ne demandons pas les taillis qui sont aujourd'hui en exploitation, il ne faut pas qu'il y ait méprise à cet égard.

Je vous demande instamment de ne point accepter ce que vient de nous proposer M. le ministre des finances. Ce que nous demandons, nous, c'est que l'on donne à l'école de Fontainebleau un terrain où elle soit chez elle et à l'abri de toutes les coupes de l'administration; c'est-à-dire que la part soit faite comme elle est déjà faite dans les 1 100 hectares qui lui furent reconnus le 13 août 1861. (Aux voix! aux voix !)

M. LE PRÉSIDENT. La Chambre va voler sur l'amendement.

Il a été déposé une demande de scrutin public. (Exclamations diverses.)

Cette demande est signée par MM. Edouard Lockroy, Georges Périn, Clémenceau, Floquet, Rouvier, Barodet, Margues, Allain-Target, E. Millaud, Marcellin, Pellet, Bousquet, Cantagrel, Henri Brisson, Andrieux, E. Brelay, de DouvilleMaillefeu, A. Naquet, Talandier, E. Ducamp, A. Leconte, A. Castelnau, Maigne. Il va être procédé au scrutin.

(Le scrutin est ouvert et les votes sont recueillis.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

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